Un Québec qui perd ses repères

Il faut se méfier de ceux et celles qui veulent toujours remettre à plus tard ce qui doit être fait sous le prétexte que le peuple n'est pas prêt.

Projet d'Indépendance - un état des lieux automne 2011





À retenir
«À mon sens, tant que le régime confédératif tiendra Québec sous la tutelle d'Ottawa, il ne s'accomplira rien de décisif. Le parti politique — quel qu'il soit — qui nous sauvera sera celui qui mettra en tête de son programme comme article premier et essentiel une rupture de la Confédération.»
— François Hertel (Leur inquiétude, 1936)


Le Parti québécois fait les manchettes presque tous les jours depuis mai dernier. La défaite surprenante du Bloc lors des élections fédérales et une fin de session en dents de scie à l'Assemblée nationale, autour d'un quelconque amphithéâtre, ont fait oublier à nos élites politiques l'essentiel, la raison d'être fondamentale de leur engagement politique, qui est de placer les intérêts du Québec au premier plan de leur combat.
Il est triste de voir le Parti québécois se diviser alors que sa chef avait obtenu 93 % d'appui de la part de ses militants il n'y a pas si longtemps. Le PQ était en tête dans les sondages, et on assistait à l'usure du gouvernement. Les citoyens croient que la corruption est plus grande qu'avant. Ils espèrent plus de cohérence, plus d'intégrité de la part de nos élites politiques, et voilà que tout le monde veut créer son parti politique et devenir chef.
Les repères
Nos élites politiques ont perdu tous leurs repères. Le Québec vit toujours à l'ère de la mondialisation et des transformations économiques qui bouleversent nos structures de gouvernance. Par le passé, le PQ a toujours eu une vision globale des maux qui affectent notre société. Ce qui caractérisait le dynamisme de ses membres était de pouvoir comparer et partager avec d'autres sociétés sociales-démocrates tant nos difficultés que nos succès.
Il est temps que ces élites se ressaisissent, et ce, quel que soit le parti politique. Elles donnent l'impression que la terre est plate et, pourtant, elle tourne toujours! Pendant que chacun pense avec son ego surdimensionné que la solution passe par lui, par la création de nouveaux partis politiques et que le peuple suivra, on oublie de regarder en avant.
En fait, tous nos chefs politiques ont ces jours-ci des solutions — tant à droite qu'à gauche — à offrir à nos pauvres citoyens qui se désespèrent de voir le vide qu'ont les élites politiques et économiques à proposer: pas de vision, aucune définition des objectifs collectifs à atteindre.
Si nos politiciens n'ont rien à offrir aux Québécois, il est tout à fait normal que ceux-ci se désintéressent d'eux. Il faut éviter les batailles futiles et vaines sur la façon de faire l'indépendance. Insistons plutôt sur la volonté et la capacité de vouloir faire l'indépendance. Les nouveaux pays du siècle dernier ont été créés d'abord et avant tout grâce à la droiture et à la détermination de leurs élites. Comme me le demandait un collègue français: voulez-vous vraiment faire l'indépendance? Il en doutait à observer le comportement de nos élites.
Le goût du Québec
Nos combats collectifs — et au premier chef le développement de notre culture en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde ainsi que notre fierté nationale — semblent choses du passé. Il faut retrouver le goût du Québec. Pour cela, il faut aimer profondément ce pays qui est le nôtre et surtout ceux et celles qui l'habitent, comme nous le rappelait si souvent René Lévesque. On fait un pays avec des gens, des citoyens et non avec des amis Facebook!
Le développement humain et économique des régions, la volonté de transformer Québec en une véritable capitale nationale, et Montréal en une métropole internationale avec toutes les infrastructures et événements d'une ville qui revendique un tel titre, la mise en place des outils favorisant la responsabilité sociale des individus, leur capacité de décider quant à leur environnement immédiat, tout cela devrait servir à améliorer la qualité de vie de tous nos concitoyens.
En relisant François Hertel et son livre Leur inquiétude, de 1936, on peut retrouver les mêmes malaises qu'aujourd'hui alors que la jeunesse de l'époque se désintéressait de la politique à un moment où la situation économique était précaire, que les élites politiques avaient peu à offrir et que la corruption faisait ses ravages. C'est d'ailleurs dans ce contexte que l'Action libérale nationale (ALN) fut créée par des membres dissidents du Parti libéral qui finalement firent une alliance avec le Parti conservateur de Maurice Duplessis aux élections de 1935. S'il y a un parallèle à faire avec cette période, c'est surtout pour observer que les germes de la dissidence et du vide politique sont les mêmes. Mais ce qui est surtout inquiétant, de notre point de vue, c'est de voir cette montée d'une certaine droite qui n'avait que des solutions à court terme à offrir. La situation actuelle au Québec n'est pas unique. De plus en plus de partis de droite en Europe recueillent des appuis inattendus. L'histoire nous a pourtant appris qu'il faut être prudent avec ces vendeurs itinérants, car le vide politique peut aussi entraîner un vide social.
Ne pas manquer le rendez-vous
Pour se ressaisir, les chefs historiques du Parti québécois et des autres partis souverainistes devraient aujourd'hui être assis à une même table et avoir tous à leur programme le même article premier: faire l'indépendance du Québec. Il n'y a pas de place pour les fanfaronnades ou des débats futiles sur le pays rêvé. Il n'y a qu'un seul pays: celui qui se fait! Qu'on soit social-démocrate, de droite ou de gauche, qu'importe. Il faut se méfier de ceux et celles qui veulent toujours remettre à plus tard ce qui doit être fait sous le prétexte que le peuple n'est pas prêt.
Nos élites économiques devraient, elles aussi, être au rendez-vous. Il est étonnant d'entendre si peu d'entre eux parler de la nécessité pour nos entreprises de développer davantage leur expertise dans le but d'être présentes sur tous les marchés. Malheureusement, on a l'impression que l'indécision est plus souvent au rendez-vous que la volonté de placer le Québec dans le peloton tête des pays dynamiques et innovateurs.
Quelle tristesse également de voir la Caisse de dépôt et de placements subventionner des entreprises aux États-Unis sans que personne rechigne, sauf la chef du Parti québécois! La classe économique doit aussi retrouver un certain patriotisme économique. C'est la force de notre voisin du sud.
Le Québec a le choix. Devenir un acteur capable de faire vibrer la planète aux grands défis de ce siècle ou s'enfermer dans un provincialisme moribond. Mme Marois a beaucoup de courage en ce moment. Et elle a raison: il faut se ressaisir, retrouver ses marques, ses repères, pour pouvoir avancer. Pour cela, il faut retrouver urgemment le goût du Québec.
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Guy Lachapelle, professeur de science politique à l'Université Concordia


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