Bill et Ségolène

Par Luc Dufresne

Boisclair à Paris

La saga entourant la déclaration de madame Ségolène Royal sur la souveraineté du Québec est plutôt divertissante. Que les sarkozistes français en fassent tout un plat c'était prévisible dans une campagne pour la présidentielle. C'est d'ailleurs un plat qui leur a été servi obligeamment par Stephen Harper et Stéphane Dion qui ont décidément l'épiderme sensible.
Pourtant, madame Royal ne détient aucune fonction officielle, elle n'est qu'une candidate parmi plusieurs et il n'est pas certain qu'advenant son élection à la présidence elle tiendrait le même discours bien qu'exprimer sa "sympathie" pour une cause soit finalement quelque chose d'assez anodin. "Beaucoup de bruit pour rien" comme aurait dit Shakespeare.
Mais je me suis rappelé qu'en 1999, Bill Clinton, alors président en exercice, était venu à Mont-Tremblant participer à une conférence internationale sur les fédérations.
Et là, dans un discours soigneusement préparé, il s'était livré à une vigoureuse défense du fédéralisme canadien. C'était pour le chef d'un État étranger prendre position sur le même sujet que Ségolène Royal.
Or, la réaction à cette intervention avait alors été fort différente. Cette "ingérence dans les affaires internes du Canada" avait été accueillie comme une véritable bénédiction à Ottawa et brandie triomphalement, à gauche et à droite, par Stéphane Dion.
Il faut croire que quand il s'agit de la "bonne cause", dans une occasion semblable, tout comme pour Option Canada, les règles habituelles méritent d'être "assouplies".
Mais au-delà de ces péripéties anecdotiques, on assiste à des formes d'ingérences plus sérieuses qui n'obtiennent pas une fraction de la couverture médiatique que la déclaration de madame Royale s'est attirée.
Ainsi, les ambassadeurs des États-Unis ont pris l'habitude, ces dernières années, de distribuer sur la place publique canadienne les bons et les mauvais points en matière de décisions et de politiques du gouvernement canadien. On a parfois l'impression qu'ils se prennent pour des proconsuls en poste dans un protectorat. Et bien souvent nos dirigeants, loin de protester, réagissent plutôt comme des petits garçons pris en faute.
Mais peut-être vivons-nous effectivement dans un protectorat. Ainsi, récemment, on a appris que le gouvernement des États-Unis demande maintenant aux compagnies canadiennes comme Bell hélicoptère et la Banque royale de se conformer, au Canada même, aux lois américaines qui violent de façon flagrante les dispositions de la Charte canadienne des droits. Et les compagnies de s'exécuter, et Ottawa de s'enfermer dans un silence assourdissant.
Mais le plus "beau cas" et le plus récent concerne les sables bitumineux de l'Alberta. Le président Bush veut réduire la dépendance des États-Unis à l'égard des pays "incertains" pour les approvisionnements pétroliers.
Aussitôt, libéraux et conservateurs s'empressent d'envoyer des représentants s'asseoir avec ceux de Washington et des grandes pétrolières, pour "livrer la marchandise". Et les conclusions de leur rencontre?
Même les représentants des ministères canadiens endossent, sans réserve, les demandes américaines de multiplier jusqu'à cinq fois la production et d'"alléger" les procédures pour accélérer la réalisation du projet sans qu'on songe un instant, semble-t-il, à prendre en compte les conséquences environnementales et économiques qu'il entraînerait au Canada.
Après tout, ce qui compte et ce qui presse, n'est-ce pas, ce sont les besoins des Américains, de leurs Hummers et autres VUS.
Et pendant qu'on décide ainsi à Washington de l'avenir environnemental et économique du Canada, messieurs Harper et Dion s'égosillent sur la place publique, faisant surenchère de "vertitude".
Je veux bien que les politiciens d'Ottawa s'intéressent aux ingérences étrangères dans les affaires intérieures du Canada mais plutôt que de se soucier de celles qui égratignent leur vanité ne devraient-ils pas plutôt s'occuper de celles qui bafouent nos valeurs fondamentales et risquent de compromettre notre avenir?


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