L'indépendance par les urnes: un défi ou un piège?

Québécois et Wallons peinent sur le chemin démocratique

Chronique de José Fontaine

C’est aussi le cas de la social-démocratie. Certains auteurs mettent en cause la foi de nos sociétés contemporaines dans la démocratie. Ne parlons certes pas de fascisme ! Mais c’est assez étonnant parfois d’entendre certaines choses.
Quel inconvénient que la démocratie !
Les Wallons ont comme chaîne de télévision privilégiée la RTFB (la Radio-télévision belge de langue française), qui est vraiment belge et qui, dans le cadre de l’idéologie nationale belge, considère l’idée européenne à ce point comme allant de soi (ce que je peux comprendre), que la manière dont cette Europe doit s’unir apparaît comme secondaire (ce que j’admets bien moins). Au mois de novembre dernier, j’ai même entendu la correspondante européenne de la RTBF, lors de l’approbation du Traité de Lisbonne par les chefs d’Etat et de gouvernement, dire que, cette fois, on éviterait l’inconvénient que furent les référendums français et hollandais qui conduisirent au rejet du traité précédent. Or les deux traités se ressemblent. Mais on aura évité, cette fois, l’inconvénient de demander l’avis du peuple français.
La démocratie doit demeurer en dehors des choses sérieuses
C’est peut-être surtout à l’occasion des affaires européennes que s’exprime ainsi sans vergogne, certes de manière fine de telle façon que cela passe inaperçu, le mépris de la démocratie. Pourquoi ? On estime sans doute que l’idée européenne est si grande (et elle l’est, je le pense), qu’il serait mauvais de la faire capoter en demandant l’avis des Européens . Ce qui a précédé l’union européenne, ce sont les nations européennes. Dans la mesure où les nations européennes se sont tout de même créées à travers la guerre et la violence, on peut se demander si ces nations ont toujours été démocratiques. C’est une idée qui me vient de Christophe Traisnel, mais aussi de Marcel Gauchet que l’appartenance à une nation ne s’est pas d’abord réglée de manière démocratique. Gauchet insiste sur le fait que l’appartenance nationale a été longtemps une appartenance, même si l’on y consentait, tendant à se confondre avec une sorte d’appartenance naturelle qui pouvait avoir son rôle positif dans la mesure où la chose n’était pas en débat, ne provoquait aucune incertitude chez les sujets. Certes, la Révolution française a fait de la nation la résultante de la volonté générale et de la République, la résultante d’un Contrat.
Mais on se demande parfois si ces choses n’étaient pas quand même un peu théoriques. Je ne veux pas nier du tout que la France républicaine ne l’était pas réellement. Je veux simplement dire que, tandis que toutes les nations se veulent exister comme procédant de la volonté de leurs membres, il y en a peu (si peu que pas !), dans le berceau de la démocratie qu’est l’Europe qui auraient procédé vraiment d’une votation directe des citoyens se prononçant sur cette appartenance commune. Les nations se sont rassemblées et leurs citoyens se sont voulus leurs membres, malgré tout, souvent, à l’occasion des guerres, celles-ci ayant comme fruit principal de créer l’unité nationale. Ces nationalismes de conservation, comme les appelle Christophe Traisnel, s’opposent aux nationalismes de contestation – et il prend à cet égard, l’exemple de la Wallonie et du Québec – qui entendent parvenir à créer la nation par la persuasion, le débat, le vote. Or, remarque Traisnel) ce propos, il est toujours très difficile en démocratie qu’une idée devienne majoritaire - simplement. Les nationalismes de contestation peinent à cet égard parce qu’ils jouent le jeu de la démocratie, alors que le jeu de la démocratie mène seulement à des majorités de justesse ou même importantes, mais que la prochaine évolution peut modifier radicalement.
La Wallonie ou le Québec sont bien trop démocrates
C’est peut-être pour cela que les nations européennes jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale évitèrent de confier leur destin, la question de leur existence elle-même (je ne dis pas leur fonctionnement), clairement, explicitement, au débat et au suffrage universel. C’est pour cela que l’Europe qui leur succède semble devoir échapper à tout débat démocratique également (à cet égard l’Europe succède dignement aux nations qui la composent). Et c’est aussi pour cela que le nationalisme wallon ou québécois peine parce que ces nationalismes de contestation ne peuvent avoir d’issue victorieuse qu’à travers le débat, le vote, la démocratie, alors que de tout temps, les « vraies valeurs » (autrefois, l’Eglise et Dieu, puis les Nations enfin l’Europe) -, ont été toujours considérées comme étant des choses trop sérieuses pour que ce soit les citoyens eux-mêmes qui décident de leur existence. Je me souviens d’ailleurs d’un homme politique wallon qui dans les années 70 et 80 fustigeait l’erreur des Québécois de vouloir aller à l’indépendance par la voie démocratique. C’était un démocrate de bon sens, si l’on, veut qui comprenait que la démocratie a des limites et que les choses sérieuses doivent continuer à lui échapper.
José Fontaine

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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