Éthique et culture religieuse

Un programme dénué de véritable culture religieuse

ECR - Éthique et culture religieuse



Pour évaluer le programme d'éthique et de culture religieuse destiné au primaire, ce ne sont pas les beaux énoncés qui comptent mais ses contenus de cours. Le contenu de la culture religieuse est précieux en ce qu'il comporte une recherche de réponse aux questions existentielles que se posent les humains: l'origine de la beauté de l'univers, le bien et le mal, la vie et la mort, les valeurs de vie, les normes de comportement, notre destinée ici-bas et dans l'au-delà. Cela constitue le coeur des religions.

Étrangement, les contenus de cours de culture religieuse du programme et leur description détaillée [...] ne font aucune mention du coeur même du phénomène religieux. Ce que les jeunes élèves auront à apprendre, ce sont plutôt divers aspects de la pratique religieuse, tels les rituels et les symboles religieux, les objets et les lieux de culte, les célébrations et les calendriers des fêtes, les fondateurs et les guides spirituels, les postures de prière. C'est parce que ces facettes extérieures ne constituent pas le coeur des croyances que de nombreuses personnes se disent croyantes même si ces aspects extérieurs n'ont pas d'importance à leurs yeux puisqu'elles sont non pratiquantes.
C'est en allant au-delà de telles manifestations extérieures qu'on peut commencer à comprendre une religion. En limitant exclusivement les objectifs d'apprentissage à ces thèmes, le programme place les élèves en façade du religieux et omet de les faire pénétrer à l'intérieur des religions. Ce n'est donc que sous leurs apparences que le programme fera voir aux élèves les aspects extérieurs des religions. [...] C'est tout le contraire de ce qu'on doit attendre d'un programme qui prétend «manifester une compréhension du phénomène religieux».
Perception erronée
Au surplus, on sait que le caractère insolite, cocasse ou obsolète de certaines pratiques extérieures des religions témoigne de la difficulté qu'il y a à se faire une juste perception des religions et de leurs pratiques. La posture de prière particulière des musulmans ou le port chez les juifs hassidiques du couvre-chef noir sur cheveux bouclés ne manquent pas de nous apparaître parfois étranges. Or seule la connaissance de l'intérieur d'une religion permet de saisir le sens de telles manifestations. Les élèves du primaire ne pourront donc pas s'en faire une perception juste. Il n'est pas exagéré de penser que les élèves pourraient s'amuser de telles bizarreries et se moquer de ceux qui paraissent prendre tout cela au sérieux.
Le programme n'assurera donc aucunement le fait que les élèves deviendront respectueux des pratiques religieuses, des adeptes de ces pratiques ou des croyances qui s'y rattachent. Au contraire, le phénomène religieux risque fort de leur apparaître comme un bien drôle de phénomène!
Le dégoût du religieux
Pour que les élèves réussissent les examens, on les obligera à mémoriser une longue liste de mots difficiles servant à désigner ces aspects accessoires des diverses religions. Le programme n'en indique qu'une partie, mais celle-ci occupe déjà près de dix pages pleines: la croix huguenote, la menorah, le kirpan, le khanda, l'id el-Adha, l'Id el-Fitr, le Wesak, le Divali, le Tripitaka, le Bahgavad Gita, l'Aataentsic, le Nanajobo, le Glouskap, le Siddharta Gautarna. [...]
Aucun programme scolaire n'aura autant pour effet de faire des élèves, comme disait Montaigne, «des têtes bien pleines mais non bien faites». Même les cours d'histoire d'antan axés sur les dates, les noms de sites, de personnages et d'événements n'accédaient pas à une telle démesure. Mais malgré tout ce gavage, cet embonpoint de l'esprit n'est pas assuré. La mémoire détient la faculté d'oublier, comme pour se purger des connaissances superficielles. On peut donc se demander ce qui restera de formation aux élèves une fois l'examen passé.
On doit aussi se préoccuper du fait que les élèves pourront conserver un très mauvais souvenir de cette accumulation de données sur le phénomène religieux dont l'école ne leur aura pas présenté le coeur de la richesse. Au sortir de l'école, il est risqué qu'ils ressentent pour longtemps ou toujours de l'agacement ou de l'animosité à entendre parler de religion, quelle que soit la confession religieuse.
L'inculture religieuse
