Gratuité politique oblige

Chronique d'Élie Presseault

Écrire dans le contexte d’une campagne électorale est digne des plus grandes tourmentes. Il vient toutefois de ces moments où le silence se doit d’être rompu. Je tiens à mentionner que les enjeux soulevés au cours de la campagne nous interpellent dans la mesure où ils définissent la mesure des orientations et des priorités pour les prochaines années. Plus que jamais, nous assistons à la mise en enchères des marchandises électorales destinées au commun des mortels. Rarement, il y est question de principes.
Une constante demeure : au cours de la présente campagne électorale, la perspective d’un gouvernement minoritaire est constamment mise de l’avant. Le vote stratégique acquiert des vertus dont nous n’aurions pas idée nous-mêmes… Quoi qu’il en soit, le déballage médiatique nous permet de voir son penchant clairement en faveur des partis de droite et fédéralistes y compris pour son dernier rejeton, la CAQ. Sous couvert d’attirer le vote féminin, tous un et chacun y va de sa démonstration de force.
Depuis le débat électoral à Radio-Canada, nous assistons à la marchandisation, à la segmentation et au morcellement des votes souverainistes. Apparemment, Françoise David aurait été une des gagnantes du débat dominical. Pour ma part, je ne peux tirer de conclusions hâtives si c’est que tous un et chacun – encore une fois – y est allé de sa démonstration. Causons plutôt d’affirmations péremptoires. Marchander un-e gagnant-e au jeu des débats successifs, c’est recéler cette tentative de morcellement de la nation.
Assurer la population que Québec Solidaire est souverainiste relève d’une notion de mission impossible. Dans les conditions actuelles, le coup de boutoir de Thomas Mulcair remet les choses en perspective. Par la même occasion, la position de Pauline Marois face à l’enjeu de la grève étudiante modère les attentes. A priori, les attentes électorales à court terme au sein de la population témoignent d’une volonté de passer outre la gratuité scolaire. Néanmoins, l’opposition à la hausse demeure prégnante au sein des revendications étudiantes.
Tout comme il est impossible d’affirmer de façon certaine à l’heure actuelle que Québec Solidaire est résolument souverainiste, nous pouvons en dire autant du Parti Québécois. Dans cette mesure, Option Nationale s’établit peu à peu comme une donnée incontournable de l’équation du ralliement des forces indépendantistes. Nous n’avons pas eu la chance de voir Jean-Martin Aussant au débat des chefs lors de cette dispute électorale. Il s’en trouve donc pour émettre des commentaires réellement cyniques. Quoi qu’il en soit, le cirque actuel n’incite pas forcément tout le monde à voter.
Tout indépendantiste qui se respecte ne trouvera pas nécessairement grâce face aux partis qui se présentent actuellement comme souverainistes. Il y a actuellement un flottement qui subsiste. Bien sûr, la gestion actuelle de la crise étudiante divise la population. Nous pouvons en dire autant des indépendantistes qui flottent entre le Parti Québécois, Option Nationale et Québec Solidaire dans une moindre mesure. La question de la gratuité scolaire a pour mérite de polariser les tendances diverses qui se dessinent dans les choix électoraux. Toutefois, cela ne saurait suffire à nous décider.
Comme étudiant et comme Sourd, j’ai un point de vue privilégié de ce que la polarisation du vote créée. Tout d’abord, dire au monde de voter Option Nationale plutôt que le Parti Québécois alors que le silence radio subsiste sur Option Nationale, c’est déjà un surcroît de travail. Tout ce qui gravite autour des revendications étudiantes et du reste de la population laisse transparaître une différence de sensibilités. Que nous soyons étudiants et/ou politiciens, les sensibilités se dégagent. Envisager l’enjeu étudiant comme une éventuelle renégociation ne saurait s’abstraire d’un débat de fond et de principe.
Au sein de la communauté sourde, nous disposons de peu d’informations concernant la chose politique. Bien sûr, ceux d’entre nous qui lisent et maîtrisent la langue écrite du majoritaire seront à même de s’enticher de quelques données écrites. Il n’en reste pas moins que la langue écrite constitue règle générale une langue seconde pour la personne sourde, la langue signée prédominant. Lorsqu’il s’agit de débats électoraux et de vidéos informatifs sur les programmes des partis disponibles sur la toile, nous composons avec un réel handicap qui nous distingue de la masse. Sans sous-titrage en français et sans médaillon nous donnant accès à la Langue des signes québécoise lorsqu’il s’agit de débat des chefs, nous resterons toujours autant dans les limbes de l’histoire.
Il y a maintenant près de deux ans, j’ai eu la chance de participer aux travaux de la commission portant sur les modifications apportées à la Charte de la langue française pour répondre au jugement de la Cour Suprême canadienne concernant les écoles passerelles. À cette même occasion, nous avons assisté aux difficultés d’une interprétation des propos en temps réel. Imaginez une seule seconde ce que représente une retranscription du débat des chefs en temps réel qui sauterait quelques passages et écrirait l’ensemble des propos en différé – nous ne parlons pas de légèrement différé, mais souvent en long différé. C’est pourtant ce qui est arrivé au débat des chefs à Radio-Canada. Je croyais m’en tirer à bon compte tout de même en maintenant une capacité d’écoute soutenue. Quelle fut mon erreur au moment d’apprécier quelques commentaires de la part de chroniqueurs politiques de la relève. J’ai bien vu ce que je pouvais manquer comme nuances dans le débat en temps réel.
Pourquoi parler de condition sourde et de campagne électorale? La vaste majorité des partis gagnerait à prêter attention à ce que je viens d’avancer. Pour le moment, je suis un simple étudiant sourd. Léo Bureau-Blouin a eu la chance de faire un passage remarqué dans l’univers politique. Depuis l’annonce de sa candidature et même auparavant, je prêtais attention au gribouillis politique du Parti Québécois concernant l’enjeu étudiant. Toujours, la communication politique péquiste a suscité un scepticisme de ma part en même temps que je me prêtais avec une certaine grâce au jeu.
En somme, Jacques Parizeau vient de résumer l’important virage que les militants indépendantistes sont à même d’emprunter concernant l’avenir des partis politiques et l’enjeu de la gratuité scolaire. Accordant son appui envers Jean-Martin Aussant dans sa circonscription, l’ancien premier ministre adresse en même temps quelques critiques dirigées envers le Parti Québécois de Pauline Marois. Dans la realpolitik actuelle, il ne saurait être question de hausse. Je suis bien sûr étudiant mais je me permets ici de dire que combiner des efforts pour bloquer une hausse et prêcher pour l’indexation tout en se dédouanant de quelque velléité que ce soit en matière de gratuité scolaire risque d’être périlleux comme exercice. Oui, le Parti Québécois peut prétendre à un gouvernement majoritaire. Oui, il peut s’appuyer sur un certain consensus populaire. Toutefois, ce serait se méprendre sur le pouls du milieu que de persister dans le chemin de la hausse. Que François Legault soit averti. L’histoire ne saura être clémente.


