Les criminels à cravates s'en tirent encore très bien au Canada. L'ex-publicitaire Jean Lafleur, l'un des témoins qui a le plus profité financièrement du programme des commandites et l'un des plus récalcitrants devant la Commission Gomery, sera libre dans huit petits mois, avec les poches pleines de millions $ qu'il a cachés dans des paradis fiscaux.
Lafleur a choisi de plaider coupable à 28 accusations reliées à 76 factures frauduleuses, pour des contrats obtenus du gouvernement Chrétien dans le cadre du programme des commandites. L'agence de publicité de Jean Lafleur a reçu des contrats de 65 millions $; Lafleur a réussi à facturer 36 millions $ en honoraires et frais d'agence. Devant le juge Gomery, il a en plus manifesté un cynisme révoltant.
Jean Lafleur a été condamné mercredi à 42 mois de prison. Détenu déjà depuis son retour forcé au pays en avril, cette condamnation équivaut à 48 mois derrière les barreaux. Mais puisqu'il n'a pas d'antécédents judiciaires et que ses crimes ne sont pas violents, il sera éligible à une libération dans huit mois, soit dès février 2008. Il a été démontré devant la Cour que Jean Lafleur avait transféré une fortune de plusieurs millions $ à l'extérieur du Canada pour la mettre à l'abri. La juge l'a enjoint cette semaine de rembourser 1,5 million $ mais le gouvernement fédéral le poursuit aussi au civil pour 10 millions $. À ce chapître, Ottawa n'a cependant toujours rien récupéré sur les 60 millions $ qu'il cherche à recouvrer des publicitaires.
L'affaire des commandites, un programme destiné à accroître la visibilité du gouvernement fédéral au Québec après le référendum de 1995, est le plus gros scandale politique de l'histoire contemporaine. Des centaines de millions $ de fonds publics devaient servir à conditionner les esprits pour acheter l'attachement des Québécois au Canada, ce qui en soi était déjà assez odieux. Mais pire, des publicitaires amis du régime libéral au pouvoir alors à Ottawa, se sont abondamment graissés au passage et ils ont retourné une part du fruit de leurs fraudes au Parti libéral du Canada.
Peines symboliques
Pour leur participation à toutes ces répugnantes manoeuvres, le personnage clé du côté de la machine gouvernementale, Charles «Chuck» Guité, un fonctionnaire retors, a pris 42 mois. Il est en appel et il jouit donc encore de sa liberté. Jean Breault et Paul Coffin, deux autres publicitaires, ont écopé respectivement de trente mois de prison et 18 mois dans la collectivité. Breault a fait six mois. Les dirigeants d'autres agences dans la mire de la Justice ont évité des procès en remboursant «à l'amiable» un montant convenu avec la Couronne.
Ces gens, comme Lafleur bientôt, pourront ainsi continuer de couler de douces retraites, à nos dépens, dans des endroits paradisiaques, ici ou dans des îles ensoleillées. Il n'y en a pas un qui, rongé par la honte, s'est encore fait hara-kiri !
De telles sentences n'auront aucun effet vraiment dissuasif. Ce type de gens vit dans des bulles et ils affichent leur mépris pour les citoyens «ordinaires», les non-inités, et les institutions. Pour une petite poignée qui ont été coincés dans le scandale des commandites, il reste des milliers de profiteurs autour des gouvernements, à qui il fallait envoyer un message clair. Aux États-Unis, les coupables auraient passé le reste de leurs jours en prison. Un Conrad Black, dont le procès pour fraude de ses seuls actionnaires vient de se terminer, est passible par exemple de 100 ans d'emprisonnement...
Politiciens épargnés
Par ailleurs aucun personnage politique n'a encore été accusé devant les tribunaux, en lien avec l'affaire des commandites. Aucun politicien n'en savait quoi que ce soit; aucun n'a retiré un quelconque avantage personnel et il n'y pas eu aucun trafic d'influence, devrions-nous être forcés de croire !
J'ai bien hâte maintenant de connaître les résultats de l'enquête de la Sûreté du Québec sur les dépenses irrégulières de la lieutenant-gouverneure, Lise Thibault et surtout si un volontaire servira à nouveau de bouc-émissaire. À la SQ, on refuse même pour l'instant de préciser le nombre d'enquêteurs au dossier, la durée approximative de l'enquête ou les personnes à rencontrer.
Quand le crime paie
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