Quant au coeur du phénomène religieux que le désir de connaître de l'élève ne manquera pas de soulever, le programme misera sur la «combinaison» des contenus religieux avec les contenus du premier volet du programme sur les questions éthiques et sur le dialogue entre élèves. Le programme illustre cette combinaison par un exemple qui, déjà, laisse perplexe: le grand récit de Noé et du Déluge servira à sensibiliser l'élève à bien traiter les autres êtres vivants, dont les petits animaux, chats, lapins, hamsters!
Pour prendre un exemple de notre cru relatif aux humains entre eux, on peut aisément concevoir qu'une interprétation éthique de la parabole de l'enfant prodigue peut y voir le bienfait du pardon dans les relations interpersonnelles. Mais une lecture avec ces lunettes de l'éthique ne peut jamais être plus qu'une lecture de premier niveau; elle est incapable de rendre compte du véritable message du récit religieux. [...]
Le programme ne manifeste nulle part le moindre souci que les choses religieuses soient interprétées de façon conforme à une véritable culture religieuse. Là aussi, il s'en tient à la surface des écrits sacrés pour en faire un usage réducteur qui les rapetisse: il les subordonne à l'éthique, laquelle est d'origine et de portée simplement humaines, forcément non religieuses et non confessionnelles.
On reconnaît là la même mentalité réductrice que celle qui considère les grands fondateurs religieux, prophètes ou guides spirituels non pas comme des représentants ou porte-parole du religieux, du spirituel ou du divin mais comme de simples figures dominantes de l'humanité et qui, à la manière du philosophe allemand Karl Jaspers, place les Jésus et les Mahomet au même niveau que des philosophes de l'éthique comme Socrate ou Confucius.
Enseignants animateurs
C'est à l'élève, pourtant maintenu dans l'ignorance du savoir religieux véhiculé par la tradition, qu'est laissée la difficile tâche d'interpréter les textes sacrés. Le «rôle» de l'enseignant et sa «posture professionnelle» se limiteront à être un animateur, non un guide bien informé ou un expert en la matière, et à se faire un devoir de «ne pas influencer les élèves dans l'élaboration de leur point de vue».
Parce qu'on est conscient que l'élève ne pourra pas y arriver correctement, même à la suite des diverses interprétations issues de la discussion avec ses pairs -- aussi peu éclairés que lui --, le programme n'exige de l'élève que cette seule compétence à acquérir: «Reconnaître les diverses façons de penser, d'être et d'agir à l'intérieur d'une même tradition religieuse, dans différentes religions de même que dans la société.» Il est hautement navrant de constater que les activités d'apprentissage sont vouées à cultiver l'ignorance et à jeter le jeune esprit des élèves dans l'inconfort et l'angoisse de ne pas pouvoir faire la part des choses entre les diverses interprétations possibles.
Le discrédit sur les croyances
Le savoir religieux pouvant répondre aux questions existentielles est non seulement ignoré, il est discrédité par la démarche générale que le programme préconise. Intarissable quand il s'agit de faire état des actes de la raison pure et froide, le programme omet totalement de faire état du recours nécessaire aux démarches particulières de l'acte de croire et, à plus forte raison, omet de faire sa promotion.
La croyance puise ses racines dans la confiance et l'amour du messager. Et si le croyant peut faire une recherche lucide sur le message, ce n'est pas de façon obligatoirement déterminante aux yeux des critères de la pure et froide raison. Car là plus qu'ailleurs, le coeur, comme dit Pascal, a des raisons que la raison ne connaît pas.
En soumettant le contenu religieux au seul examen de la raison éthique, le programme ne peut que disqualifier les croyances et l'univers religieux. C'est là une façon de miner à la base l'existence même de la foi et de la croyance religieuse. Bref, le programme omet de faire état de ce que le phénomène religieux contient de plus précieux en ce qui a trait au coeur même des préoccupations humaines mentionnées ci-dessus. [...] Ce programme est davantage une injure à l'endroit du fait religieux comme tel et une insulte aux croyants de toutes les confessions. [...]
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Gérard Lévesque, Philosophe et chercheur autonome en éthique. philodroit@hotmail.com
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Ont signé cet article les professeurs de philosophie suivants (actifs ou retraités, ils sont rattachés au département de philosophie du cégep de Sainte-Foy): Marcel Bérubé, Charles Cauchy, Maurice Cormier, Michel Fauteux, Michel Fontaine, Richard Lussier et Gaston Nadeau.
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