«Une attaque frontale» d’Ottawa

La décision fédérale de contester «une des lois les plus importantes de l’histoire du Québec» ouvre la voie à une motion commune de l’Assemblée nationale, dit Cloutier

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Vers une motion unanime de l'Assemblée Nationale

Une « attaque frontale et sournoise » pour le Parti québécois, une intervention qui va de soi selon Ottawa et un geste inutile aux yeux du Parti libéral et de la CAQ. La décision du gouvernement fédéral de se prononcer sur la vieille contestation de la loi 99, qui affirme la règle d’une majorité simple pour trancher un référendum, suscite des réactions vives et, jure le PQ, ouvre la porte à une motion commune à l’Assemblée nationale.
Selon le ministre québécois des Affaires intergouvernementales, Alexandre Cloutier, le geste d’Ottawa participe d’une « décision politique », car « ça fait douze ans que la cause est devant les tribunaux » et « c’est la première fois que le gouvernement fédéral fait connaître ses arguments pour contester la loi ».

Adoptée en 2000 par le gouvernement de Lucien Bouchard, la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois stipule que celui-ci « peut, en fait et en droit, disposer de lui-même » et que, lors des consultations populaires, « l’option gagnante est celle qui obtient la majorité des votes déclarés valides, soit 50 % de ces votes plus un vote ».

Ce geste, à l’époque, réplique directement à la Loi sur la clarté référendaire que le Parlement a adoptée à l’initiative du Parti libéral du Canada. Cette loi, à laquelle Stéphane Dion a été lié intimement, stipule essentiellement qu’une séparation doit être précédée d’une question claire à laquelle répond une majorité claire.

Depuis une douzaine d’années, toutefois, cette loi est contestée devant la Cour supérieure par Keith Henderson, chef du Parti Égalité de 1993 à 2003. Mercredi, le gouvernement fédéral a déposé une déclaration d’intervention dans laquelle il demande à la Cour d’« atténuer » l’interprétation de certains articles ou, à défaut de pouvoir le faire, de les déclarer « inopérants ».

« Le gouvernement a décidé de contester une des lois les plus importantes de l’histoire du Québec », a dit le ministre Cloutier. « Les gens doivent comprendre que le gouvernement fédéral souhaite rendre invalides les dispositions qui portent sur le 50 % + 1, et invalider la capacité qu’a l’Assemblée nationale de déterminer de la question référendaire. »

M. Cloutier a émis l’hypothèse que le geste vise à plaire à la base électorale à la veille d’un congrès conservateur. Il croit par ailleurs que tous les partis de l’Assemblée nationale vont s’entendre rapidement sur le texte d’une motion commune.

« Les propos tenus par le gouvernement Marois plus tôt aujourd’hui sont faux. Nous n’avons aucune intention de rouvrir ce débat constitutionnel. La position traditionnelle du gouvernement fédéral demeure la même », a répondu dans un communiqué le ministre des Transports, Denis Lebel, lieutenant conservateur au Québec. « L’avis de la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec [1998] énonce clairement que le départ d’une province du Canada aboutirait à une modification à la Constitution. Ce n’est rien de nouveau. »

Sur les ondes de RDI, M. Lebel a ajouté qu’Ottawa ne faisait que répondre à une demande de l’avocat de M. Henderson. « Il a demandé au Canada “Voulez-vous défendre les lois canadiennes ?” Demandez à un bleuet s’il aime les bleuets. On ne pouvait pas dire non. »

Pas constructif, dit Couillard

Le chef du Parti libéral, Philippe Couillard, a refusé de condamner l’initiative du gouvernement fédéral. Tout au plus la trouve-t-il inutile. « Ça n’ajoute rien de particulièrement utile ou constructif à cette question, qui, de toute façon, n’est pas d’actualité. Les Québécois sont ailleurs depuis bien longtemps », a-t-il déclaré avant le début d’un caucus spécial de ses députés.

À l’époque, les députés libéraux avaient voté contre la loi 99. Le Parti libéral avait prédit que cette loi conduirait à des contestations judiciaires, a rappelé Philippe Couillard.

Cette contestation de la loi 99 par Ottawa ne change rien « à la réalité objective et fondamentale que la majorité des Québécois s’estiment très heureux dans le Canada, sont attachés au Canada », a-t-il soutenu.

Philippe Couillard appuie le consensus québécois qui veut que « l’avenir du Québec se décide au Québec par des Québécoises et des Québécois ». Il est en faveur de la règle du « 50 % +1 des voix pour sceller l’issue d’un référendum sur la souveraineté. Dans la mesure seulement où la question est claire, a-t-il prévenu, comme celle qui a été présentée au peuple écossais : “L’Écosse doit-elle être un pays indépendant ? Oui ou non”.»

De son côté, la CAQ estime que le débat constitutionnel « n’est pas la priorité des Québécois », mais que l’intervention fédérale est « inacceptable ».

Aux yeux d’Henri Brun, un expert en droit constitutionnel qui a offert un avis sur le projet de loi 99 au tournant des années 2000 et un autre sur la première contestation, le geste fédéral est « étonnant ». « Il est un peu bizarre. On se demande ce qu’il y a au juste derrière ça », a-t-il dit au Devoir.

Pas de fondement juridique

Dans sa déclaration, le gouvernement fédéral écrit notamment que « la Cour devrait prononcer une conclusion déclaratoire selon laquelle, en vertu de la Constitution du Canada, le Québec est une province du Canada et la loi contestée ne peut en aucun cas constituer le fondement juridique d’une déclaration unilatérale d’indépendance par le gouvernement du Québec, l’Assemblée nationale ou la législature du Québec ou d’une sécession unilatérale de “l’État du Québec” de la fédération canadienne ».

Le père de la Loi sur la clarté, Stéphane Dion, croit que le gouvernement fédéral s’acquitte de sa tâche. « C’est le devoir du gouvernement du Canada de nous protéger, nous les Québécois qui avons le droit d’être des Canadiens, à moins que nous décidions clairement de ne plus l’être et que cette séparation ait été dûment négociée », a-t-il dit sur les ondes de TVA.

« Le gouvernement québécois essaie par cette loi de s’arroger le droit de nous enlever le Canada unilatéralement. Il n’a pas ce droit, et le gouvernement fédéral est fondé d’appuyer la démarche en cour », a poursuivi M. Dion.

Le chef du Bloc québécois, Daniel Paillé, a estimé de son côté que le « gouvernement conservateur ne cesse de renier ses promesses d’ouverture envers le Québec et poursuit sa politique de fédéralisme prédateur en niant une fois de plus le droit à l’autodétermination de la nation québécoise ». Le NPD, pour sa part, a pour position que le Parti conservateur a délaissé le Québec.


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