Boisclair tire son épingle du jeu

La crédibilité de Dumont est mise à rude épreuve

Débat des chefs - Québec 2007

Québec — Les échanges entre les trois chefs lors du débat à Québec se sont révélés sans merci, hier soir, et ont été ponctués par un coup de théâtre de la part de Mario Dumont.
André Boisclair a tiré son épingle du jeu, restant à l’attaque tout au long du débat, forçant à plusieurs reprises ses opposants à se commettre sur des questions précises. « Êtes-vous capable de regarder les Québécois dans les yeux et de leur dire, comme vous l’avez fait récemment, que ça va bien en santé ? », a lancé le chef péquiste à son adversaire libéral. Jean Charest a tenté tout au long du débat de rester calme, cherchant à projeter une image de premier ministre. Quant à Mario Dumont, il a dû se défendre de plusieurs attaques de ses adversaires qui ont tenté de miner sa crédibilité.
André Boiclair l’a d’ailleurs mis dans l’embarras en lui demandant à un moment de manière répétitive d’évaluer la « marge de manoeuvre financière » de l’État du Québec. M. Dumont a alors cherché à changer de sujet et à dévier la discussion sur la sécurité et la gestion des prisons, avant d’être ramené par le modérateur Jacques Moisan au thème discuté alors : l’économie et les finances publiques.
Les trois chefs, qui jouaient tous leur avenir, et alors que les sondages laissent ouvertes toutes les possibilités — même celle d’un gouvernement minoritaire — ne se sont donc pas fait de cadeau, se parlant franchement et même crûment à certains moments. « Vous vivez dans vos rêves », a par exemple répété Mario Dumont à M. Boisclair, lors du bloc sur l’avenir du Québec. « Laissez donc les autres parler, c’est quoi votre problème ? », a lancé Jean Charest au chef péquiste. « Quatorze milliards, on peut-tu dégonfler la baloune, SVP ? », a, à un moment, lancé M. Boisclair à son adversaire libéral au sujet des ententes avec le fédéral.
Coup de théâtre
Le débat a été ponctué par un important coup de théâtre de la part de Mario Dumont. Ce dernier, pour déstabiliser son opposant libéral Jean Charest, a révélé une note de service du ministère des Transports datant de juin 2004 et qui soulignait des problèmes sévères aux « assises » du viaduc du boulevard de la Concorde, qui s’est affaissé le 30 septembre 2006, faisant cinq morts. La note précisait qu’il fallait soumettre l’ouvrage à une « surveillance exceptionnelle ». Mario Dumont a alors pourfendu le premier ministre : « Votre gouvernement avait été alerté ! », « vous avez caché cela aux Québécois », « vous n’avez pas posé les bonnes questions ! » Tentant de conserver son attitude calme Jean Charest a d’abord voulu revenir au sujet — la dette — puis a admis ne jamais avoir pris connaissance de la note de service en question. Il a ensuite recommandé à M. Dumont de faire part de cette information à la Commission d’enquête Johnson créée pour faire la lumière sur cette tragédie, terminant l’échange en traitant son adversaire d’« irresponsable ».
Plus tard en point de presse le chef adéquiste a affirmé avoir pris connaissance de cette note de service « plus tôt dans la journée » et a été évasif quant à sa provenance, se contentant de dire qu’elle lui avait été remise par « par des gens qui en ont par-dessus la tête au Québec que la vérité sorte pas. » Selon M. Dumont, les Québécois doivent se poser de sérieuses questions sur « les reports de cette commission », qui permettent au gouvernement de garder secrets des documents qui pourraient faire mal paraître le gouvernement. En point de presse, Jean Charest a été cinglant pour Mario Dumont, précisant qu’il aura à répondre de ce « geste irresponsable » qualifié de « tactique ». « Quand il s’agit de sécurité routière, jamais au grand jamais, mon gouvernement aurait remis en question un geste ou une action à poser pour la sécurité des Québécois. [...] Il y a des gens qui ont perdu la vie. M. Dumont a choisi de retenir cette information-là. » L’entourage du chef libéral a fait remarquer aux médias que dans les documents remis par M. Dumont, on trouvait aussi cette phrase : « nous recommandons à la direction territoriale d’attendre l’apparition de dommages plus importants […] avant de procéder aux travaux de réparation décrits ci-après. »
Ouverture
Dans leur déclaration d’ouverture, les trois chefs avaient choisi de prévenir les critiques. Mario Dumont a ouvert le bal en révélant, pour contrer les reproches sur l’absence de cadre financier dans son programme, que celui-ci totalise des dépenses de 1,7 milliard et qu’il présenterait ce cadre au lendemain du budget fédéral de lundi prochain. Quant au chef libéral, il a admis que son gouvernement et lui n’avaient pas été « parfaits » depuis leur élection. Il a devancé les critiques quant à sa « première priorité » en déclarant : « Nous avons fait tout ce qui était humainement possible », a déclaré M. Charest. M. Charest a défendu son bilan en soulignant que les électeurs doivent mesurer ce qui a été fait et « ce qui reste à faire ». « Un règlement de déséquilibre fiscal est à portée de main grâce à notre leadership. Et désormais, le Québec est reconnu comme une nation », a-t-il dit.
