Le prix d'un Québécois

Le complot d'Option Canada n'a pas eu lieu. Et beaucoup de gens, à commencer par Jean Charest, alors chef du Parti conservateur, ont été injustement dénoncés et salis.

Option Canada - Rapport Grenier - les suites


Combien vaut un Québécois? Combien faut-il d'argent pour acheter son vote ou le faire changer d'idée sur l'avenir de sa patrie à coup de messages publicitaires? Eh bien, le juge à la retraite Bernard Grenier, qui a remis hier son rapport tant attendu sur les dépenses illégales des forces fédérales lors du référendum de 1995, nous donne la réponse. C'est 12 cennes et demie!


Dans son enquête, M. Grenier analyse les allégations du livre-choc de Normand Lester et Robin Philpot, Les secrets d'Option Canada. Les auteurs, qui avaient mis la main sur les factures de cet organisme financé par Ottawa, affirmaient qu'Option Canada avait dépensé illégalement au moins 3,5 millions sur un budget de 5 millions, ce qui leur permettait de démontrer l'existence d'un complot fédéraliste pour voler le référendum. Ces révélations ont semblé assez troublantes pour amener le Directeur général des élections du Québec à déclencher une enquête.
Le juge Grenier, après une analyse minutieuse, facture par facture, a identifié des dépenses de 11,6 millions de deux organismes financés par Ottawa, le Conseil de l'unité canadienne et de sa filiale politique, Option Canada. De ce total, il n'a pas 3,5 millions en dépenses illégales, mais plutôt 539460$, qui n'a pas, comme le voulait la loi québécoise, été comptabilisé dans les dépenses du camp du NON.
Faites le calcul: ça donne 12,5 cents pour chaque électeur québécois. Le juge va plus loin en notant que le comité du NON disposait d'un surplus à la fin de la campagne référendaire, qui aurait permis d'éponger une bonne partie de ces dépenses. Le montant net des dépenses illégales se chiffre donc à 163497$, soit un peu moins de 4 cents par Québécois, ou encore, 3,27$ pour «acheter le vote» de chacun des quelque 50000 Québécois qui, en choisissant de voter NON, ont privé les souverainistes de la victoire. C'est pas cher payé.
Le gros de ces dépenses illégales se retrouve dans deux postes: des bénévoles prêtés au camp du NON qui étaient rémunérés indirectement, et des dépenses de sondages qui n'ont pas été comptabilisés. Des gestes répréhensibles ont donc été commis par des dirigeants de ces organismes. Un demi-million de dépenses illégales, c'est trop. C'est à condamner. Mais ce n'est pas avec un demi-million qu'on vole un référendum.
Mais l'enquête de M. Grenier n'a pas mis à jour une entreprise systématique de détournement de fonds, ni d'injection massive de fonds occultes, et pas de dépenses illégales dans des domaines sensibles comme des campagnes de publicité susceptibles d'avoir un impact mesurable sur l'opinion publique. Le complot d'Option Canada n'a pas eu lieu. Et beaucoup de gens, à commencer par Jean Charest, alors chef du Parti conservateur, ont été injustement dénoncés et salis. Et cela mène à plusieurs remarques.
D'abord, Normand Lester et Robin Philpot ont publié un torchon. On a décrit leur livre comme du journalisme d'enquête quand c'était un pamphlet militant, qui aurait dû être accueilli avec plus de prudence. À partir de la matière première dont ils disposaient, les fameuses factures d'Option Canada, les auteurs, sans vérifications suffisantes, ont surtout utilisé ces chiffres pour accréditer la thèse du complot et pour se lancer dans une entreprise de salissage pour accuser par association ceux qui avaient croisé le chemin d'Option Canada et dont le crime était de ne pas avoir été dans le camp du OUI en 1995.
Ensuite, il faut déplorer l'empressement avec lequel le monde souverainiste a cautionné cet ouvrage qui provenait pourtant d'éléments exaltés de leur famille politique. À commencer par André Boisclair, qui a dénoncé «le complot des forces fédéralistes pour sciemment violer la loi référendaire». Le chef péquiste, hystérique, avait même déclaré: «Par son aveuglement fédéraliste, M. Charest s'est trouvé complice de ces gestes. Dès aujourd'hui, il doit les expliquer, les condamner et s'excuser auprès des Québécois et des Québécoises.»
Bien sûr, les péquistes pourront maintenant rejeter le blâme sur leur chef déchu. Mais nous savons bien que cette semaine même, les stratèges péquistes comptaient sur les révélations-choc du rapport Grenier pour mesurer leurs chances dans une campagne électorale. C'est donc Mme Marois qui devrait s'excuser auprès de Jean Charest, et de tous ceux qui ont été traînés dans la boue dans cette histoire, comme Daniel Johnson ou John Parisella de BCP, blanchis par la commission.
Du même coup, Mme Marois devrait en profiter pour abandonner la thèse du référendum volé, cette théorie du complot, paranoïaque, méprisante pour les Québécois, qui empêche encore les souverainistes de jeter un regard lucide sur leur option.


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