Le département du Commerce américain n’a pas utilisé les comparatifs appropriés pour justifier l’imposition de tarifs douaniers sur le bois d’œuvre canadien, a estimé lundi l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans le cadre d’une décision largement favorable aux arguments canadiens qui a immédiatement réjoui l’industrie forestière et la classe politique. Les yeux sont maintenant rivés sur les Américains, car l’organe d’appel de l’OMC est présentement paralysé.
Le rapport de 257 pages, qui découle d’une plainte déposée par l’industrie américaine à la fin de 2016, est le plus récent chapitre d’une longue bataille que le Canada et les États-Unis se livrent depuis des décennies et qui n'en est pas à sa première apparition devant l’OMC, cible des critiques de Donald Trump depuis plusieurs années. Entre autres, l’OMC a noté lundi que les États-Unis ont fait fausse route « en rejetant indûment les prix d’enchères du bois debout au Québec proposés comme point de repère valable relatif au bois debout pour déterminer l’adéquation de la rémunération pour le bois », préférant plutôt utiliser le système d’enchères de la Nouvelle-Écosse.
Appel ou non ?
La décision du comité spécial de l’OMC survient quelques semaines après qu’un regroupement de pays, incluant le Canada et ceux de l’Europe, a trouvé des juges pour siéger à un tribunal temporaire. L’organe d’appel de l’OMC ne fonctionne plus depuis décembre 2019, car les États-Unis refusent de participer à la nomination de juges. Les Américains ne sont pas les seuls à avoir boudé le tribunal temporaire. Le Japon et l’Inde ont également fait bande à part.
Le gouvernement Trump a évoqué un « rapport erroné » lundi, en disant vouloir évaluer ses options.
« À mon avis, les Américains vont porter ça devant l’organe d’appel de l’OMC, parce que c’est un droit, qui n’a plus de juges. Mais c’est encore un droit », a dit en entrevue Geneviève Dufour, professeure de droit international économique à l’Université de Sherbrooke. « Ça va tomber dans une voûte de manière indéfinie jusqu’à ce qu’il y ait un organe d’appel, ou que les États-Unis décident de laisser tomber leur appel. Et c’est ça qu’on craignait tant : qu’une décision soit rendue contre les États-Unis, et que les États-Unis décident de porter en appel, ce qui fait en sorte que cette décision de première instance ne sera jamais effective. »
Selon le gouvernement Legault, qui évoque un « gain majeur », la décision de l’OMC « appuie les prétentions du Québec stipulant que son régime forestier respecte les règles du commerce international et que, par conséquent, le bois d’œuvre québécois exporté aux États-Unis ne devrait pas être assujetti aux droits compensateurs imposés par le gouvernement américain », a-t-il indiqué dans un communiqué.
L’industrie satisfaite
L’annonce des droits compensateurs et antidumping (qui peuvent atteindre 20,83 %) en 2017 avait incité le gouvernement du Québec à créer un programme d’aide financière pour les compagnies forestières. Un an plus tard, le programme demeurait inutilisé, les compagnies ayant pu éviter d’y avoir recours en raison de la hausse des prix du bois sur le marché américain.
« Bien qu’il ait lui-même demandé l’instauration d’un système d’enchères au Québec, le département du Commerce des États-Unis refuse de reconnaître le système québécois comme étant apte à déterminer le prix de marché et la juste valeur marchande des droits de coupe. Aujourd’hui, le rapport de l’OMC conclut qu’il avait tort », a réagi le p.-d.g. du Conseil de l’industrie forestière du Québec, Jean-François Samray, selon lequel il est « temps pour le gouvernement américain de reconnaître la validité de notre régime ».
« On pense que le gouvernement fédéral a tout en main pour faire pression auprès du département du Commerce pour régler le dossier et que les droits compensatoires soient éliminés », a dit M. Samray en entrevue téléphonique. « À plusieurs reprises dans le rapport, le panel de l’OMC dit que les États-Unis affirment des choses, mais qu’ils n’ont rien soumis pour présenter leur défense. » Même si les États-Unis faisaient appel, selon lui, cela ne les avancerait pas : « si je n’ai rien soumis pour me défendre, c’est difficile de pouvoir faire du chemin longtemps ».
Selon M. Samray, les droits douaniers sur les produits de l’industrie québécoise s’élèvent à 800 millions de dollars depuis 2017.