Santé et éducation
Le premier thème abordé, celui de la santé, a été le lieu d’affrontements acerbes. Autant André Boisclair que Mario Dumont ont accusé le premier ministre de ne pas avoir livré la marchandise. « M. Charest ne mérite pas une deuxième chance en santé », a déclaré le chef du Parti québécois, André Boisclair. Ce dernier a cité de nombreuses statistiques soutenant que les problèmes sont toujours aussi criants en santé, notamment du côté des listes d’attente où des malades doivent patienter en vue d’une chirurgie.
Quant à M. Dumont, il s’est attardé à proposer « une solution différente », c’est-à-dire un système mixte ouvrant la porte au secteur privé. Pour ce qui est des services de garde, André Boisclair a sonné la charge encore une fois, exigeant de Jean Charest qu’il dise de quelle nature sera l’augmentation de tarifs à laquelle doivent s’attendre les parents. Le chef libéral a encore refusé de s’engager à ne pas hausser les tarifs.
Jean Charest s’est moqué des idées avancées par Mario Dumont en éducation notamment l’élimination des commissions scolaires. « Ça ne tient pas la route et vous le savez », a-t-il soutenu. André Boisclair y a ajouté son grain de sel, pointant lui aussi le chef adéquiste : « Vous nagez en pleine confusion ». Mais pour Mario Dumont, ses propositions en éducation (un bulletin chiffré, par exemple) vont permettre de ramener le gros bon sens dans les écoles.
M. Charest a mis en contradiction la position autonomiste de Mario Dumont alors que ce dernier attend la présentation du budget fédéral avant de préciser le cadre financier de l’ADQ. « On ne prendra pas de leçon de vous en matière de cadre financier », lui a lancé Mario Dumont, soulignant que les baisses d’impôts promises par les libéraux ne sont jamais venues.
Avenir du Québec
Les échanges ont été vigoureux sur l’avenir du Québec. Tant André Boisclair que Mario Dumont ont dénoncé l’absence de propositions constitutionnelles de Jean Charest. « On est en plein désert constitutionnel », a dit M. Boisclair. Le chef libéral a misé sur son bilan en matière d’ententes Ottawa-Québec. La prochaine étape, c’est l’encadrement du pouvoir fédéral de dépenser, a-t-il affirmé.
Le Conseil de la fédération a mené la « banalisation de la position du Québec ». « Ça vous fait un terrain de jeu » au Canada, a lancé M. Dumont au chef libéral.
La vision autonomiste de l’ADQ, le « S’affirmer sans se séparer », comme l’affirme Mario Dumont, est un rêve, estime le chef péquiste. « Si ça existait, on l’aurait », a-t-il raillé. Quels pouvoirs voulez-vous aller chercher ? a demandé M. Boisclair au chef adéquiste.
« Comptez pas sur moi pour organiser un référendum », a répliqué M. Dumont au chef péquiste. « Si jamais vous étiez élu, il n’y en aurait pas de référendum. On n’est pas sur le chemin d’un référendum. » Or le PQ n’aucune stratégie devant le fédéralisme d’ouverture manifesté par le gouvernement conservateur. « C’est zéro. C’est le néant », a-t-il pesté.
Environnement
Quand les chefs ont abordé la question environnementale, Mario Dumont est celui qui a eu plus de difficulté à se défendre. « Quels programmes, les règlements, que souhaitez-vous abolir, M. Dumont ? », a mitraillé André Boisclair en reprochant à son vis-à-vis de vouloir limiter le rôle du ministère de l’Environnement et de ne pas avoir prévu de mesures pour les aires protégées, entre autres. « Notre programme ne touche pas à 100 % des sujets », a concédé Mario Dumont qui a mis l’accent sur la nécessité de soutenir les entreprises qui développent des technologies environnementales et des mesures d’efficacité énergétiques à l’intention des particuliers. « Je ne veux pas vous embarrasser M. Dumont, mais Hydro-Québec a depuis des années des programmes [d’efficacité énergétique]... », a lancé à un certain moment Jean Charest. André Boisclair s’est quant à lui fait rappeler à plusieurs reprises son refus de se joindre à la Coalition sur les changements climatiques créée à l’automne par le gouvernement libéral et à laquelle l’ADQ s’était jointe.
Du reste, Mario Dumont a attaqué Jean Charest sur le dossier du Suroît : « Vous avez perdu la moitié du mandat dans un projet qui s’appelait le Suroît. [...] Vous vous êtes lancé à corps perdu dans le projet du Suroît, vous avez essayé de pousser dans la gorge des Québécois une centrale au gaz. »
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Avec Isabelle Porter, Kathleen Lévesque et Robert Dutrisac


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