Babel en Québec (1)

Malgré tout, il faut espérer que madame Marois maintiendra le cap. Ça passera ou ça cassera. Le temps du niaisage est terminé.

Tribune libre - 2007


Par les temps qui courent, le Québec fait penser à la fable de La Fontaine
«Les Animaux malades de la Peste», malades de la tête devrait-on dire.
Nous baignons dans une bordélique cacophonie, une pathétique confusion
propice à tous les dérapages. Regarder aller «la belle province» laisse en
effet bien perplexe. Bien malin celui qui peut prévoir ce qui sortira de
tout ça.
Deux sujets monopolisent et alimentent les opinions: la
Commission Taylor-Bouchard et le "projet" de loi Marois. Cette commission,
créée par un premier ministre qui voulait gagner du temps et se débarrasser
d'une patate chaude en pleine campagne électorale, est en train de battre
des records de participation pour ce genre d'exercice. Je l'aborderai dans
un prochain texte. Quant au "projet" Marois, il a été initié pour
reprendre le temps perdu par le Parti Québécois sur la question
identitaire.
Ce "projet" de loi contient certaines bonnes choses et a l'avantage d'être
clair. Mais dans le jargon parlementaire, il s'agit bien d'un "projet".
Il peut donc être bonifié si jamais on lui permet un jour d'être étudié et
discuté. Bon, que ce projet ne tienne pas la route devant la charte
fédérale, on le sait. Mais à partir du moment où il pourrait rencontrer
un appui significatif dans la population, il pourrait jouer un rôle
pédagogique important parce qu'il existe un moyen de se débarrasser de la
charte canadienne si on acquiert la conviction qu'elle travaille contre
nous sur ce sujet. Il n'est donc pas étonnant que Jean Charest se soit
empressé de balayer le tout sous le tapis. Pas étonnant non plus que nos
mercenaires de la plume l'aient attaqué si férocement, ce "projet". C'est
le signe que le "projet Marois" vise plutôt juste.
Bien sûr, le Parti Québécois cherche à reprendre l'initiative dans le
débat identitaire et, à l'image des Québécois depuis longtemps, il le fait à
l'envers. On s'est déjà donné un drapeau, même avant le Canada, on a déjà
parlé d'un hymne national, on s'affiche comme nation et on flirte avec des
velléités de constitution. La charrue avant des boeufs. Toujours. Les
Québécois sont en général entreprenants, efficaces, compétents, ouverts
mais collectivement, ils souffrent d'un manque de confiance en eux. Ils
hésitent, tergiversent, branlent dans le manche, comme on dit. Malgré tout, il faut espérer que madame Marois maintiendra le cap. Ça passera ou ça cassera. Le temps du niaisage est terminé.
À ce sujet, n'était-il pas indécent de voir les Libéraux de Jean Charest
crier à tout vent que l'on voulait créer deux classes de citoyens et que ce
devoir bâclé ne méritait même pas d'être étudié vu qu'il était porteur de
division. Ne sont-ils pas ceux qui, en coupant drastiquement dans les
sommes consacrées à l'accueil des immigrants, auront le plus contribué
justement à créer des citoyens de seconde zone et à cultiver cette
division ? Quand on ne l'a pas fait, son devoir, il peut être tentant de
dévaloriser celui qui en a fourni un.
Évidemment, ce n'est pas avec un
Jean Charest qui n'a pas encore bien compris toutes les subtilités de la
fibre québécoise ni avec l'attitude benoîte du ministre Pelletier qu'il va
se passer quelque chose de ce côté. Jean Charest a plutôt préféré mépriser
nos institutions parlementaires en faisant paraître une lettre ouverte dans
les quotidiens, qui tend à diviser encore plus les Québécois et à les
enfoncer encore plus dans la confusion. Vraiment, les Libéraux n'ont rien
d'autre à proposer que la placide soumission à la charte canadienne et
notre étiolement progressif dans une province aux horizons clôturés. Ils
sont confortablement assis sur une imposture.
Quant à Mario Dumont, il n'y a pas grand'chose à en dire. La question
identitaire, c'est pourtant son bébé, la Commission TB, c'est à cause de
lui. Depuis ces temps électoraux, plus rien. Il n'en parle plus. Motus
aussi sur la constitution. Il est clair qu'il s'est fait damer le pion par
le PQ. Il a donc condamné aussi ce "projet" qui se révèle finalement très
instructif. Il apparaît clair maintenant que jamais nous n'irons quelque
part avec Mario. Paroles, paroles, paroles, chantait Dalida. Un pas en
avant, deux pas en arrière, dérisoire chorégraphie pour adeptes du sur-place. La cause semble entendue.
Instructives ces réactions certes, mais difficile d'en analyser certaines
autres parfois. Si l'on comprend aisément le travail de sape des Gagnon,
Pratte et Dubuc, ce trio infernal de la première vague du jeu de puissance
fédéraliste, on s'explique mal l'hostilité de certains commentateurs
habituellement plus sympathiques et ouverts aux aspirations québécoises.
Je fais allusion à Josée Legault et à Michel Venne. Je comprends qu'ils
puissent avoir des réticences sur certains aspects, moi-même j'en ai. Mais
il me semble que puisqu'ils reconnaissent des aspects positifs à ce
"projet", il serait dans la logique des choses de travailler à le bonifier
plutôt que de le balayer en bloc sous le tapis de la confusion.
Difficile à interpréter également la position de la CSN et de la FTQ.
Peut-être une étude trop succincte du "projet". D'habitude, ces
organisations aiment privilégier un maximum de clarté dans les débats. Ce
"projet" possède l'avantage de la clarté et constitue une bonne base pour
une négociation visant à l'enrichir. Serait-ce que, souvent habituées à
rejeter en bloc des offres patronales, ces organisations se soient
employées dans ce cas précis à brûler la forêt pour mettre en évidence
l'arbre qui la cachait ?
Quant à monsieur Landry, je l'aime bien et je l'aime encore mais il a
raté, cette fois, une belle occasion de se taire. Habité encore par le
regret du coup de tête qui l'a amené à démissionner de son poste, il
devrait attendre d'être défrustré avant de s'exprimer encore sur certains
sujets. Il n'en demeure pas moins un type d'une grande compétence qui peut
encore très bien servir le Québec.
Et pour ce qui est de Québec-Solidaire maintenant ? Étonnant ? Pas
vraiment. Encore plus proche des milieux syndicaux, ils ont eu une
réaction très montréalaise où l'on ne ressent pas la situation de la même
façon qu'en province. Ce fut le drame d'André Boisclair, un manque de
sensibilité extra-montréalaise. Québec-Solidaire est un parti encore plus
idéologique ou dogmatique que le PQ, ce qui n'est pas peu dire. Très facile
de s'enfarger dans les fleurs du tapis et de refuser en bloc un "projet"
qui pourrait permettre de commencer à débroussailler cet espace en friche
de notre vécu collectif. Finalement, dans ce chapitre, ils parlent comme
les Libéraux, faisant la preuve que sur certains sujets, les idéologies
extrêmes finissent par se rejoindre pour entretenir la confusion.
Bref, le débat est mal engagé. On ne parle pas des vraies choses. On
s'accroche à une petite portion du "projet" pour en condamner l'ensemble.
C'est évidemment de bonne guerre pour les adversaires du mouvement
indépendantiste mais, dans d'autres cas, cela ressemble à de la paresse
intellectuelle. On vit dans un monde où triomphe souvent le superficiel.
Combien de bébés faudra-t-il encore jeter avec l'eau du bain avant de
comprendre ?
Tout ce débat reflète aussi deux clivages inquiétants. D'abord, il y a un
fossé entre Montréal et ce qu'on appelle de façon un peu méprisante, le
Québec profond. Ce n'est pas d'hier mais c'est devenu de plus en plus
évident. Ensuite, il se crée une faille, une ligne de fracture
préoccupante entre la population et ses élites intellectuelles. À partir
de là, toutes les dérives deviennent possibles, tous les dérapages peuvent
survenir. Le Québec a un urgent besoin d'un leadership porteur d'une
vision. Madame Marois, êtes-vous prête ? Peut-on enfin cesser de
s'ajuster aux sondages et arrêter de s'emplir la bouche d'échardes avec
notre langue de bois ?
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Gilles Ouimet66 articles

