«Yo, Blair», président de l'Europe?

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D'ici un an, la gouvernance de l'Europe aura un nouveau visage. Un président en sera l'incarnation et la voix du continent sur la scène internationale. Déjà, le poste éveille la convoitise, et la rumeur circule sur la candidature de Tony Blair. Certains se réjouissent, d'autres s'inquiètent.


Le nouveau traité signé le mois dernier à Lisbonne par les 27 membres de l'Union européenne prévoit le toilettage de ses institutions et de leur fonctionnement. Au coeur du dispositif, un président du Conseil européen, choisi par les membres pour deux ans et demi, renouvelable une fois. Un bon candidat pourra donc tenir cinq ans, un mandat suffisamment long pour imprimer sa marque. La fonction est prestigieuse.
Depuis la création de la première communauté européenne, dans les années 50, l'Europe tente d'exister. Son poids économique dans le monde est plus important que son poids politique et militaire. Henry Kissinger, l'ancien secrétaire d'État américain, avait l'habitude de dire qu'il ne savait qui appeler lorsqu'il voulait parler à l'Europe. Eh bien! les Américains et les autres auront attendu. Le bureau et le numéro de téléphone sont prêts, il ne reste plus aux Européens qu'à choisir l'homme ou la femme en mesure de bien les représenter.
L'ancien premier ministre britannique Tony Blair est sur les rangs, du moins officieusement, puisqu'il n'a pas encore fait connaître son intérêt. Pour l'instant, ce n'est pas un homme au chômage. À 54 ans, il est engagé dans le processus de paix israélo-palestinien à titre d'envoyé spécial du Quatuor sur les questions économiques. Il est aussi conseiller spécial d'une grande banque et se promène, entre Davos et Paris, afin de répandre sa lumière sur à peu près tout. En attendant, ses amis s'agitent et font valoir sa candidature. Son meilleur allié est le président français. Nicolas Sarkozy n'a pas caché son engouement pour ce dirigeant de gauche de plus en plus séduit par les partis de droite. «C'est un grand d'Europe», a-t-il dit récemment en accueillant Blair lors d'un conseil national des militants du parti du président. Il a profité de la présence de son hôte pour narguer la gauche française. «Il est intelligent, il est courageux, il est fidèle. Un socialiste comme ça, (...) a toute sa place au gouvernement», a lancé celui qui compte dans son cabinet plusieurs anciens leaders du Parti socialiste français.
Si Blair décide d'entrer dans cette course à la présidence, l'appui du dirigeant français ne sera pas négligeable au moment des arbitrages entre d'autres candidats, mais rien n'est joué. La fronde anti-Blair a déjà commencé et les premiers coups sont venus... de leaders de droite. Et leurs arguments ont du poids. Polis et bien élevés, Valéry Giscard d'Estaing et Édouard Balladur n'en ont été que plus cinglants. Oui, Blair est intelligent et a «le sens de la communication», mais pour représenter et diriger l'Europe il faut être un vrai Européen. Or, disent les deux anciens dirigeants français, sur des questions essentielles, la Grande-Bretagne sous Tony Blair a préféré rester une île plutôt que de joindre le continent. Sur le plan communautaire, dans de multiples domaines, écrit Balladur, la Grande-Bretagne «a réclamé un statut spécial l'exonérant des obligations de droit commun pesant sur les membres de l'Union (...) et ne participe ni à la zone euro ni à la zone Schengen». Selon Giscard d'Estaing, «le futur président doit (...) appartenir à un pays qui respecte toutes les règles européennes».
En politique étrangère, écrit Balladur, l'Europe veut exister davantage dans le champ diplomatique et militaire, «mais de façon indépendante des États-Unis». Or, «comment M. Blair serait-il crédible pour incarner cette ambition, alors que, dans la désastreuse affaire irakienne, il s'est, avec zèle toujours, tenu aux côtés des États-Unis, quand il ne les a pas inspirés?» Dans les milieux de gauche, on n'est guère plus tendre envers lui.
La personnalité et le caractère du candidat ou de la candidate à la présidence de l'Europe seront de toute évidence déterminants dans sa sélection. Tony Blair ne manque ni de l'une ni de l'autre. Il a transformé le Parti travailliste et il a instauré des mesures sociales progressistes en Grande-Bretagne. Sur le plan personnel, il a su concilier ses valeurs libérales et sa ferveur religieuse. Il vient d'ailleurs de se convertir au catholicisme. Pourtant, avant de le choisir comme chef, les Européens doivent se rappeler comment il se laissa traiter par le président Bush lors du sommet du G8 en 2006. Au cours d'une séance de travail, le président lui lança un «Yo, Blair!» qui fit le tour de la planète. La conversation qui suivit portait sur les bombardements israéliens au Liban. Le premier ministre offrait de se rendre sur place afin «de parler», rien de plus. Bush l'ignora. «Yo, Blair!» président de l'Europe?
Tony Blair (Photo Bloomberg)

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Jocelyn Coulon

L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix. Il est aussi professeur invité au GERSI et au CERIUM de l'Université de Montréal (j.coulon@cerium.ca).
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