Ce qui va remplacer la Belgique

Il faut donc repousser l'idée d'une mort brutale de la Belgique sans solution de remplacement

Chronique de José Fontaine


Qu’est-ce qui remplacera la Belgique? Les entités fédérées représentent déjà 51% des compétences étatiques: une disparition pure et simple du pays est donc à exclure. Si les tensions mènent à l’impossibilité de vivre en commun, les pouvoirs wallon, bruxellois et flamand resteront debout, car non contestés dans leur existence même.
Déconstruction par le « haut » et par le « bas »
Si le gouvernement actuel réussit à faire de nouvelles réformes institutionnelles, les gouvernements des entités fédérées auront peut-être jusqu'à 60% des pouvoirs étatiques. Voire plus. Si le gouvernement actuel échoue, s'il devient impossible de former un gouvernement fédéral, les gouvernements des entités fédérées pourront facilement se substituer au gouvernement fédéral. Quitte à ce qu'ils instituent une autorité belge à travers laquelle se décideraient les transferts des compétences encore fédérales aux entités fédérées, peut-être sur un laps de temps assez long. Il ne faut pas oublier non plus que la Belgique fait partie de l'Europe ce qui fait que l'Etat belge n'a plus de monnaie propre, ce qui élimine déjà un problème grave. L’armée, elle, est de plus en plus intégrée dans des ensembles plus grands (OTAN, UE).
Une Belgique lente (et cependant facile) à diviser
La Belgique, même quand elle était encore un Etat centralisé, était fortement divisée en deux, derrière l'apparence de l'unité. Il y a déjà depuis longtemps deux ministres de l'éducation nationale. La Belgique est un pays facile à diviser. Par exemple (et contrairement aux autres Etats fédéraux, mais la Belgique n'est pas depuis longtemps fédérale), même si la Justice reste à 100% une compétence du fédéral, pratiquement tous les tribunaux, les juges, les avocats, les parquets, les personnels administratifs… sont régionalisés de fait. La Justice en Wallonie et en Flandre est déjà pratiquement une Justice ancrée en Wallonie et en Flandre, même s'il demeure une Cour de cassation fédérale. On pourrait en dire autant de la police, du moins de la partie de celle-ci qui n'est pas considérée comme « fédérale », des corps assurant la sécurité publique en général, des administrations fédérales décentralisées, des pouvoirs locaux déjà sous la tutelle des entités fédérées, mais qui continuent à exercer des compétences dont, parfois, l'autorité suprême est fédérale.
Une confédération qui ne dit pas son nom
En termes juridiques, bien que la Belgique ne soit pas (encore) une confédération, elle en revêt les traits: les compétences des entités fédérées sont exclusives ; il n'existe pas de hiérarchie des normes, les lois des entités fédérées et les lois fédérales ont la même force. Les entités fédérées exercent leurs compétences avec autant de liberté sur le plan international qu'à l'intérieur de la fédération belge. Il faut donc repousser l'idée d'une mort brutale de la Belgique sans solution de remplacement. Ce qui relève de la Flandre, de la Wallonie et de Bruxelles n'a pas encore remplacé tout ce qui relève de l'Etat fédéral belge, mais c’est en bonne voie.
Les entités fédérées vont se renforcer encore. On joue à faire peur au public en parlant de la disparition du pays. Cependant, la difficulté qu'ont Wallons et Flamands de former un gouvernement fédéral irrite profondément une partie de l'opinion, nostalgique des symboles nationaux belges, mais sans pouvoir peser sur l'évolution politique. D'importantes manifestations pour l'unité furent organisées en 1962, 1993 et 2007. Après ces mobilisations décrites parfois comme reflétant le sentiment général, le détricotage de l'Etat belge s'est poursuivi imperturbablement et celle de 2007 s’est révélée tout aussi impuissante.
Le maintien d’un sentiment qui perd son objet
Il y a une sorte de banalité de la déconstruction de l'Etat belge qui s'opère sans vrais drames (ceux-ci sont plus anciens), donnant au monde et à même à l'opinion belge le sentiment que la Belgique est toujours debout. Mais en profondeur la division (sans fédéralisme au départ), est un fait aussi ancien que l'Etat belge.
La première joueuse mondiale de tennis, la Wallonne Justine Henin a décidé de mettre fin à sa carrière provoquant une émotion semblable en Wallonie et en Flandre. Ce sentiment national belge est trompeur, car il n'a manifestement aucune influence sur la poursuite de la déconstruction belge et de la construction (avec Bruxelles, considérée ici comme Région) de la Wallonie et de la la Flandre. Il n'y a pas de solutions au problème national belge qui pourraient s'opérer hors du cadre belge actuel en voie de dissolution. Car cette dissolution est plutôt la résultante de la construction de trois espaces politiques distincts.
José Fontaine

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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