Option Canada

Beaudoin, «démissionné», reçoit 30 000 $

Les partis ne s'entendent pas sur une motion condamnant les infractions à la loi électorale

Option Canada - Rapport Grenier - les suites


Québec -- Le délégué du Québec à Toronto et ancien directeur général du Conseil de l'unité canadienne, Jocelyn Beaudoin, a démissionné de son poste, hier midi, mais recevra une «allocation» de 30 000 $. Objet d'une «conclusion défavorable» (euphémisme de l'ex-juge Grenier pour «blâme»), il a été informé en matinée de l'imminence de son remplacement par un fonctionnaire du Secrétariat aux emplois supérieurs. À la suite de cette rencontre, il a remis sa démission au ministre Benoît Pelletier, qui l'a acceptée. M. Beaudoin s'est expliqué dans une courte lettre destinée au ministre et qui ne sera pas rendue publique.
Au dire de l'attachée de presse Luc Fortin, M. Beaudoin y explique que les circonstances rendaient impossible son travail de représentation du Québec à Toronto.
Rencontré peu après la période de questions dans un couloir du parlement, M. Pelletier, non encore au courant de la démission de M. Beaudoin, avait expliqué au Devoir que ce dernier avait été «rencontré» hier matin et qu'il lui permettait de présenter par écrit sa version des faits dans les 48 heures, délai au terme duquel le gouvernement aurait réagi.
En congé «avec solde» depuis le 14 janvier 2006, date du déclenchement de l'enquête Grenier, M. Beaudoin a continué depuis ce temps de toucher son salaire annuel de 139 001 $. Pendant les 16 mois qu'a duré l'enquête, 188 469 $ lui ont donc été versés. Il quitte son emploi avec une «allocation de transition» de 29 400 $, soit l'équivalent d'un mois de salaire par année d'emploi. Nommé le 15 novembre 2004, M. Beaudoin a été au service de l'État pendant 2,54 ans. Cette allocation est un droit dont jouit tout employé supérieur comme lui n'ayant pas la sécurité d'emploi, a expliqué M. Lacroix. Pour l'année 2004-05, M. Beaudoin avait obtenu une prime de 6680 $, soit 6 % de son salaire, barème correspondant à la cote d'évaluation qu'il avait reçue: C. Depuis sa suspension, il n'avait touché aucune prime.
M. Beaudoin a dirigé le Conseil de l'unité canadienne pendant plus de 20 ans. Il a toujours nié quelque implication que ce soit dans l'affaire d'Option Canada (OC). Dans une missive envoyée au ministre Pelletier le 13 décembre 2004, après qu'un député péquiste eut pointé son cas devant une commission, M. Beaudoin soutenait que, parce qu'il avait démissionné d'OC le lendemain de son incorporation, le 8 septembre 1995, il n'avait pas pu prendre part «aux différentes activités qui ont été reprochées à OC», une version que le ministre Pelletier avait adoptée à l'époque.
Devant le commissaire Grenier, M. Beaudoin a d'ailleurs continué de dire qu'il n'avait été aucunement mêlé aux décisions prises par l'organisme. Mais le juge a rejeté cette version des faits et écrit qu'il «a continué d'avoir son mot à dire dans la gestion d'Option Canada, même après l'incorporation. Il n'exerçait peut-être plus d'autorité juridique, mais il conservait une autorité de facto, en plus d'une autorité morale». Le commissaire Grenier écrit aussi que M. Beaudoin «avait accès au compte de banque de cette société et pouvait même le contrôler». Réjean Roy et René Lemaire, deux des cinq personnes blâmées par l'ex-juge Grenier, «le tenaient au courant de l'évolution du budget». Aussi, M. Beaudoin «négociait les demandes de subventions, entre autres pour celles qui ont été versées les 3 et 26 octobre 1995», soit en pleine campagne référendaire. Enfin, écrit l'ex-juge, «il a suggéré au contrôleur financier de lui verser un boni qui se présentait sous la forme d'un relevé d'honoraires, en invoquant de la consultation au profit d'Option Canada».
Lester et Philpot
Dans le livre Les Secrets d'Option Canada (Les Intouchables), par lequel l'affaire a éclaté, le journaliste Normand Lester et le militant péquiste Robin Philpot affirmaient déjà que «Jocelyn Beaudoin était de tous les mauvais coups de la nébuleuse Option Canada». Ils soutenaient que «les très nombreuses lettres, avec factures, qui commencent par "Cher Jocelyn" ne [laissaient] aucun doute quant à son rôle et à sa connaissance des activités qui violaient de façon flagrante la Loi sur la consultation populaire». À la fin de leur ouvrage, les auteurs enjoignaient même à Benoît Pelletier «de démettre [M. Beaudoin] de ses fonctions immédiatement». Joints hier après leur conférence de presse, ils se disaient très heureux de la démission du délégué à Toronto.
