On préfère les démocrates, mais...

Élections américaines de mi-mandat


La satisfaction au Canada, et en particulier au Québec, face à la résurgence des démocrates est tout à fait compréhensible quand on analyse l'impopularité de l'administration Bush, mais elle cache aussi un grand paradoxe.
C'est que si les Canadiens s'identifient plus facilement aux valeurs défendues par les démocrates, ils oublient bien vite que ce sont aussi les plus grands protectionnistes au sein de l'ALENA.
Bref, les Canadiens se sentent en général plus près des démocrates, mais la réciproque n'est pas nécessairement vraie. Du moins pas en ce qui a trait au commerce international. Et avec des échanges de près de 400 milliards par année entre les deux pays, il n'y a rien de plus important à préserver dans la relation canado-américaine. " Money talks", comme on dit chez nos voisins du Sud.
La remontée des démocrates, mardi, les place en bonne position pour les prochaines présidentielles, en 2008, ce qui n'est pas nécessairement une bonne nouvelle pour un petit pays comme le nôtre, encore traumatisé par le conflit du bois d'oeuvre.
Entre une administration guerrière, qui est en train de mettre le monde à feu et à sang et une autre qui mène des guerres commerciales à son plus grand partenaire économique, les Canadiens préféreront naturellement la deuxième. Mais il est faux de croire que le chemin entre Ottawa et Washington sera un grand jardin de roses après la victoire d'un président démocrate.
Parlant de bois d'oeuvre, il faut se souvenir que c'est un démocrate, le sénateur du Montana, Max Baucus, qui a mené la charge contre l'industrie canadienne avec le plus de vigueur (et de succès) depuis une décennie.
C'est aussi sous le règne d'un président démocrate, Bill Clinton (une figure extrêmement populaire au Canada), que ce conflit pourri a pris racine au point de devenir pratiquement insoluble.
Regardez la nouvelle carte politique des États-Unis : il y a beaucoup, beaucoup de bleu le long de l'interminable frontière canado-américaine. On va peut-être mieux s'entendre sur les questions sociales, mais pas nécessairement sur les questions de fric.
Maintenant qu'ils contrôlent la Chambre des représentants (et probablement aussi le Sénat), les démocrates auront les coudées franches pour imposer leurs vues protectionnistes. D'autant qu'il est électoralement rentable, à deux ans des présidentielles, de "protéger les jobs" des Américains.
Au lendemain du dernier débat entre George W. Bush et John Kerry, lors de la campagne électorale présidentielle de 2004, les libéraux au pouvoir à Ottawa avaient été horrifiés par le discours protectionniste du candidat démocrate.
Pour le gouvernement canadien, il est problématique d'avoir un président belliqueux à Washington (surtout quand il lui demande de participer militairement à la guerre), mais ça l'est encore davantage d'avoir une administration qui contourne librement les accords de libre-échange pour protéger ses producteurs.
Dans l'immédiat, Jean Charest a raison : il faudra rester alerte et réagir si les États-Unis dérivent vers le protectionnisme sous l'impulsion des victoires démocrates. Il faudra d'abord garder un oeil sur le dossier du bois d'oeuvre, qui pourrait s'envenimer de nouveau. À ce propos, c'est George Bush qui avait raison : oui, le président peut avoir un impact dans la résolution du conflit, mais, ultimement, c'est le Congrès qui décide.
Pour la suite des choses, le gouvernement canadien aurait intérêt à nouer rapidement des liens avec les nouveaux maîtres des deux chambres, ce qui n'est pas évident pour le gouvernement conservateur de Stephen Harper, bien vu par le président Bush.
Il serait sage aussi d'établir le contact avec Hillary Clinton, qui a confirmé hier son statut de favorite dans la course à l'investiture démocrate. Or Mme Clinton est elle aussi de l'école protectionniste, elle croit aussi à l'urgent besoin de renforcer la sécurité aux frontières (ce qui n'est pas banal puisqu'elle est sénatrice de l'État de New York) et elle a déjà colporté les rumeurs voulant que certains terroristes du 11 septembre étaient entrés aux É.-U. par le Canada (ce qui est faux, faut-il le rappeler, encore une fois).
Cela dit, Mme Clinton s'est aussi prononcée récemment contre le projet américain d'imposer des passeports à l'entrée et à la sortie des États-Unis par voie terrestre, ce qui est une bonne nouvelle pour le Canada. Ce projet dévastateur pour l'économie canadienne pourrait maintenant se heurter à la majorité démocrate.
Le triomphe des démocrates a aussi du bon dans un autre épineux dossier canado-américain : le développement du bouclier antimissile. Les démocrates sont beaucoup moins empressés que ne l'est George Bush à poursuivre cette folle aventure. Les pressions sur Ottawa pour y prendre part devraient s'estomper parce que George Bush n'aura plus le pouvoir de mener de telles batailles dans les deux dernières années de sa présidence.
Ce n'est là qu'une illustration de son nouveau statut de canard boiteux.
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