À la sicilienne

Crime organisé et politique - collusion (privatisation de l'État)

L'équipe éditoriale du Devoir a été littéralement estomaquée hier après-midi en entendant les propos tenus par le maire Gérald Tremblay. Par moments, on se serait crus à Palerme.
Il n'est pas inhabituel qu'un politicien demande que certaines parties d'une entrevue se déroulent off the record. En l'occurrence, M. Tremblay insistait pour que certains noms ne soient pas mentionnés, ce que nous avons accepté.

En revanche, les raisons qu'il a invoquées pour justifier sa discrétion sur certains épisodes qui se sont déroulés à l'Hôtel de Ville au cours de son dernier mandat, et sur les décisions qu'il a prises, étaient pour le moins étonnantes dans la bouche du premier magistrat de Montréal. «J'ai une famille, des enfants, je ne veux pas me ramasser avec des menaces», a-t-il déclaré.
M. Tremblay a répété à plusieurs reprises que lui-même n'avait pas peur et qu'il était bien décidé à faire le ménage, mais il a tout de même rappelé qu'une bombe avait été découverte à son chalet de Saint-Hippolyte en 2005. Il a également cru utile d'évoquer cette histoire d'un producteur de vin industriel de la Rive-Sud auquel il avait refusé un permis et qui avait été retrouvé dans le coffre de sa voiture à l'époque où il était ministre de l'Industrie et du Commerce dans le gouvernement Bourassa.
Au cours des derniers mois, le maire semblait tomber des nues à chaque nouvelle révélation sur les déplorables pratiques de son administration. Hier, son discours était bien différent. «Je ne suis pas naïf. Je suis très bien informé. À la Ville de Montréal, je savais dans quoi je m'embarquais, je savais tout ça.»
Pourtant, il ne réclame pas d'enquête publique sur la corruption dans l'industrie de la construction, lui préférant la voie des enquêtes policières que privilégie aussi le gouvernement Charest. Pourquoi? «Quand il y a enquête, les gens disparaissent.» L'omerta, quoi.
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Coïncidence, deux heures plus tôt, la chef de Vision Montréal, Louise Harel, avait également rendez-vous au Devoir. De façon clairement préméditée, elle avait choisi d'aborder le thème du courage. «J'ai été la femme de Michel Bourdon. Il y a eu son courage et le mien», a-t-elle déclaré, rappelant l'automobile fracassée et les menaces de mort que M. Bourdon avait reçues à l'époque où il était président de la CSN-construction.
Elle a reproché au chef de Projet Montréal, Richard Bergeron, de «manquer de tonus» parce qu'il a réclamé la protection de la police sans même avoir reçu de menaces. Sous-entendu: ce trouillard serait incapable de nettoyer l'écurie d'Augias qu'est devenu l'Hôtel de Ville. Pourtant, comment lui reprocher sa prudence quand le maire évoque lui-même les méthodes siciliennes qui ont cours dans la métropole?
Mme Harel a prouvé dans le passé qu'elle avait du coffre et son intégrité personnelle ne fait aucun doute, mais elle ne convaincra personne qu'elle tenait Benoit Labonté pour un «homme de principes» qui s'est simplement réfugié dans un «déni inimaginable».
Si ses méthodes de financement avaient été découvertes seulement au lendemain de l'élection, elle se serait sans doute fait un plaisir de s'en débarrasser. Non seulement elle se retrouve aujourd'hui dans le rôle de l'arroseuse arrosée, mais il y a aussi un trou béant dans son équipe. Peu importe ses mérites, son nouveau numéro 2, Pierre Lampron, est totalement inconnu de la population, donc inquiétant.
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Richard Bergeron est peut-être un original entouré de néophytes, mais il est maintenant le seul dont les placards ne contenaient aucun squelette et il bénéficie au surplus de la caution de M. Net en personne, le juge John Gomery.
Dans une entrevue accordée à mon collègue Antoine Robitaille en novembre 2004, le chef de Projet Montréal avait confié son rêve d'un destin analogue à celui de Ken Livingstone, surnommé «Ken le rouge» en raison de son passé trotskiste, qui avait été élu maire de Londres en 2000 après avoir été critique de gastronomie et éleveur de tritons.
Même après avoir imposé des péages substantiels pour dissuader les automobilistes londoniens de s'aventurer au centre-ville, il avait été réélu en 2004, avant d'être finalement battu en mai 2008.
M. Bergeron dit faire le même pari sur l'intelligence de la population avec son projet de construire 33 kilomètres de lignes de tramway en quatre ans. «On va virer la ville à l'envers; ça va être difficile pour la population, mais quand ça va être terminé, elle va être tellement fière», expliquait-il au Devoir vendredi dernier.
J'étais profondément sceptique en l'entendant dire que sa victoire n'était plus une lubie mais une hypothèse plausible. Je le voyais plutôt comme une sorte de Ralph Nader, qui allait soit permettre la réélection de celui qui avait laissé la corruption envahir l'Hôtel de Ville, soit y faire entrer la souverainiste pure et dure qui est l'incarnation du mal aux yeux de la communauté anglophone.
En début de semaine, un vieux routier de l'équipe de Gérald Tremblay m'a cependant assuré que l'hypothèse d'une victoire de M. Bergeron ne pouvait plus être exclue. Après la Sicile, pourquoi pas Londres?
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mdavid@ledevoir.com


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