Plus tôt en conférence de presse, les auteurs se sont aussi dits satisfaits du rapport Grenier. M. Lester a toutefois confié avoir été surpris par la prudence «extrême et incompréhensible» du commissaire au sujet de la responsabilité des acteurs en présence. Le tandem a réclamé que le gouvernement du Canada mène une enquête publique afin d'éclaircir le financement du love-in tenu à Montréal trois jours avant le référendum. Pour les auteurs, «la question du référendum volé se pose encore». Les conclusions de l'ancien juge Grenier constituent, selon eux, «la pointe de l'iceberg des dépenses illégales du gouvernement fédéral».
Si les deux hommes s'entendent sur cet aspect, ils ont tenu des discours contradictoires sur d'autres. Lorsqu'on leur demanda s'ils allaient s'excuser auprès de l'agence de publicité BCP, accusée dans l'ouvrage d'avoir agi illégalement dans ce dossier, M. Philpot a chuchoté qu'il n'en est pas question, alors que M. Lester a lancé: «Je m'excuse.» Puis, ce dernier a souligné qu'il acceptait la preuve sur BCP présentée dans le rapport puisque l'équipe de juricomptables mandatée par le commissaire était allée «au fond des choses». M. Philpot est toutefois revenu à la charge pour dire qu'ils avaient raison de douter. «Quand quelqu'un nous demande des excuses, on devrait, en fait, adopter une motion nous félicitant d'avoir trouver une fraude de 500 000 $», a souligné M. Philpot, qui a été candidat pour le PQ dans Saint-Henri-Sainte-Anne le 26 mars. Devant ces propos contradictoires, BCP continuait hier de réclamer des excuses.
Benoît Pelletier s'est dit surpris de ne pas avoir été questionné au sujet du cas Beaudoin, en Chambre, hier matin. Le rapport Grenier a toutefois été au coeur des échanges, le chef de l'opposition Mario Dumont sommant le premier ministre de retirer l'expression «pétard mouillé» pour qualifier le rapport et l'intimant à condamner les irrégularités mises au jour par le commissaire Grenier. Après plusieurs questions, Jean Charest a souligné que le ministre Pelletier avait qualifié de «déplorables» les infractions en question. «Le ministre [...] a parlé au nom du gouvernement et [...] a déploré effectivement que les lois n'avaient pas été respectées, il l'a dit très clairement, hein?»
M. Charest a du reste prétendu que le PLQ avait été «blanchi» par le rapport Grenier. Il a contre-attaqué en soulignant que le parti qui avait été le plus souvent condamné par le Directeur général des élections dans la dernière décennie était l'ADQ.
Pour marquer le coup, le gouvernement avait, peu avant la période de questions, déposé une motion toute en lapalissades: «Que l'Assemblée nationale réitère l'importance que soient respectées les lois fondamentales qui assurent l'intégrité du système démocratique québécois» et «déplore toute dérogation à celle-ci». Cette formulation a été rejetée par l'ADQ, qui lui a ajouté «condamne les infractions [...] constatées dans le rapport Grenier». La leader Diane Lemieux, du PQ a alors lancé un «consentement» sonore, mais le gouvernement a décliné. Aucune motion issue du Salon bleu ne fera donc écho au rapport Grenier.
À Ottawa, le ministre Jean-Pierre Blackburn a réitéré sa confiance en la présidente de Développement économique Canada, dont il est responsable, Michelle D'Auray. Dans son rapport, l'ex-juge Grenier soutient qu'elle a engendré des dépenses illégales de plus de 8000 $. «Il n'y a pas eu de blâme dans le rapport [...] contre Michelle D'Auray. De mon côté, je considère que c'est quelqu'un qui agit avec beaucoup de rigueur et de professionnalisme dans son travail.» Mme D'Auray a fait savoir au Devoir qu'elle ne ferait aucun commentaire. Quant au Bloc québécois, il est revenu à la charge à la Chambre des communes pour obtenir une enquête, mais le premier ministre Stephen Harper l'a invité «à cesser de vivre dans le passé».
Avec la collaboration d'Hélène Buzzetti


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