CONGRÈS MONDIAL DE SCIENCE POLITIQUE

Les gouvernements, des canards boiteux

Aujourd’hui, il ne s’agit plus uniquement de revoir l’ensemble des programmes de l’État, il s’agit aussi de proposer de nouveaux programmes

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C'est sûr ! À force de se tirer dans le pied...

Le concept de gouvernance ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté des politicologues. Les participants au congrès de Montréal se demanderont d’ailleurs si ce concept n’a pas perdu tout son sens et s’il peut être utile à la discipline. Si le mot gouvernance est un vieux mot français dont l’usage s’était perdu dans le temps, c’est le terme anglais «governance» qui s’est imposé non seulement dans l’analyse du rôle et du fonctionnement de l’État mais aussi lorsqu’il est question d’organisations internationales et d’entreprises privées. Dans de nombreux cas, le terme a été affublé d’adjectifs qui apportent plus ou moins de sens. On a beaucoup parlé de «bonne gouvernance». Pourtant, personne ne souhaitait de «mauvaise gouvernance»! Au Québec, le gouvernement Marois parlait même de «gouvernance souverainiste»! Les crises de légitimité successives et surtout le manque de moyens de nos gouvernements ont tellement miné leurs capacités à gouverner que nombreux se sont demandés si les gouvernements étaient encore nécessaires. Certains ont même proposé de confier la gestion de la santé à des sociétés d’État ou à des agences.

La «gouverne» de Gérard Bergeron

La science politique québécoise a inventé un concept, celui de «gouverne», qui traduit bien l’essence même des enjeux liés à l’action publique de nos gouvernements. Dans son remarquable traité Le Fonctionnement de l’État (1965), le professeur Gérard Bergeron, alors de l’Université Laval, avait ouvert la voie au Québec aux études plus théoriques sur les grands principes en matière de gestion efficace des gouvernements, et en particulier en ce qui concerne la mise en oeuvre des politiques. Il faut bien situer ce livre qui proposait un cadre général dans le temps: les fonctions redistributives de l’État-providence étaient alors en pleine croissance, une fonction publique moderne et compétente voyait le jour, de nouveaux systèmes de gestion budgétaire étaient mis en place —Planning Programming Budgeting System (PPBS)— et les citoyens demandaient de meilleures politiques mieux adaptées aux transformations sociales en cours.

Une décennie plus tard, Gérard Bergeron publiait un tome 2 sous le titre La Gouverne politique (1977). Bergeron faisait un constat: l’État n’était plus le lieu réservé aux hauts dirigeants et des grands technocrates. Il était de plus en plus traversé d’interactions entre des organisations diverses, des groupes d’intérêts et des acteurs sociaux. Le monde avait changé et l’État devait s’adapter dans son fonctionnement en interaction avec la société politique. Comme il l’écrivait dans son introduction, la gestion du changement social était un élément de sa réflexion. Comment les gouvernements pouvaient mettre de l’avant de meilleures politiques? Bergeron avait de quoi se mettre sous la dent surtout au Québec: la Révolution tranquille avait amené son lot de nouvelles politiques; les citoyens réclamaient davantage d’égalité sociale et d’occasions pour l’atteindre. De même, l’arrivée au pouvoir du Parti québécois en 1976, avec toutes les réformes entreprises par lui —langue, assurance-automobile, financement des partis politiques— tout cela ne pouvait que pousser davantage la réflexion sur les liens entre fonctionnement et changement au sein de l’État. Bref, nous aurions aimé que Gérard Bergeron soit de ce congrès afin qu’il puisse partager aujourd’hui ses réflexions sur l’évolution de nos administrations publiques et surtout sur les politiques publiques de nos gouvernements.

Du bon gouvernement au 20ème siècle

Les diverses réformes issues du nouveau management public comme la privatisation, la réduction de la taille de l’État ou les partenariats public-privé, n’ont fait que miner le rôle de nos gouvernements. Ils sont devenus des canards boiteux. Incapables de redresser les finances publiques, de proposer des politiques consensuelles et novatrices et de s’adapter aux changements sociaux actuels, l’État moderne est à la recherche de dirigeants forts qui sauront le guider dans les eaux tumultueuses de la mondialisation. Leur marge de manoeuvre est d’autant réduite que les coûts des programmes sont de plus en plus élevés. Les campagnes électorales se limitent en ce début de siècle à des débats sur la couleur du gazon du voisin —qui fait mieux et comment— et ont souvent une odeur de «provincialisme» malsain. Les partis politiques ne savent plus proposer de débats emballants de société sur de grands enjeux. Ils affirment tout au plus qu’ils seront meilleurs que leurs prédécesseurs. Ils n’arrivent pas à contrôler les dépenses de l’État.

Ce dont nous avons besoin de plus de plus, les chercheurs autant que les citoyens, ce sont de bons gouvernements qui font de bonnes politiques! Une bonne politique demeure celle qui recueille un large consensus tant au sein de nos élus que de la population et qui «fonctionne», au sens où Bergeron l’entendait. La loi sur les soins de fin de vie s’inscrit dans cette catégorie.

Le problème est que ceux et celles qui ont des décisions à prendre, ne savent plus comment s’y prendre. Ou qu’il s’engage dans des débats qui ne font que diviser la population, comme ce fut le cas avec la Charte de la laïcité. Malheureusement, de nombreux partis politiques se sont enfermés dans des idéologies et des conceptions de toute sorte croyant que c’était à eux, du haut vers le bas, de décider de ce qui était bon pour le peuple. Dans l’histoire de nos sociétés, nous avons eu de «bons gouvernements», mais ils se font malheureusement trop rares. Aujourd’hui, il ne s’agit plus uniquement de revoir l’ensemble des programmes de l’État, il s’agit aussi pour nos gouvernements de proposer de nouveaux programmes mieux adaptés aux défis de la gouverne contemporaine en remplacement des anciens qui ont fait leur temps. Savoir gérer le changement et proposer de bonnes politiques, voilà une condition sine que non à la bonne gouvernance.


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