Après Sauvé et Johnson Sr, Layton nous quitte

Chronique d'Élie Presseault

Dans l’imaginaire d’une mythologie de la révolution inachevée du Québec, Jack Layton succède à Paul Sauvé et Daniel Johnson Sr dans l’ordre. D’aucuns auront soulevé le parallèle entre la blessure à la hanche de Jack Layton et les ennuis de santé de Lucien Bouchard, il reste néanmoins que Sauvé et Johnson Sr auront mieux que personne incarné le passage à la modernité du Québec. Pour sa part, Jack Layton s’inscrit à la suite de Brian Mulroney et du beau risque dévoilé par René Lévesque.
Souvenons-nous, Paul Sauvé et son célèbre désormais annoncèrent l’avènement éventuel de la Révolution tranquille. Ce premier ministre succédant à Maurice Duplessis survécut à 112 jours comme chef du parti. Nous déclarons commodément que ce fut les « 100 jours » du gouvernement Sauvé où il annonça désormais la modernisation de l’État du Québec bien avant les libéraux de Jean Lesage. Chaque discours étant affublé du « Désormais » initial, il garda son effet durablement.
Succédant à Jean Lesage et à la faveur d’une victoire électorale surprenante, Daniel Johnson Sr ramène l’Union Nationale de Maurice Duplessis au pouvoir. Il est important de l’indiquer : Paul Sauvé était le seul qui osait défier ouvertement Maurice Duplessis tout au long de son règne. Pour sa part, Daniel Johnson Sr était l’éternel négligé, le perçu trop jeune pour assumer des responsabilités de chef. Toutefois, l’ambitieux aura retrouvé des couleurs et se sera fait l’ambassadeur de meilleures relations entre le Québec et le Canada. Dans sa jeunesse, le futur premier ministre du Québec prédisait une conférence du fédéral avec les provinces pour soumettre une idée de réconciliation des aspirations québécoises et le renouvellement du pacte constitutionnel canadien.
Jouant ses cartes, Daniel Johnson intensifia les relations internationales du Québec. À la suite de la doctrine Gérin-Lajoie selon laquelle le Québec était habilité à assumer les relations internationales dans les compétences lui étant dévolues, l’État du Québec a de moins en moins de complexes à entreprendre des relations bilatérales avec les pays étrangers, notamment avec la France qui se montre même entreprenante à ce titre. Lors de l’année de l’Expo 67, exposition universelle se déroulant à Montréal, Daniel Johnson Sr entreprend de courtiser le Général De Gaulle pour qu’il fasse un voyage et d’éventuelles apparitions publiques au Québec. Réticent au début, le Général se laisse gagner par les arguments de Daniel Johnson Sr et entreprend un voyage par bateau pour débarquer au Québec.
Reconnaissant les dons d’orateur et la visibilité qu’aurait la visite du Général De Gaulle, Daniel Johnson n’était pas sans aborder mentalement certaines craintes. Qu’importe, il jouait son va-tout en cette année du centenaire de la Confédération canadienne. Ayant entrepris sa cour électorale sur le thème « Égalité ou indépendance », le premier ministre tirait parti de la force de certains mouvements nationalistes et indépendantistes québécois pour envisager une majorité de soutiens. Il pensait pouvoir regrouper jusqu’à 70% de soutien populaire au moment d’entreprendre les grands tournants de sa politique.
Nous connaissons tous les conséquences dramatiques et de grande visibilité qu’eurent ce « Vive le Québec libre! » dans l’imaginaire aux quatre coins du monde, même si ce geste fut essentiellement incompris outre Atlantique et mal reçu dans le Rest Of Canada. Déjà au crépuscule de sa carrière glorieuse, le Général De Gaulle ne se priverait pas de cet autre coup d’éclat qui allait le distinguer aux yeux de l’Histoire. Malheureusement pour Johnson, il n’aura jamais eu le temps de mener son entreprise à bien : un certain Trudeau en ayant décidé autrement, sa santé et ses déboires éventuels se sont chargés de l’échouer à l’inauguration du barrage Manic 5 en 1968.
