De Kigali à Québécor, testament de Gil Courtemanche

Tribune libre

Nous quittant à l’aube de ses 68 années bien sonnées, Gil Courtemanche nous aura fait le cadeau d’une plume tout aussi sèche qu’incisive. Lisant l’apologie écrite par les porte-parole de Québec solidaire, je me suis alors penché de plus près sur l’anecdote politique que le regretté journaliste et écrivain aura développée. Représentant fidèlement et solidement les valeurs de gauche dans un milieu qui banalise tout autant l’engagement, ce forcené aura poursuivi cette idée jusqu’au terme. Tenant son bout contre l’empire Québécor, Gil Courtemanche s’est fait un devoir de rabrouer les puissants et défendre les semblables de sa profession de journaliste durant le lock-out du Journal de Montréal.
La première image qui nous vient de Gil, c’est cette idée d’une chronique. Globe-trotter aux pensées bien articulées, le tranchant de ses opinions n’avait d’égal que la coloration et la sensibilité de sa personnalité inimitable en notre époque. Prenant parti contre vents et marées, Gil Courtemanche aura été un rare desperado au sein de sa profession. S’assagissant quelque peu dans la contrée de la littérature, ses travers de journaliste auront tôt fait de lui permettre de tirer les marrons du feu. À sa mesure, l’acteur engagé qu’il était incarnait intemporellement les causes pas toujours populaires qu’il défendait.
Obstinément et toujours à rebrousse-poil dans ses critiques, Gil Courtemanche se tenait droit face à ses détracteurs. Nous aurions beau être en désaccord avec certaines postures politiques qu’il assumait, les idées qu’il développait finissaient par s’imposer et un certain respect de poindre. Notamment, nous avons à l’esprit cet essai qu’il aura écrit à propos d’une éventuelle seconde révolution tranquille. Soulignant l’importance de poursuivre une œuvre de démocratie, Gil Courtemanche réitérait la pertinence d’un courant résolument de gauche au Québec.
En marge du lancement de son dernier livre, Je ne veux pas mourir seul, l’écrivain en lui s’est dévoilé sans fard. Soutenant que les hommes ne parlent point assez pas plus qu’ils ne se livraient, l’homme de lettres s’est résumé par la formule suivante : «les journalistes sont les oreilles du public, les écrivains […] leur parole». Nous pouvons avoir une belle preuve comme quoi l’oreille compatissante du journaliste ne peut toujours suffire à la tâche. L’écrivain avait alors à émerger de ce curieux personnage qui aura peuplé nos consciences.
Au moment de conclure, je vous laisse sur cette épitaphe de Cioran à l’intention de Samuel Beckett dans ses Exercices d’admiration en guise de méditation à venir :
« Pour deviner cet homme séparé qu’est Beckett, il faudrait s’appesantir sur la locution «se tenir à l’écart», devise tacite de chacun de ses instants, sur ce qu’elle suppose de solitude et d’obstination souterraine, sur l’essence d’un être en dehors, qui poursuit un travail implacable et sans fin. On dit, dans le bouddhisme, de celui qui tend vers l’illumination, qu’il doit être aussi acharné que «la souris qui ronge un cercueil ». Tout véritable écrivain fournit un effort semblable. C’est un destructeur qui ajoute à l’existence, qui l’enrichit en la sapant. »


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2 commentaires

  • Henri Marineau Répondre

    21 août 2011

    Bonjour M. Presseault,
    J'ai fait parvenir ce texte à la tribune libre de Vigile ce midi...Il nous fait voir le côté humain de Gil Courtemanche, une facette méconnue de ce grand personnage québécois!
    "La rançon de la carrière
    Depuis le décès de Gil Courtemanche, nombreux ont été les opinions et commentaires émis dans les différents médias. Les qualificatifs pour décrire l’homme passent par toute la gamme dévolue à quelqu’un qui a vécu une carrière brillante dont la rançon lui a valu la gloire professionnelle au détriment d’une vie personnelle et familiale bafouée par les stigmates d’épisodes journalistiques souvent atroces et inhumains.
    À cet effet, le 20 décembre 2008, Gil Courtemanche avait offert à ses lecteurs une chronique titrée « Les petits bonheurs » en guise de cadeau, à quelques jours de Noël! Dans ce texte empreint d’une grande humilité et d’une profonde humanité, il nous livre un témoignage saisissant des combats intérieurs qu’il a dû affronter au cours de certaines périodes de sa vie. Pour mieux vous faire comprendre ma perception, je vous propose ces quelques extraits de cet article :
    «Ce n'est pas rien de voir 60 enfants mourir en quelques heures dans le camp de Bati en Éthiopie, de fouiller dans les fosses communes du Rwanda pour retrouver le corps d'un ami. Cela vous retourne les tripes et le cœur. Il est extrêmement passionnant de fréquenter les coulisses de la Cour pénale internationale et d'avoir l'impression de participer à une mission fondamentale de la communauté internationale. Cela donne un sentiment de pouvoir et d'influence sur des événements historiques.
    Mais tout cela risque de vous isoler, comme le succès crée une bulle dans laquelle on se love et s'admire…
    En fait, je voulais vous parler de l'inutilité des grandes explications qu'on trouve dans les livres et les journaux renommés et de l'importance fondamentale des petits bonheurs et des attentions minuscules. Pas les fleurs offertes pour excuser un retard, mais la main tendue, la caresse chaleureuse, le mot amoureux, et surtout l'attention pour l'autre. »
    À mon sens, Gil Courtemanche, dans cet éloge aux « petits bonheurs », nous ramène à l’essentiel de la vie, lui qui a longtemps été emporté dans le tourbillon d’une carrière pour laquelle la rançon s’est avérée fort coûteuse!"


  • François Munyabagisha Répondre

    21 août 2011

    Paix à son âme. Il y a quelques années, je disait à Favreau alors que lui et moi étions invités à Victoriaville pour commenter le film inspiré par le roman de Gil,ceci: «vous avez brillamment réussi l'interprétation d'une oeuvre plus fantasmagorique que romanesque, ainsi le peuple rwandais a toutes les raisons d'attendre de vous une prochaine, plus proche de la réalité et plus respectueuse de la dignité de ce peuple».
    Hélas, Gil nous quitte, emportant avec lui notre espoir de lire l'histoire véritable et voir des images qui nous réconcilient avec nos cauchemars.