Qu'est-ce qu'on fait colons !

Boisclair à Paris



Il faut remonter au début de l'année 1995 pour retrouver une visite de chef du Parti québécois en France aussi retentissante que celle d'André Boisclair cette semaine à Paris.
Comme cette année, une campagne présidentielle battait son plein et Jacques Chirac avait de la difficulté à s'imposer comme seul candidat de la droite contre le premier ministre Édouard Balladur. Cela n'empêcha pas Chirac d'émettre des opinions sur ses amis du Québec.
Informé de cette audace, le premier ministre du Canada de l'époque, Jean Chrétien, réagit méchamment : «Le Québec a autant de chances de devenir souverain que Jacques Chirac de remporter la course à la présidence de la République française...» Et Vlan ! Quelques mois plus tard, Jacques Chirac devenait tout de même président de la République et le Québec passait à un cheveu de dire Oui à la souveraineté.
Les échanges de cette semaine entre la candidate officielle du Parti socialiste français et le chef du Parti québécois n'auront pas la même portée. Il n'y a pas urgence d'ailleurs puisque André Boisclair n'est pas encore premier ministre. Et surtout, il s'agit d'une histoire fabriquée de toutes pièces par un journaliste de la télévision.
Certes, un candidat à la présidence de la République française doit être prêt à tout. Les adjoints de Ségolène Royal ont commis une faute impardonnable en la laissant dans un étroit couloir à la merci des journalistes. Elle n'avait d'autre choix que de répondre, ce qu'elle fit avec une spontanéité au demeurant fort sympathique. [En passant, les journalistes français sont beaucoup plus civilisés, trop sans doute...]
Quelle gaffe ?
Ceci dit, quelle gaffe a encore commis Madame Royal ? L'originalité de sa campagne, qui explique largement sa popularité, est qu'elle se veut proche du peuple, l'écoutant attentivement, lui parlant avec son coeur. Ce n'est qu'au début de mars qu'elle fera connaître son programme et qu'elle tiendra alors un discours plus solennel de candidat.
Tout compte fait, j'ai trouvé fort joli ce qu'a dit la Française : le mouvement souverainiste «est conforme aux valeurs qui nous sont communes, c'est-à-dire la souveraineté et la liberté du Québec. Et je pense que le rayonnement du Québec et la place qu'il occupe dans le coeur des Français vont dans ce sens...» Comme toujours, la femme parlait avec son coeur beaucoup plus qu'avec une tête de chef d'État. Elle réitérait la sympathie naturelle des Français pour la cause du Québec.
Qu'y a-t-il de répréhensible, sinon pour quelques chroniqueurs cyniques ? Qu'y a-t-il d'irritant, sinon pour les politiciens fédéraux ? La réaction de Stephen Harper fut tout à fait prévisible, encore qu'exagérée. Nul n'était besoin d'une déclaration solennelle : une blague comme le fit Jean Chrétien en 1995 aurait suffi. Ce qui aurait dû rester un épisode mineur de la campagne présidentielle française a pris une dimension considérable. Dans une certaine mesure, c'est un bon coup de pouce que Harper a donné au candidat de la droite, Nicolas Sarkosy, en émettant cette déclaration : cela donnait un caractère dramatique, à la limite de l'incident diplomatique, à la déclaration de Mme Royal.
Boisclair s'en sort
André Boisclair, dans tout cela, s'en est très bien sorti. Il a même eu droit à de grands articles, plutôt flatteurs, dans les grands journaux français. Un peu surpris lui-même des bons mots de Madame Royal, il est resté sur la réserve. Il aurait cependant pu forcer un peu plus la main de Sarkosy, qui s'en est finalement sorti en ne disant rien [et sans que les mêmes journalistes fassent preuve d'autant d'insistance qu'avec Madame Royal.] Le comble pour un gaulliste !
Ceci dit, cette affaire sera sans conséquences sur les chances électorales d'André Boisclair, oui sur celles de Ségolène Royal. Elle a eu assez peu d'écho ici, dans les médias anglophones du reste du Canada. Mais elle a rappelé un peu partout dans le monde -- merci TV5 ! - qu'il existe toujours, au sein de la fédération canadienne, une province dont une partie de la population, et l'un des deux grands partis représentés à l'Assemblée nationale, poursuivent le rêve de «la souveraineté et la liberté...»
Tel est le résultat concret de cette visite d'André Boisclair en France. Cela valait la peine. Et si certains Québécois en sont gênés, c'est peut-être qu'ils sont un peu trop «colons» pour assumer d'être au coeur d'une polémique sur la scène internationale. N'est-ce pas sur cela que comptent les politiciens fédéraux - Stéphane Dion autant que Stephen Harper - pour qu'une majorité ait peur de voter Oui à la souveraineté ?


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé