Cadeaux et revenus à déclarer

Selon le projet de loi libéral, les 125 députés seraient soumis au code d'éthique et de déontologie

Éthique et politique

Québec -- Aux prises avec de lancinantes questions d'éthique depuis quelques mois, le gouvernement Charest a déposé hier son projet de loi instaurant un code d'éthique et de déontologie et créant un poste de commissaire chargé d'appliquer ces règles.
S'il est adopté, ce projet de loi obligera chacun des 125 élus à l'Assemblée nationale à déclarer tous les cadeaux qu'il reçoit dans le cadre de ses fonctions. Si par exemple un entrepreneur qui fait affaire avec l'État invite un élu à passer des vacances sur son bateau dans les Caraïbes (exemple fictif), l'élu en question aura deux choix, a expliqué hier le leader du gouvernement, Jacques Dupuis: «Soit, je refuse ou soit, si j'accepte d'y aller, j'ai l'obligation de le dire au commissaire à l'éthique et je sais que ce sera rendu public dans le registre qui va être conservé à ces fins-là.»
La loi exigerait aussi des élus qu'ils produisent une déclaration d'intérêts dans laquelle ils devront inscrire l'ensemble de leurs sources de revenus (et non pas les montants). Le commissaire à l'éthique serait le dépositaire de ces déclarations et il en publierait un sommaire auquel il pourrait ajouter des éléments avec l'accord de l'élu. Ainsi, Jean Charest dévoilerait le montant de son salaire d'appoint du Parti libéral avec ce sommaire.
Le commissaire aurait des pouvoirs d'enquête et pourrait agir de sa propre initiative. Confronté à un cas comme celui de Philippe Couillard, le leader du gouvernement Jacques Dupuis a précisé que l'on pourrait «soumettre toute situation au commissaire à l'éthique qui, lui, pourra émettre des lignes directrices».
Le projet de loi contient aussi des règles quant aux «incompatibilités de fonctions», aux «conflits d'intérêts», à l'utilisation des biens de l'État et aux règles d'après-mandat.
La clause Arcand
Sur les conflits d'intérêts, si le texte est adopté tel quel, les membres du conseil des ministres seraient soumis aux mêmes règles que celles qui sont actuellement en vigueur et qui sont contenues dans la dernière version des directives du premier ministre, datant du 4 mars. Ainsi, ce qu'on appelle la «clause Arcand» -- ajoutée aux directives par le premier ministre pour les ajuster au cas du ministre des Relations internationales -- deviendrait un article de la loi. Un ministre pourrait donc être actionnaire d'une société fermée qui ferait affaire avec l'État à condition que les actions aient été placées dans une fiducie aveugle.
Le projet de loi contient des règles d'après-mandat qui imposent à un ancien ministre qu'il se «comporte de façon à ne pas tirer d'avantages indus de ses fonctions antérieures». La loi interdirait donc aux ex-ministres de travailler dans le domaine où ils ont été ministres pour une période de deux ans après avoir quitté la vie politique. Autrement dit, des parcours comme ceux de Philippe Couillard, de Pierre Corbeil et de Russell Williams, par exemple, trois anciens ministres qui ont été embauchés ou qui ont travaillé dans des domaines pour lesquels ils avaient été détenteurs de portefeuille, auraient pu faire l'objet de plaintes et d'une enquête de la part du commissaire. M. Dupuis a toutefois pris la peine de souligner que les plaintes ne pouvaient pas porter sur des cas anciens: «Le code, une fois adopté et une fois en vigueur, va s'appliquer aux membres de l'Assemblée nationale qui en seront membres [...] à ce moment-là.» Sans donner de détails, la critique de l'opposition Agnès Maltais a toutefois soutenu que si le projet de loi était adopté, il y aurait «peut-être moyen de faire examiner un cas rétroactivement [comme celui de M. Couillard] pour voir... pour lui donner une mesure d'exemplarité».
Réticences péquistes
La portion du code d'éthique et de déontologie sur les conflits d'intérêts n'a pas eu l'heur de plaire à l'opposition péquiste. Même si Mme Maltais n'avait pas eu le temps d'étudier l'ensemble du texte, elle a réagi hier en qualifiant de problématique la section portant sur les conflits.
Le gouvernement aimerait que le projet de loi soit adopté à l'unanimité puisqu'il concerne tous les élus. Agnès Maltais a soutenu que si le gouvernement souhaitait vraiment un tel dénouement heureux, il faudrait que le gouvernement recule, entre autres dans la section sur les conflits d'intérêts. L'opposition demande depuis une semaine au gouvernement d'annuler les changements apportés aux directives du premier ministre et de revenir au texte d'avant 2007. «On va aller voir quelle est la marge de manoeuvre [...]. Le cas Philippe Couillard ne doit pas se reproduire. Le cas David Whissell, pour nous, est inacceptable: que ce ministre ait une compagnie qui puisse transiger avec l'État est inacceptable. Le salaire [d'appoint de 75 000 $] du premier ministre a été caché pendant 11 ans.»
De son côté, M. Dupuis a promis de ne pas utiliser le bâillon pour l'imposer, mais n'a pas fermé la porte à l'adopter à la majorité qualifiée, ou même simple. «S'il y avait un entêtement illogique [...] qu'on peut expliquer à la population... C'est bien sûr qu'on veut l'avoir, le code d'éthique, puis on veut que les règles s'appliquent», a-t-il déclaré en soutenant être incapable d'imaginer vraiment une telle situation.
Tel qu'écrit, le projet de loi ne s'appliquerait aucunement au niveau municipal, actuellement secoué par l'affaire des compteurs d'eau à Montréal et par les vérifications du commissaire au lobbyisme dans des cas de lobbyisme possiblement non déclarés, notamment celui de l'ancien maire de Rivière-du-Loup, Jean D'Amour, président du Parti libéral. La ministre des Affaires municipales, Nathalie Normandeau, a récemment formé un groupe de travail sur l'éthique dans le monde municipal. Il n'est pas exclu par le cabinet de M. Dupuis que le texte de loi tel que modifié après les consultations et commissions, s'applique au niveau municipal.
Chose certaine, si la loi est adoptée, le gouvernement Charest réalisera une vieille promesse qui se trouvait dans le programme électoral «Ensemble réinventons le Québec», de l'automne 2002. Le gouvernement Charest soutenait depuis son arrivée au pouvoir en 2003 qu'il devait s'entendre avec l'opposition avant d'agir.


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