Longtemps présenté comme un futur joyau de la division aéronautique de Bombardier, l’ex-programme CSeries a entamé un nouveau chapitre jeudi, le fabricant montréalais ayant décidé de céder à Airbus et au gouvernement québécois le bloc d’actions qu’il détenait dans l’A220 en échange de 600 millions et d’une libération de ses obligations de financement. Le groupe français a décrit l’opération comme une « bonne nouvelle » pour l’industrie, car elle témoigne de sa vision à long terme pour le Québec.
L’annonce, qui porte la présence d’Airbus et de Québec à 75 % et à 25 % respectivement, marque le départ définitif de Bombardier d’une industrie qui a fait sa renommée. Pour le gouvernement, qui ne verse rien dans la transaction, elle a permis de faire une mise à jour : le placement de 1,3 milliard fait dans le programme en 2016 vaut aujourd’hui 700 millions dans ses livres, ce qui sera réévalué annuellement. Cette provision comptable de 600 millions a fait dire aux élus du Parti québécois et de Québec solidaire, une fois de plus, que la population mériterait d’avoir des explications sur l’usage des fonds.
La transaction « soutient nos efforts pour régler la question de notre structure de capital et finalise notre retrait stratégique du secteur aéronautique commercial », a affirmé le président de Bombardier, Alain Bellemare. La compagnie traîne une dette de 9,3 milliards $US, liée en partie au développement du programme CSeries, et a fait de l’allégement de son bilan une priorité au cours des dernières années.
Bombardier, qui recevra 591 millions $US dans la transaction, affirme que son encaisse sera maintenant de 4 milliards, compte tenu du fruit de certaines autres ventes. De plus, elle est immédiatement libérée des obligations de financement qu’elle avait à l’égard du programme A220, situé à Mirabel et en Alabama.
Pour illustrer le défi financier lié à la présence de Bombardier dans l’A220, la libération signifie que la compagnie pourrait conserver environ 700 millions en argent comptant au cours des 24 prochains mois, a dit le directeur financier, John Di Bert, lors d’une conférence avec des analystes. « Bien que la transaction vienne avec une radiation comptable de 1,6 milliard, elle améliore notre situation de liquidités globale de près de 1,3 milliard. »
Rachat reporté
La participation d’Investissement Québec (IQ), qui avait injecté 1 milliard $US (1,3 milliard $CAN) dans le programme en 2016 afin d’épauler Bombardier dans ses ennuis financiers, sera rachetée par Airbus en 2026, trois ans plus tard que prévu. « Cette clause [de rachat] remplace une option d’achat qui était valide, dans l’ancienne transaction, à partir du 30 juin 2023 », a expliqué le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, en conférence de presse. « Ce report […] permet d’espérer un rachat à une meilleure valeur, [étant donné] l’évolution et la croissance du programme. »
D’ici là, « on va tout faire pour essayer que ce projet-là soit un succès », a assuré le premier ministre François Legault. « On espère que la perte de 600 millions, on [pourra en] récupérer une partie d’ici 2026 », a-t-il déclaré. Si jamais le programme A200 nécessitait des capitaux supplémentaires, cela pourrait passer par des emprunts non garantis ou garantis souscrits par la coentreprise, a dit le ministre Fitzgibbon en entrevue. S’il s’agissait d’une dette garantie, la responsabilité serait celle d’Airbus, a-t-il précisé.
Je voulais que les Québécois n’investissent aucun sou de plus, mais gardent les 3300 emplois [en aéronautique]
Alors que plusieurs se demandaient si la compagnie allait annoncer la vente d’une division — les dernières rumeurs évoquant une offre imminente d’Alstom pour les activités de trains et de métros —, Bombardier s’est limitée à dire qu’elle poursuit l’examen de ses options stratégiques.
« Dans les circonstances actuelles, l’entente dans l’ensemble n’est pas une mauvaise chose », a dit Mehran Ebrahimi, directeur du Groupe d’étude en management des entreprises de l’aéronautique à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. « D’une part, le gouvernement du Québec voit sa part passer de 16 % à 25 % sans injecter de capitaux, c’est déjà intéressant. D’autant plus que c’est accompagné d’un report de la date de rachat de sa part à 2026. »
Carnet de commandes
M. Ebrahimi a notamment mentionné « le potentiel du programme, le carnet de commandes, les déboires du 737 MAX qui peuvent profiter à l’A220, les investissements qu’Airbus est en train de faire à Mirabel pour accélérer la cadence de production », pour conclure que le placement de Québec « ne sera pas une perte », générant peut-être « des surplus ».
Bombardier a cédé 50,01 % du programme CSeries à Airbus en 2018 afin de stimuler les ventes. Airbus n’avait pas eu à verser d’argent. À l’époque, la participation de Bombardier était de 34 %, comparativement à 16 % pour IQ. Depuis, le nombre de commandes nettes a augmenté de 64 % à 658 appareils.
« Je pense qu’on a une bonne transaction, a dit François Legault. Je voulais que les Québécois n’investissent aucun sou de plus, mais gardent les 3300 emplois [en aéronautique]. » Le ministre Fitzgibbon a dit avoir obtenu « des garanties verbales » et croit que « 300, 400 » emplois supplémentaires pourraient être créés, puisque les installations de Mirabel sont en mesure de faire passer leur production de 50 à 185 avions annuellement.
Ottawa et le milieu des affaires ont salué la transaction. Pour le Syndicat des machinistes, il s’agit de la « fin d’une époque », mais « nous connaissons déjà les intentions d’Airbus qui compte augmenter son empreinte au Québec ».