Entreprendre l’appréciation du phénomène Jack Layton est risqué par les temps qui courent. Essentiellement, nous avons été saisis par le côté contagieux de sa personnalité et le ton de nouveauté dans la démarche qu’il proposait. Originaire de Montréal et adoptif de Toronto, l’ancien conseiller municipal avait entrepris de diriger le NPD sur la scène fédérale à partir de 2003. Comme le NPD n’était aucunement un « natural governing party », encore moins au Québec, la côte à grimper était périlleuse d’autant plus que le Bloc Québécois et le Parti libéral du Canada le doublaient sur plusieurs plans. C’était cependant mésestimer la détermination et la résilience démontrées par Jack Layton au fil des épreuves.
Tout d’abord, le fractionnement du vote de droite allait consacrer un parti aux revendications naturellement tournées vers l’Ouest du Canada. Dans un deuxième temps, le scandale des commandites qui déconsidérait et éclabousse encore le Parti libéral du Canada allait laisser quelques marques durables. Enfin, l’usure et la mauvaise performance électorale du Bloc Québécois en 2011 allaient faire apparaître une alternative inattendue, le NPD. Bien sûr, la publication opportune des sondages favorisant le NPD allait faire tache d’huile, mais c’est essentiellement la personnalité de Jack Layton comme chef et quelques idées maîtresses glanées au fil des enjeux qui auront permis la multiplication des candidats-poteaux élus. Essentiellement, c’est au Québec qu’aura eu lieu la percée historique de la formation.
Avant même l’élection d’un premier gouvernement majoritaire canadien sans le soutien des québécois, nous avons assisté à une élection de toutes les ruptures. A priori, les électeurs québécois ont tout autant déconsidéré le Parti libéral du Canada que le Bloc Québécois pendant qu’ils persistent dans leur résistance à l’endroit du Parti conservateur du Canada. In fine, nous ne pouvons point dire que les électeurs québécois ont tout à fait abandonné le Bloc. Ils ont tout au plus offert une chance à la seule alternative jamais tentée, le NPD. Toutefois, ce serait mal connaître l’histoire du parti puisque plusieurs québécois illustres ont été désenchantés au cours de leur passage au sein du parti, ne pensons qu’à Michel Chartrand, Jacques Ferron ou encore à Pierre Elliott Trudeau.
Le NPD, comme éternel parti d’opposition, a des croûtes à manger avant même d’envisager le pouvoir. Dans cette même mesure, peut-être que le passage de Jack Layton aura un certain côté salvateur et saura inspirer d’éventuels leaders à s’illustrer. En ce qui nous concerne, ici même au Québec, l’épisode Nycole Turmel fut un révélateur puissant des défis à relever pour les Québécois-es. Amir Khadir, pour en nommer un, risque d’être plus prudent et mesuré dans ses propos à l’avenir. Toutefois, c’est sans compter sur le côté abrasif de sa personnalité.
Comment comprendre l’attrait d’une éventuelle union-nationalisation de tout parti? Dans l’ordre de succession, le Parti Québécois a hérité d’une part de clientèle de l’Union Nationale. Depuis les beaux jours de Mario Dumont, Lucien Bouchard et François Legault, nous saisissons un peu mieux l’espèce de coupure historique qui s’est opérée et la captation d’un vote encore rétif par les divers plans proposés. Gérard Deltell saura-t-il tirer parti de l’incertitude actuelle? Le tombeur du Parrain libéral est-il tout trouvé?
Indépendance. Le moment venu, un changement de paradigme s’entrouvrira à nos yeux. Gilles Duceppe s’est montré meilleur historien que politicien dans une certaine mesure. Mieux que personne, il nous aide à comprendre sur un plan politique la force d’accélération historique en marche. JRM Sauvé propose quelques pistes intéressantes quant au fractionnement des diverses forces centrifuges et centripètes du continent. D’une manière ou d’une autre, l’éclatement de l’Amérique du Nord en tant qu’empire entraînera inévitablement un certain isolationnisme qui conduira certains États à renforcer leur degré d’indépendance. Quant à débattre de la pertinence de la notion de confédération, éludons d’abord la question de la monarchie.