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2 commentaires

  • Élie Presseault Répondre

    1 septembre 2012

    Dans la suite de l'esprit de «Gratuité politique oblige», je vous fais part du débat d'Option Nationale qui fut récemment sous-titré et corrigé par deux personnes que je connais bien et qui se sont dévouées pour mener ce projet à terme. Admirez le résultat de ce que nous offriraient les possibilités d'informations acquises avec un sous-titrage au bas de l'écran :
    http://www.youtube.com/watch?v=0miYjE1wqbI (Partie 1/4)
    http://www.youtube.com/watch?v=trNJap_IH5s (Partie 2/4)
    http://www.youtube.com/watch?v=-jtIGmQz53w (Partie 3/4)
    http://www.youtube.com/watch?v=bOADWRQoi30 (Partie 4/4)
    Si jamais vous avez des connaissances qui sont sourdes et/ou malentendantes, prière de leur faire suivre la diffusion du débat avec les sous-titres. Merci à l'avance.

  • Élie Presseault Répondre

    30 août 2012

    En marge, je fais un commentaire sur la participation de la population sourde aux enjeux électoraux. Il y a actuellement un projet-pilote qui présente la plate-forme des partis politiques. La voici : http://www.youtube.com/watch?v=RbfbpE7tVwY .
    Si vous en venez à me lire ici, il est possible qu'il n'y ait pas de sous-titres français au bas de l'écran. Néanmoins, les participants neutres qui participent au cours du vidéo signent les caractéristiques de chaque parti. Ils contribuent à informer une partie de la population qui n'a pas toujours accès aux programmes des partis.
    Vous ne comprenez pas la Langue des signes québécoise... alors imaginez ce que nous ne comprendrions pas lorsqu'il n'y aurait pas de sous-titres au bas de l'écran dans tout vidéo informatif. Dans une certaine mesure, une personne analphabète ne comprendrait pas plus. C'est l'un des dilemmes qui guident ma vie.