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Né à Mont-Laurier en 1947. Études primaires à cet endroit. Études classiques à Mont-Laurier et Hull entre 1961 et 1968. Diplômé en histoire de l’Université Laval en 1971. Enseignant à la polyvalente de Mont-Laurier entre 1971 et 2005. Directeur d’une troupe de théâtre amateur (Troupe Montserrat) depuis 2000. Écriture pour le théâtre, notamment une pièce à l’occasion du centenaire de Mont-Laurier en 1985 (Les Grands d’ici), une autre à l’occasion du 150e anniversaire du soulèvement des Patriotes (Le demi-Lys...et le Lion) en 1987 (prix du public lors du festival de théâtre amateur de Sherbrooke en 1988 et 2e prix au festival canadien de théâtre d’Halifax la même année). En préparation, une pièce sur Louis Riel (La dernière Nuit de Louis Riel). Membre fondateur de la Société d’histoire et de généalogie des Hautes-Laurentides. Retraité de l’enseignement depuis 2005.





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3 commentaires

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    9 novembre 2007

    Monsieur Cartier, Mon mémo semble être tombé dans les craques du plancher mais je rappelais vos espoirs récents sur possibilité de mouvement coopératif pour une presse libre. Je suis indiscret ou bien vous êtes en train de nous dire: "A la prochaine fois..."

  • Archives de Vigile Répondre

    8 novembre 2007

    C'est évidemment d'une tristesse sans nom de voir comment nous sommes absents dans l'espace médiatique et de voir comment le monopole de ces entreprises de presse travaille à notre aliénation. Il y a là-dedans quelque chose de profondément déprimant.

  • Georges-Étienne Cartier Répondre

    7 novembre 2007

    Je pense totalement comme vous, sauf sur l`incompatibilité du projet avec la Charte fédérale ( là je pense comme Marc brière, y compris sur ses suggestions plus radicales que j`envisageais moi aussi avant même de le lire ).
    Avec Mme Marois, on retient son souffle: la vision et le leadership ou les sondages ?
    En tout état de compte, ce sondage démontre la futilité d`une lutte comme la nôtre sans medias de masse : journal, radio et tv où plus de 70% des québécois trouvent ce qu`ils estiment être la vérité. Et NOUS n`y sommes pas .
    En attendant, il ne nous reste qu`à tenir pour sauver le fort, sans guère espérer plus !