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2 commentaires

  • Élie Presseault Répondre

    1 septembre 2011

    Il y a un an, Gilles Duceppe publicisait sa série d’entretiens avec Gilles Toupin. Depuis lors, les affirmations lancées de part et d’autre suivent la trame conjoncturelle dans laquelle il s’est lancé. Jack Layton et le NPD, c’est la suite logique des errements provinciaux et réformistes qui ont été mis en place suite à la Révolution tranquille.
    Tentant le tout pour le tout, les Québécois-es tentent toutes les issues pour consommer l’impossible illusion canadienne. Cette illusion impossible étant profondément ancrée dans la déchirure et l’ambivalence québécoise au cœur de la confédération évidée de toute subsistance et concrétude des aspirations québécoises s’y perdant…
    Plus que tout autre, Daniel Johnson Sr aura incarné l’impossible changement. Suite à ce court règne, en attendant les péquistes et la chute de l’Union Nationale, Robert Bourassa s’imposait dans la psyché québécoise. Les politiciens, les partis passent, les mentalités demeurent… Qu’il s’agisse de Brian Mulroney, Lucien Bouchard, Mario Dumont, Françoise David, François Legault, Jack Layton et de tous les autres politicien-ne-s issus des ambivalences québécoises, nous prenons acte du côté profondément contradictoire de la quête.
    Ainsi, quand vous dites, Jean-François-Le-Québécois : « Oui, mais c’était aussi, énormément surestimer ce que le politicen en question, pouvait réellement offrir de bon ou de nouveau, au Québec. »
    Le nouveau, c’était donner une autre possibilité d’illusion canadienne aux Québécois-es.
    Jack Layton serait le premier depuis Brian Mulroney. Clairement canadien d’abord, il serait sympathique aux Québécois, défaisant une part d’illusion et d’ambiguïté suite aux nombreuses désillusions post-Trudeau. Tentant quelque chose d’inédit, il amène les Québécois-es à contempler leur avenir constitutionnel en adoptant une perspective nouvelle, plus proche des aspirations social-démocrates et populistes québécoises.
    Être bon, c’est verser dans le côté émotionnel de la politique. Faire face aux épreuves, comme de la vie ou encore dans le cheminement d’une quête constitutionnelle, c’est faire apparaître une possibilité qui n’existait point avant. En constatant le statut quo bloquiste post-Harper et post-scandale des commandites, ce n’était qu’une question de temps avant que la nouveauté s’impose.
    «Smiling Jack a bien réitéré qu’il était parfaitement d’accord avec le financement fédéral du nouveau projet hydroélectrique terre-neuvien.»
    Qui ne serait point d’accord avec toute perspective de gain électoral, d’arriver à consolider une assisse électorale, militante dans les Maritimes… Les Maritimes ne sont point l’Ouest, où le vote est plus difficile à fidéliser point de vue NPD…
    «Pas exactement pro-Québécois, feu le beau Jack...»
    Pas pantoute québécois… juste pro-Mc Gill français… c'est-à-dire peu de chose…
    Il fallait tout de même avoir du cran, être un peu visionnaire point de vue stratégique du caucus du NPD pour imposer l’intérim de Nycole Turmel… purger les aspirations québécoises tout en saisissant le contraste canadien… faut bien que le cancer qui gangrène l’autre nation soit dur, envahissant. Y a pas grand monde qui prend conscience, tout simplement des opportunistes qui affleurent et qui envisagent les possibilités post-Layton… en attendant, on applique les couches… impérialistes…
    Revenons au Québec… Robert Bourassa tout comme Daniel Johnson, père comme fils, ont refusé de prendre part aux implications concrètes du conflit. Ils ont tout au plus contourné, mené la nation sur le chemin de l’évitement… bien malgré eux. Pour leur part, Maurice Duplessis et Claude Ryan ont essuyé les sarcasmes des aspirations québécoises déçues quant vint le moment de constater les abîmes du précipice constitutionnel.

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    25 août 2011

    «C’était cependant mésestimer la détermination et la résilience démontrées par Jack Layton au fil des épreuves.».
    Oui, mais c'était aussi, énormément surestimer ce que le politicen en question, pouvait réellement offrir de bon ou de nouveau, au Québec. Souvenons-nous que même au beau milieu de ce qui fut sa dernière campagne électorale, Smiling Jack a bien réitéré qu'il était parfaitement d'accord avec le financement fédéral du nouveau projet hydroélectrique terre-neuvien. Pas exactement pro-Québécois, feu le beau Jack...