Une chance inouïe pour la Wallonie

Chronique de José Fontaine

Un gouvernement de centre-gauche est en train de se mettre en place en Wallonie. C'est une chance inouïe pour le Pays wallon.
En avril 1893, une grève violente souleva le sillon industriel wallon en faveur du suffrage universel. Les premières élections au SU (*) eurent lieu en 1894. Les socialistes eurent du premier coup 27 députés en Wallonie, devenant ainsi le premier parti wallon. Ils allaient le demeurer jusqu’à l’année 2007. Aux élections fédérales, ils furent distancés de près de 2% par les libéraux du MR. Aux élections régionales de 2009, ils ont repris leur première place en Wallonie, loin devant ces mêmes libéraux. On l’a parfois expliqué par les inquiétudes nées de la crise financière et économique mondiale.
Un « nationalisme » d’inspiration syndicale (et socialiste)
Somme toute, ce n’est pas la Wallonie toute entière qui est socialiste. Ce sont surtout les régions de vieille industrialisation étirées de Mons à Verviers sur un espace de 1000 km2 environ (1/16e du territoire), sur lequel vivent toujours la majorité des Wallons. C’est de cet espace aussi qu’ont jailli en un siècle les grèves générales de 1885, 1893, 1902, 1913, 1932, 1936, 1950 et 1960-1961. Elles étaient liées à diverses circonstances : conquête du suffrage universel en 1885 et 1893, mais aussi 1902 et 1913 ; crise économique lourde des années 30 ; insurrection contre Léopold III en 1950. En 1960-1961 une grève générale menée contre l’austérité proposée par un gouvernement belge assez à droite dure très longtemps (six semaines), échoue à demi et débouche sur la revendication du fédéralisme (la Belgique étant un Etat unitaire, cette revendication ne pouvait qu’être portée par un mouvement puissant réclamant l’autonomie wallonne). L’inspirateur de ce tournant du mouvement socialiste et ouvrier en Wallonie n’est pas un homme politique. C’est un syndicaliste, certes dirigeant d’un mouvement syndical très proche du Parti socialiste, mais malgré tout indépendant de celui-ci, comme le veulent fortement les Liégeois depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale: André Renard. Sans doute le personnage le plus important dans notre histoire.
On a fait la théorie de cette conjonction entre le « nationalisme » wallon d’André Renard et l’action ouvrière: l’article est long mais vaut la peine d’être lu et il montre quelque part que le « renardisme » fut vraiment une doctrine politique, sans doute située et datée, mais qui n’est pas qu’une simple tactique.
Le vert et le rouge : deux couleurs fort contrastées
Les socialistes wallons, au moins jusqu’aux années 1960, ont été finalement peu invités au banquet du Pouvoir belge. Ils en furent même souvent écartés. Ils se sont fortement installés dans les provinces (les départements français mais avec plus de compétences), et les communes. Ils y ont pris le pouvoir et leurs abus, leur morgue posent problème. D’autant que depuis 1960, ils sont plus souvent au pouvoir fédéral ou régional (ce dernier pouvoir tendant à prendre le pas sur le fédéral). Les élections de 2007 et de 2009 furent pleines des scandales qui ont réellement sali les socialistes depuis vingt ans et d’une image d’arrogance au pouvoir, de clientélisme qu’ils traînent avec eux, parfois à raison, mais aussi à tort. Face à eux, le seul parti à gauche qui ait tenu le coup ce sont les écologistes très forts en Wallonie et à Bruxelles depuis un quart de siècle. Les écologistes ont failli disparaître en 2003 et 2004. Mais ils sont maintenant fort présents. Si la future coalition en Wallonie risque fort de regrouper les socialistes, les anciens démo-chrétiens du CDh, c’est parce qu’ils le veulent. Pourtant les Verts sont profondément différents des Rouges : plus intellectuels, moins pouvoiristes, plus soucieux du développement durable, à l’intérieur d’un parti plus démocratique dans son fonctionnement, plus désintéressés aussi, je trouve. Plus soucieux de voir la Wallonie gouvernée du point de vue de l'intérêt général (et non en fonction des satrapies locales). Mais à gauche également. Les deux grands syndicats wallons ont souhaité d’ailleurs l’alliance qui semble devoir prendre forme en Wallonie (mais aussi à Bruxelles). Il est à espérer que les difficultés budgétaires nées de la crise n’empêchent pas ce trio de socialistes, de chrétiens et de verts de donner une impulsion à la Wallonie, tant sur le plan de son développement que des aspirations démocratiques et sociales. La présence des Verts au gouvernement peut aussi aider les socialistes à rompre avec leur passé pouvoiriste.
J’espère que cette coalition verra le jour car si c’est le cas, ce sera la meilleure chose qui soit arrivée à la Wallonie depuis longtemps.
(*) Le SU ne deviendra pur et simple (seulement masculin) qu’après la Grande guerre : en 1893, certains électeurs se virent attribuer plusieurs voix, selon divers critères (degré d’instruction, de richesse, familiaux…).

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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