Quand on se désole, on se compare

Crime organisé et politique - collusion (privatisation de l'État)



Ça va mal, je sais bien, vous avez le moral politique dans les talons. Le Québec est livré pieds et poings liés aux marchands d'asphalte et de béton. Collusion par-ci, collusion par-là, les enveloppes nous passent sous le nez et tout ce qu'on reçoit, c'est un compte de taxes.
Ah, ils sont sombres et vilains, nos politiciens, et c'est en pleurant que vous allez vous résoudre à choisir dimanche prochain.

Je vous comprends.
Mais dites-vous tout de même ceci: ça pourrait être pire. Vous pourriez être en France. Dans le guide Michelin de la corruption, certains scandales français valent le voyage à eux seuls.
En 2005, souvenez-vous, un gigantesque scandale de corruption a éclaté autour d'un programme de rénovation des lycées. Dans le genre, c'est un trois-étoiles: on avait à la fois la collusion dans la construction et la corruption politique, mais tous partis confondus!
Les plus grands constructeurs français étaient de mèche pour se partager les chantiers de 471 lycées dans la région parisienne dans les années 90, une affaire de 3 milliards de dollars.
En retour des contrats, les constructeurs reversaient 2% des contrats aux partis politiques... selon une répartition proportionnelle! Ainsi, la droite, au pouvoir, touchait 60% des ristournes, la gauche le reste, séparé très équitablement entre socialistes et communistes.
Oui, madame, même les communistes.
En tout, les partis politiques français de la région avaient touché 50 millions de dollars.
En France, il faut l'avouer, on sait y faire. Ce qui fait la grandeur des professionnels de la corruption, c'est leur sens de la justice distributive. Ce n'est pas parce qu'on fourre le peuple qu'il faut être mesquin. Allez, on en redonne à tout le monde. Est-ce seulement de la corruption, au fait? Rendu là, c'est une sorte de taxe implicite privément votée.
Quand je pense qu'ailleurs dans le monde, on en voit qui vont collecter des 3% et qui gardent ça pour les copains. C'est petit, je dis. Un peu d'envergure, que diable, messieurs de la ristourne! Il faut voir plus loin que le bout de son enveloppe brune!
Collusion en Angleterre
On ne verrait pas des choses semblables en Angleterre, n'est-ce pas?
Eh bien oui.
La magouille s'habille différemment selon les climats et les particularités sociologiques, mais elle traverse toutes les frontières.
Pas plus tard que le 22 septembre dernier, le Bureau de la concurrence (Office of Fair Trading) a imposé une amende colossale de 129,5 millions de livres (presque 300 millions de dollars) à 103 entreprises de construction qui se sont rendues coupables de collusion.
Cent trois entreprises! On est loin des «Fab 14» de l'asphalte, monsieur.
Que s'est-il passé? Entre 2000 et 2006, ces entreprises s'étaient entendues entre elles pour truquer leurs réponses aux appels d'offres, en offrant des prix artificiellement élevés. On déterminait d'avance le gagnant de l'appel d'offres, et les «perdants» recevaient une compensation en argent... en échange d'une facture.
Le contribuable payait donc trop cher deux fois: d'abord par l'absence de concurrence véritable, puis par le gonflement des prix dû aux fausses factures.
Il s'agissait de contrats de construction, essentiellement publics: hôpitaux, écoles, universités, mais également certaines constructions dans le secteur privé.
Une plainte avait été déposée en 2004 dans la région des Midlands... mais l'enquête a fait découvrir rapidement que le phénomène était répandu dans toute l'Angleterre.
Les sociétés qui ont accepté de collaborer ont obtenu des réductions d'amende appréciables. Chez les motards comme chez les constructeurs, c'est fou comme ça aide à faire causer, ces arrangements-là.
Je vous le concède, il manque à cette histoire anglaise un angle politique. C'est «seulement» une collusion commerciale. Mais ne boudons pas notre admiration: on est dans les ligues majeures de la coordination magouillesque.
Imaginez un instant la complexe ingénierie de ce système frauduleux.
* * *
Ça fait du bien, hum, de voir qu'on n'est pas tout seuls?
Nous avons au Canada un Bureau de la concurrence, qui a déjà sévi contre la collusion ici même à Montréal en 2002 dans l'affaire du contrat de déneigement de l'autoroute Ville-Marie - des amendes totalisant 1 million.
La loi canadienne fait de la collusion une infraction criminelle, qui peut entraîner une peine allant jusqu'à 5 ans de pénitencier et une amende de 10 millions (en Angleterre, c'est en fonction du chiffre d'affaires).
Et ces jours-ci, le Bureau s'intéresse aux dossiers montréalais.
Vous n'en verrez pas le résultat, pas plus que des coups de Marteau de la SQ, avant d'aller voter, mais en attendant, dites-vous que quand on se désole, on peut se comparer.


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