Québec - Le député Pierre Paradis a causé une commotion hier dans les rangs libéraux en déclarant, à deux jours du débat des chefs, que son parti n'avait pas amélioré le système de santé autant «qu'on l'a peut-être prétendu». Selon lui, les gens «veulent entendre la vérité» et on ne peut leur dire «que le problème a été réglé». Au reste, à ses yeux, le Parti libéral devra trouver rapidement une façon de s'adresser aux «nationalistes non souverainistes».
Député de Brome-Missisquoi depuis 1980 - plusieurs fois ministre sous Bourassa mais laissé de côté par Jean Charest depuis 2003 -, M. Paradis a d'abord fait ces déclarations à une radio anglophone, mais il les a par la suite explicitées devant les médias, en marge d'un brunch partisan, hier matin à Sherbrooke, où Jean Charest a pris la parole.
En interview téléphonique au Devoir, M. Paradis a expliqué qu'en campagne électorale, il est normal que l'on exagère ses mérites; c'est dans la nature de la publicité que de tomber dans «le noir ou le blanc» et «d'éviter le gris». Or, en santé, il ne faut pas se le cacher, «il y a du gris», a-t-il souligné. «Regardez le bulletin dans L'actualité, cette semaine. Sans lui donner plus de crédit qu'il ne le mérite, il faut admettre qu'il reste encore pas mal de choses à faire [en santé]. Si le problème était réglé, ça ne serait pas la priorité numéro un au Québec!»
Le «gris», il l'illustre par le cas d'un petit hôpital de 75 lits, le Brome-Missisquoi-Perkins, situé dans sa circonscription en Montérégie et où la situation s'est améliorée, certes, mais pas radicalement. «Je les visite sans avertir. À la dernière campagne électorale, j'avais en moyenne 20 patients dans les corridors. Aujourd'hui, j'en ai 15», explique-t-il.
M. Paradis soutient que le dossier de la santé a été «plus difficile» que les libéraux ne l'avaient prévu. «Quand on est arrivé au pouvoir, on a arrêté l'hémorragie. On a arrêté la détérioration du système. On a stabilisé le patient», dit celui qui a été critique en matière de santé dans les années 90.
Pour remplir en totalité les promesses de 2003, le temps a manqué, a-t-il expliqué. Par exemple, un agrandissement de 20 millions a été annoncé par le ministre Philippe Couillard à l'hôpital Perkins en 2005. Mais pour qu'un tel engagement se matérialise, il faut attendre trois ans, souligne-t-il. Autre aspect nécessitant du temps: pour remplir leurs promesses, les libéraux devaient développer des ressources humaines: «Pour former une infirmière, c'est cinq ans. Un médecin, 10 ans [...] On ne peut donner les diplômes aux médecins avant qu'ils n'aient fini leur cours», fait-il remarquer. Autrement dit, avant que l'on recueille certains fruits des efforts du gouvernement Charest, il faudra attendre encore. «Je fais beaucoup de terrain: les gens comprennent que le réparateur du système [le PLQ] prend plus de temps que prévu. Ils savent qu'il a fait des efforts. Mais quand tu as quelqu'un que t'aime dans un corridor, tu n'aimes pas ça», fait-il remarquer.
Répliques
En conférence de presse, Jean Charest a refusé de commenter directement les propos de son député rebelle, se contentant de répéter que son gouvernement avait un «bilan impressionnant» en la matière et que son équipe avait fait «tout ce qui était humainement possible» pour remettre le système de santé sur les rails. Il a rappelé une fois de plus que son parti était le seul à faire de la santé sa priorité.
Jointe par le Devoir, Isabelle Merizzi, l'attachée de presse du ministre de la Santé Philippe Couillard, a toutefois tenu à rétorquer aux propos de M. Paradis: «de dire que ça va plus ou moins bien en santé, c'est certainement une fausseté», a-t-elle déclaré. Elle a ajouté que le gouvernement Charest avait beaucoup réinvesti en santé depuis 2003, «et c'est vrai pour Brome-Missisquoi», a-t-elle souligné. Le nombre de patients sur civière à Perkins est inférieur au maximum acceptable (16), a-t-elle plaidé, sans compter le projet d'agrandissement de 15,2 millions qui «suit son cours» et les cinq groupes de médecine familiale qui ont été formés dans ce secteur.
