Une prétention sans fondement

Québec est initialement l'oeuvre de Samuel de Champlain, rappelle Patrice Garant, mais on doit également saluer en lui la fondation du Canada.

Québec 2008 - autour du 400e

Kidnapping, trahison, révisionnisme historique, selon certains, le Canada n'aurait rien à célébrer autour du 400e de la fondation de Québec. Selon Christian Rioux, ce «pays nommé Canada» serait «apparu 250 ans plus tard» (Le Devoir, 9 mai), soit 250 ans après la fondation de Québec. Cette prétention ne tient pas la route car historiquement et juridiquement la fondation de Québec est celle du premier établissement permanent qui deviendra la capitale de ce vaste territoire connu sous le nom de Nouvelle-France ou Canada.


Le Canada n'est pas une invention de 1867, année de la formation de la fédération canadienne. C'est une réalité qui a plus de quatre siècles et demi, et même beaucoup plus car, en 1534, les chefs autochtones auraient répondu à Jacques Cartier que le pays qu'ils habitaient s'appelait Canada!
Depuis le milieu du XVIe siècle, les cartes géographiques identifient sous le nom de Canada ce territoire appelé aussi Nouvelle-France. Dès 1542, est identifié sous le nom de Canada, dans la mappemonde dite Harleyenne, le vaste territoire qu'a parcouru lors de ses voyages Jacques Cartier. Une autre carte de 1550 qualifie également de Canada ce même territoire (Le Canada, selon Pierre Descelliers). () Depuis Jacques Cartier, on identifie bien en Amérique du Nord un territoire appelé Canada qui correspond tantôt à l'ensemble de la Nouvelle-France, tantôt à une majeure partie de celle-ci.
Après la conquête de 1760 et le rattachement à la Couronne britannique, la colonie s'appellera «Province of Québec», aux fins de l'administration militaire et civile, sous le régime de la Proclamation royale de 1763, et celui de l'Acte de Québec de 1774, avec d'importantes modifications. En 1791 on retrouvera le terme Canada, avec subdivision en Haut-Canada et Bas-Canada de 1791 à 1840; le Canada-uni revivra jusqu'à la fédération de 1867 pour laisser la place au Dominion ou Puissance du Canada.
Les textes juridiques vont dans le même sens et dissipent toute équivoque. Dans les Édits, ordonnances royales, déclarations et arrêts du Conseil d'État du roi, concernant le Canada, publié en 1803 à Québec, on retrouve de nombreuses mentions du Canada. Ainsi, François 1er signe en faveur de Jacques Cartier une Commission, le 17 octobre 1540, «pour l'établissement du Canada». Le 29 avril 1627, Richelieu signe un Acte pour l'établissement de la Compagnie des Cent Associés afin de «rechercher et découvrir les pays, terres et contrées de la Nouvelle France dite Canada»; la Compagnie a autorité sur «tout ledit pays de la Nouvelle France dite Canada». Le 7 mai 1663, une Commission mandate le Sieur Gaudais pour enquêter sur «les colonies et les sujets qui se sont formés en Canada»; dans ses Instructions, il est dit qu'il va «de la part du Roi en Canada». Dans la Commission de M. De Tracy, du 19 nov, 1663, il est question de la France Septentrionale qui comprend «le Canada, l'Acadie, l'Isle de Terreneuve et autres pays». L'Édit de création du Conseil Supérieur de Québec du 2 avril 1663, le nomme «Conseil souverain de la Province du Canada ou Nouvelle France». Dans l'arrêt du Conseil d'État du Roi de 1663 pour l'établissement du Séminaire de Québec, on parle de «l'Église naissante du Canada dit la Nouvelle France». (…)
Dans le texte de la Capitulation de Québec en 1759, à l'art 6, il est écrit: « jusqu'à ce que la possession du Canada ait été décidée par un traité entre S.M.T.C & S.M.B.». Dans le célèbre Traité de Paris de 1763, à l'art. 4: «Sa Majesté Très Chrétienne cède et garantit à sadite Majesté Britannique, en toute Propriété, le Canada avec toutes ses Dépendances». Dans l'Acte de Québec de 1774, il est prévu que «les sujets canadiens de Sa Majesté» pourront avoir «recours aux lois du Canada». Le Canada d'avant 1760 est bel et bien une réalité juridique et constitutionnelle.
Le Canada n'est donc pas né 250 après la fondation de Québec, il existe comme réalité historique continue depuis l'époque de Jacques Cartier, et même avant! La fondation de Québec par Champlain, mandaté par le Roi de France ou son représentant, constitue une étape majeure car elle concrétise par un établissement permanent la prise de possession du territoire. Dans sa synthèse «Canada-Québec», Denis Vaugeois a un chapitre VI intitulé «Champlain au Canada» (1608-1635). Le Canada des Européens se construira par étapes successives dont l'une des plus importantes est celle du rattachement direct de la Colonie à la Couronne Royale en 1663, ce qui fera dire aux historiens que «le Roi prend en main le sort du Canada» (Brunet, Frégault, Trudel, Histoire du Canada par les textes, 1952, p.33).
Quant à Québec (Kébec), il s'agit tout d'abord d'un comptoir commercial établi à la demande du Sieur de Monts; Champlain y construit une Habitation, puis un fort. C'est sous le gouverneur de Montmagny qu'on commence à parler de ville, et ainsi de suite jusqu'en 2008. Certes, Québec sera initialement l'oeuvre de Champlain, mais elle lui survit. Selon l'éminent l'historien Marcel Trudel, «Au point de départ de l'histoire continue du Canada, nous trouvons Champlain; il en est volontairement et par principe à l'origine; on doit saluer en lui le fondateur du Canada» (Dictionnaire biographique du Canada).
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Patrice Garant
Professeur de droit public à l'Université Laval, l'auteur est historien amateur.


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