André Boisclair prenait un sérieux risque en se rendant en France au beau milieu de la campagne présidentielle. D'abord, sa visite aurait pu passer totalement inaperçue. Pour le chef du PQ, qui tente de se donner un peu de stature avant d'affronter l'électorat, un coup d'épée dans l'eau aurait été passablement déprimant. Sur ce plan, il est pleinement rassuré: son voyage a fait du bruit. Peut-être même un peu trop.
Le plus grand danger était cependant de provoquer un recul de la position française sur la souveraineté du Québec. Il y a longtemps que l'ensemble de la classe politique française a fait consensus. Après le principe de la non-ingérence et de la non-indifférence, jadis énoncé par Valéry Giscard d'Estaing, elle a adopté celui de l'accompagnement, quel que soit le choix que feront des Québécois.
Sauf qu'à partir du moment où la souveraineté devenait un objet de débat dans la campagne présidentielle, le choc des intérêts partisans risquait de faire éclater ce consensus. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le passage de M. Boisclair ne l'a pas renforcé.
On peut comprendre qu'il soit anxieux de démontrer qu'il peut jouer dans la cour des grands, et la France est le seul endroit où un leader souverainiste, même dans l'opposition, peut espérer être reçu avec autant d'égards. Mais valait-il la peine de prendre un tel risque qu'aucune urgence ne justifiait?
Certes, la reconnaissance de la communauté internationale demeure un élément clé de la stratégie souverainiste. À Paris, on est cependant bien au fait de la conjoncture politique québécoise. Le PQ n'a pas précisément le vent dans les voiles et la tenue d'un troisième référendum demeure très hypothétique.
S'il devient premier ministre, M. Boisclair aura tout le loisir de retourner en France et de préparer une réédition du «grand jeu» de Jacques Parizeau. Pourquoi intimer la France de choisir son camp dès maintenant et s'aliéner le Canada, un ami de toujours?
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En janvier 1995, M. Parizeau avait réussi à susciter une véritable surenchère entre Jacques Chirac et Édouard Balladur. Les deux candidats à l'investiture de la droite avaient rivalisé de sympathie pour le projet souverainiste.
En prime, l'ambassadeur du Canada à Paris, Benoît Bouchard, avait gravement insulté le président de l'Assemblée nationale française, Philippe Séguin, en le traitant publiquement de «loose cannon». M. Parizeau était rentré à Québec en ayant toutes les raisons de croire que la France mettrait tout son poids dans la balance si le OUI l'emportait.
On ne réussit généralement un coup comme celui-là qu'une seule fois. Lundi, la prise de position de Ségolène Royal a été si spectaculaire qu'elle a même inquiété le camp souverainiste. Même si la réaction négative de la presse française visait d'abord Mme Royal, la souveraineté risquait d'écoper du même coup. Cette réprobation générale de son ingérence dans les affaires intérieures canadiennes avait certainement de quoi réjouir Ottawa.
Le malaise était perceptible jusque dans le couple Royal-Hollande, que la campagne met décidément à rude épreuve. «Paris ne peut pas, à l'heure actuelle, s'ingérer dans les affaires internes canadiennes», s'est empressé de corriger son conjoint et secrétaire général du Parti socialiste, François Hollande.
Même si elle s'est exprimée de façon maladroite, la déclaration de Mme Royal représentait sans doute le fond de sa pensée. Elle risque toutefois de conserver un assez mauvais souvenir de sa première incursion à l'intérieur du triangle Québec-Paris-Ottawa. Cela la rendra certainement plus prudente si jamais elle se retrouve à l'Élysée.
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Bien que M. Boisclair ait nettement plus d'affinités avec la candidate socialiste, dont il dit s'inspirer, sa rencontre avec Nicolas Sarkozy était le clou de son voyage. Le premier tour de l'élection présidentielle n'aura lieu que dans trois mois, mais le ministre de l'Intérieur fait actuellement figure de favori. S'il doit y avoir un autre référendum, il y a de bonnes chances qu'il soit tenu sous son règne.
Après le tollé soulevé par la déclaration de Mme Royal, M. Sarkozy se retrouvait dans une situation délicate, mais il aurait très bien pu réitérer le principe de la non-indifférence, quitte à insister davantage sur la non-ingérence que sur l'accompagnement. Dans les circonstances, le silence dans lequel il s'est réfugié hier à l'issue de sa rencontre avec M. Boisclair semblait bien lourd, peu importe la longueur et la chaleur de l'entretien.
Dans son désir d'en découdre avec sa rivale de gauche, on pouvait craindre que M. Sarkozy ne jette le bébé avec l'eau du bain. Au moins, il n'a pas renié la position traditionnelle de la France, à défaut de la réaffirmer.
Les déclarations de son entourage avaient pourtant de quoi inquiéter. Quand un de ses conseillers a déclaré que la France «n'est pas dans le business de démanteler le Canada», cela ressemblait dangereusement à un appui à l'unité canadienne.
Même s'il s'inscrit en principe dans la lignée politique du général de Gaulle, M. Sarkozy n'a jamais donné l'impression de s'intéresser beaucoup à la question québécoise lors de ses rares rencontres avec des souverainistes par le passé. Il leur a surtout semblé préoccupé de maintenir ses bonnes relations avec la famille Desmarais, très présente dans la capitale française.
D'ailleurs, même si l'habit ne fait pas le moine, le premier réflexe d'un ministre de l'Intérieur qui a promis d'en finir avec la violence en Corse n'est généralement pas d'encourager les visées sécessionnistes, où qu'elles se manifestent.
Si, au lendemain d'un OUI, l'opinion française se mobilisait en faveur de la souveraineté du Québec, le président Sarkozy n'irait sans doute pas à contre-courant, peu importe ses sentiments personnels, mais quelles raisons pourrait-il avoir aujourd'hui de croire que cela se produira?
mdavid@ledevoir.com
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