Une nouvelle Amérique?

Primaires américaines 2008


Les candidats démocrates et leurs conseillers sont persuadés que le monde attend avec impatience leur accession au pouvoir à Washington comme le début d'un temps nouveau. À première vue, ils n'ont pas tort, compte tenu de l'indigne performance de l'administration républicaine depuis sept ans.

Pourtant, en lisant leurs discours, on cherche comment les démocrates vont donner naissance à une nouvelle Amérique. Les propos sont courtois et civilisés, mais le message sur le caractère divin de la mission américaine dans le monde est toujours aussi arrogant et convaincu. À l'évidence, les grands bouleversements mondiaux des deux dernières décennies échappent toujours à la réflexion des Clinton et Obama.
Le monde nous attend
Le discours démocrate est parfaitement illustré par un éditorial du très libéral rédacteur en chef du bimensuel Foreign Policy, Moisës Naïm. Il ne fait aucun doute dans l'esprit de cet analyste, dont les textes sont par ailleurs souvent remarquables, qu'il y a actuellement dans le monde «une soif de l'Amérique». De Brasilia à Pékin, en passant par Djakarta et Paris, «le leadership américain se fait fortement désirer», écrit-il, tout en soulignant que les nouveaux dirigeants américains devront faire preuve de souplesse et de finesse dans leurs relations avec les autres pays. «L'Amérique que le monde souhaite voir revenir sur la scène n'est pas celle qui s'arroge le droit d'envahir des ennemis potentiels, qui intimide ses alliés et méprise le droit international», écrit Naïm. Non, l'Amérique que le monde attend est celle qui inspire, certes, mais qui dirige, qui fait preuve de leadership. D'ailleurs, on se bousculerait déjà aux portes de la Maison-Blanche avant même le départ de l'actuel locataire. Voyez, écrit l'éditorialiste, comment le président brésilien, Luiz Lula, cherche l'aide de Washington pour développer son industrie de l'éthanol, ou comment le premier ministre turc, Recep Erdogan, compte sur l'appui américain pour faire entrer son pays dans l'Union européenne. Ils agissent ainsi, car, selon Naïm, ils ne voudraient pas voir «le monde dirigé par des régimes autocratiques comme la Russie et la Chine».
En lisant ce brouet d'insignifiances, on ne peut s'empêcher de constater la déconnexion d'avec le réel de plusieurs experts américains en relations internationales. Diplômés des grandes universités, polyglottes, mais de moins en moins, ils réfléchissent en vase clos, s'alimentent les uns aux autres, lisent leurs publications spécialisées et non celles de l'étranger et se convainquent de leurs fantaisies. Il ne serait pas venu à l'esprit de Naïm, par exemple, que le Brésil a d'autres ambitions que de recevoir l'aide américaine pour son éthanol ou que l'appui de Washington à la candidature turque à l'UE n'aura aucune, mais alors aucune influence sur le processus d'adhésion. Ou que la domination du monde par la Russie et la Chine est un fantasme d'experts en robe de chambre.
Naïm, j'en suis certain, ne pense pas être condescendant. Il veut le bien. Ce bien, c'est la conception qu'il se fait de l'Amérique et, selon lui, le monde n'en peut plus de l'attendre. Et puisque Naïm et les siens sont dorénavant les conseillers des futurs princes démocrates, leur prose se retrouve, à des degrés divers, dans les énoncés de politique internationale des candidats Clinton et Obama. Lisez, par exemple, leurs textes dans Foreign Affairs. À première vue, Clinton et Obama, font preuve d'une ouverture et d'une modération remarquables. L'héritage de Bush - l'unilatéralisme, la guerre en Irak, le mépris de l'environnement, la généralisation de la torture - est voué aux gémonies. Avec eux, les États-Unis vont renouer avec la respectabilité et le multilatéralisme. Ils vont même parler à leurs ennemis, comme l'Iran.
Partenariat plutôt que leadership
Pourtant, au fil des pages, Clinton et Obama réaffirment avec force le credo de toujours des dirigeants américains, toutes couleurs confondues: «La mission des États-Unis consiste à jouer un rôle de leader mondial qui repose sur une vision partagée de la sécurité de tous et de notre humanité commune», écrit Obama dans un article dense et riche, bien supérieur à celui de Hillary Clinton, farci de clichés et de lieux communs. Malheureusement, rien dans ces textes ne laisse entendre que les deux candidats ont véritablement pris la mesure du monde actuel. Tout est centré sur l'obsession terroriste et rien n'est dit, ou presque, sur le véritable état de la planète et la place réelle qu'occupe leur pays. Il suffit pour l'Amérique d'être grande, forte et généreuse, et tout reviendra dans l'ordre, écrivent-ils.
Clinton et Obama ignorent, ou font mine d'ignorer, comment le monde s'est reconfiguré depuis une vingtaine d'années. Des puissances s'affirment, des blocs économiques se constituent. Par exemple, en 2007, les nouvelles puissances et les pays en développement ont contribué pour 60% à l'augmentation du PIB mondial. Cette année, ils vont tirer la croissance vers le haut alors que l'Occident va stagner. Cette puissance économique se transformera inévitablement en puissance politique et militaire. Chacun exigera sa place au soleil. Si la seule réponse des États-Unis est de se poser en leader suprême, le temps des confrontations amorcé sous le deuxième mandat Clinton et accentué sous Bush va se poursuivre de plus belle.
La réalité est cruelle: aujourd'hui, le monde échappe de plus en plus aux Occidentaux. Ni les augmentations de budgets militaires ni les frappes préventives ne vont modifier cette donne. À Washington, chercheurs et politiciens doivent en prendre acte et changer de discours. Le monde ne cherche pas un leader. Il n'en a pas besoin. Il cherche la coopération entre partenaires. Et si le «partnership» remplaçait le leadership?
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Jocelyn Coulon
L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CÉRIUM de l'Université de Montréal (j.coulon@cerium.ca).
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