Un homme libre
Le député Paradis croit-il que son chef a fait des promesses irréalistes en 2003 en affirmant qu'il mettrait «fin à l'attente» et aux problèmes dans les urgences? «Si tu ne fixes pas des objectifs qui sont élevés, tu ne feras jamais rien», a répondu M. Paradis. «Parfois, ça prend plus de temps pour les atteindre. Ça ne veut pas nécessairement dire que tu cherchais à tromper les gens quand tu les as formulés [ces objectifs]», a-t-il ajouté.
Ce n'est pas la première fois que Pierre Paradis se met en délicatesse avec les hautes instances de son parti, depuis 2003. En mai 2006, il avait dérogé à la ligne du parti en votant contre la loi qui privatisait une portion du Parc du Mont-Orford. Ce qui lui avait valu d'être convoqué au bureau du «whip» Norm MacMillan, lequel ne l'avait finalement pas sanctionné. En 2004, il avait aussi critiqué ouvertement les compressions du gouvernement dans les prêts et bourses.
S'exprimant librement, M. Paradis a montré un certain détachement à l'égard d'un éventuel poste de ministre. Les quatre dernières années comme simple député? Il les qualifie de «mandat à dimension humaine» où il a pu pleinement vivre le deuil de ses deux parents et la joie de devenir grand-père. Pour le reste, «la vie est remplie de surprises». «À l'époque de M. Bourassa, j'avais été surpris d'obtenir trois ministères. À la dernière élection, j'ai été surpris de ne pas en avoir. Tu ne sais jamais ce qui peut d'arriver. Ça dépend de la région que tu représentes. Ça dépend d'un paquet de facteurs: combien il y a d'élus, [...] leurs qualifications. Ça dépend aussi, bien sûr, si t'es au gouvernement!»
Car à ses yeux, «cette élection est loin d'être réglée d'avance». Et c'est pourquoi, après le brunch d'hier, «tout le monde avait hâte de retourner dans son comté», même si «la campagne libérale va bien», a-t-il dit. Une des inconnues est le comportement des électeurs francophones nationalistes, «ceux que l'on appelle les "mous" - mais je n'aime pas ce terme, je préfère "québécois"».
Le dernier sondage comportait des aspects réconfortants, selon lui, puisque c'est l'ADQ qui a «grugé» le vote du PQ. Dans sa circonscription, en 2003, le PQ a obtenu autour de 25 % et l'ADQ, 18 %. «Au moment où l'on se parle, on inverse ces chiffres. Ils se sont échangé de la clientèle. Mais cette clientèle, j'aimerais bien aller la chercher.» Encore faut-il pouvoir s'adresser aux nationalistes «mous» et que les positions du PLQ traduisent «correctement les sentiments de ces gens». Il estime à cet égard que les clarifications apportées par le ministre Benoît Pelletier sur des sujets constitutionnels «sont à même d'attirer ces gens vers le Parti libéral d'ici la fin de la course».
M. Paradis serait surpris qu'il y ait beaucoup de changements dans la députation de l'Estrie après le 26 mars. Il prévoit aussi que, dans la dernière semaine, les ténors péquistes, comme Parizeau et Landry, vont «en appeler aux souverainistes» pour que le PQ ne tombe pas en troisième position. «Ils vont faire fi des personnalités. Le PQ en bas de 30 %, ça défie l'entendement: c'est quand même un grand parti avec une organisation! C'est pas comme Mario [Dumont], qui n'a pas de parti.» Et en définitive, tout va rentrer dans l'ordre: «Ça va se replacer dans la dernière semaine et on va se terminer comme on a commencé. Nous autres [le PLQ] devant. Le PQ comme opposition officielle et Mario troisième, avec entre 12 et 15 circonscriptions.»
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