Pour une fois que Jean Charest a de l'audace, n'allons pas tout de suite lui tomber dessus : nommer Yolande James, une jeune femme que je soupçonne fort d'intelligence, dans un cabinet aussi restreint d'où il a fallu tasser plein de gens de conséquence, ce n'est pas rien.
C'est la première femme noire au cabinet, ce qui n'est pas banal non plus. Il était temps, en fait.
Mais on proteste, dans les rangs libéraux, du fait de son manque d'expérience. Un cabinet ne peut pourtant pas se renouveler et n'avoir que des gens d'expérience, ça semble assez tautologique.
Mon collègue André Pratte se demandait hier si une Montréalaise noire, bilingue, pourrait calmer le jeu dans le dossier des accommodements raisonnables. Il me semble que cela ne devrait pas relever de la ministre de l'Immigration, mais du premier ministre lui-même, et du ministre de la Justice, gardien des droits et libertés. Même si les conflits naissent de la présence d'immigrants de récente date, la réponse n'appartient pas au ministre de l'Immigration, vu qu'on touche ici à des questions fondamentales concernant l'identité nationale.
De son côté, The Gazette reproche à la jeune femme de ne pas avoir refusé cette nomination, qui a fait d'elle " l'instrument avec lequel Jean Charest a asséné une giffle méprisante aux anglophones et aux allophones qui l'ont maintenu au pouvoir le mois dernier ".
Je veux bien qu'ils ne le prennent pas de voir tous les ministres anglophones disparus. De fait, la communauté anglophone se retrouve encore dans un cul-de-sac politique semblable à celui de 1989, quand Robert Bourassa a décidé de suspendre la Charte des droits pour maintenir en vigueur les dispositions de loi 101 sur l'affichage unilingue.
Ou diable voulez-vous que l'électeur anglophone non souverainiste (90 %) s'en aille? Au PQ? Chez Mario Dumont, l'autonomiste, le " provincial ", celui qui a dit Oui en 1995? Pas sûr
Ils sont poignés au PLQ. Ou alors ils se repartent une autre patente, genre Parti Égalité.
Les libéraux, eux, aiment bien les Anglais le jour du vote. Mais après, les Anglais deviennent vite encombrants. Les libéraux veulent aller concurrencer l'ADQ en province. Voyez comme Jean Charest a lourdement appuyé sur les " régions ", mercredi. Elles sont devenues le moteur économique du Québec, imaginez! Il n'ira pas débarquer de sitôt à Portneuf avec mon oncle du West Island. Voilà la vérité politique toute crue.
Mais de là à dire que Mme James aurait dû renoncer à cette nomination, franchement, c'est ridicule. Elle a de l'ambition, elle a la formation (c'est une avocate), elle a la tête : voyons voir.
Justice et police
Cela dit, il y a un reproche fondamental à faire à Jean Charest, et je suis étonné de ne pas l'avoir entendu jusqu'ici : on ne nomme pas la même personne ministre de la Justice, procureur général et ministre de la Sécurité publique.
C'était pourtant une question assez clairement réglée au Canada depuis à peu près 20 ans. Ni à Ottawa ni dans les grandes provinces on ne fait ça. Au Royaume-Uni, on ne verrait jamais le titulaire du Home Office nommé procureur général - ce dernier ne siège même pas au cabinet, par souci d'indépendance. En France, le Garde des Sceaux n'est pas le ministre de l'Intérieur, et aux États-Unis, l'Attorney General n'est pas le Secrétaire à l'Intérieur, ni le responsable de la sécurité nationale.
Pourquoi? Parce que la fonction qui consiste à poursuivre en justice des individus (procureur général) n'est pas compatible avec celle de superviser le travail des corps de police (Sécurité publique). Ce sont deux postes extrêmement délicats, qui consistent à rendre compte du travail de gens qui doivent être indépendants du gouvernement (les substituts du procureur général et les policiers).
Ce sont souvent des fonctions qui s'opposent. Les policiers font enquête et, sur cette base, les procureurs décident s'il y a lieu de poursuivre ou pas. Ils ne sont pas toujours d'accord et ne doivent pas toujours l'être.
Il arrive aussi que le procureur général doive poursuivre un policier. Ou qu'un policier enquête sur un politicien.
Parfois, surtout dans les cas difficiles, qui touchent des personnalités connues ou qui ont des ramifications politiques, des comptes doivent être rendus publiquement. Pourquoi n'accuse-t-on pas? Qu'attend-on? Ou encore : pourquoi a-t-on condamné Simon Marshall?
On nous dira que la création de la Direction des poursuites criminelles et pénales, instance désormais plus indépendante que jamais du procureur général, règle le problème. Ce n'est pas le cas. Si on a créé ce poste, c'est pour donner toutes les apparences de l'indépendance à ceux qui décident d'accuser. Le procureur général, il est vrai, ne peut donner des instructions au DPCP que par écrit, et à toutes fins utiles, c'est le DPCP qui a le dernier mot. C'est entre autres après le scandale de la prostitution juvénile à Québec qu'on a pris cette décision. Mais le DPCP relève encore, ultimement, du procureur général.
La même prudence qui a présidé à la création de ce poste, occupé par un avocat, ancien cadre de la Sûreté du Québec, devrait nous empêcher de réunir le ministre de la police et celui des procureurs. On pourrait ajouter aussi que le ministre de la Justice nomme les juges et que le ministre de la Sécurité publique s'occupe des prisons et des libérations conditionnelles.
On dira qu'il s'agit là d'objections techniques. Après tout, on réunit les Finances et le Trésor, et plein d'autres choses.
Ce n'est pas le cas. Il s'agit d'une question de principe depuis longtemps établie, et pour des bonnes raisons, c'est-à-dire l'intégrité et l'apparence d'intégrité et d'indépendance de la justice criminelle.
Ce double mandat de M. Dupuis nous fait reculer de 20 ans. Ces chapeaux sont trop nombreux pour une seule tête, aussi grosse soit-elle.
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