Passages obligés

Boisclair à Paris


C'est devenu un passage obligé, une sorte de rite initiatique. Un leader souverainiste doit faire un pèlerinage outre-Atlantique, dans la mère patrie, pour expliquer ce qu'on appelle maintenant le projet de pays, solliciter des appuis dans le monde politique français, glaner quelques déclarations favorables à la cause.
Ce rituel a été érigé en art, entre autres par celle qui fut la ministre péquiste des Affaires intergouvernementales, Mme Louise Beaudoin. Un art qui a donné naissance à un genre politico-médiatique qui consiste à scruter ces incursions en terre de France pour les décoder et en mesurer le succès. Qui a accepté de recevoir le dignitaire québécois? Quelle a été la durée des rencontres? Ont-elles mené à des déclarations favorables? Le visiteur québécois a-t-il eu droit à des égards particuliers? Comment l'a-t-on accueilli? Par quelle porte est-il entré? A-t-il été raccompagné par le politicien français? etc, etc, etc.
Ce rituel a sûrement atteint un sommet, il y a une dizaine d'années, quand le premier ministre Lucien Bouchard a sorti un bout de papier à la porte de l'Élysée pour lire une transcription des quelques phrases que le président Chirac avait consacrées au problème québécois.
À cette échelle, le nouveau chef du PQ, André Boisclair, a certainement frappé le «jackpot» lundi, quand la candidate socialiste à l'élection présidentielle, Ségolène Royal, après une brève rencontre, a clairement appuyé la cause souverainiste, rompant avec la tradition de non-ingérence et de non-indifférence adoptée par la classe politique française.
Mais pour une fois, ce genre d'incident aura probablement plus d'impact en France qu'au Québec. La déclaration de Mme Royal n'est en effet pas passée inaperçue dans son pays, parce qu'elle s'ajoute à d'autres incidents qui révèlent sa propension à se mettre les pieds dans les plats dans les affaires internationales. Dans ce cas-ci, en s'ingérant dans la vie démocratique d'un pays ami.
Il vaut la peine d'analyser soigneusement ce qu'a dit Mme Royal. «Quelles sont vos affinités avec la souveraineté du Québec?» lui a demandé un journaliste de Radio-Canada. «Elles sont conformes aux valeurs qui nous sont communes, c'est-à-dire la souveraineté et la liberté du Québec», avant d'ajouter «je pense que le rayonnement du Québec et la place qu'il occupe dans le coeur des Français vont dans ce sens». Les phrases sont mal construites et confuses, mais Mme Royal semble bien dire que la souveraineté du Québec correspond à ses valeurs.
Le lendemain matin, la première question à Mme Royal, dans une entrevue à la radio de Europe 1, portait sur sa déclaration. Et déjà, elle pédalait à reculons, se défendant bien d'ingérence. «Ce que j'ai dit, et ce que je confirme, c'est que, comme dans toute démocratie, le peuple qui vote est souverain et libre», pour ajouter que, si les Québécois sont appelés à se prononcer une troisième fois sur cette question, «ils le feront de façon souveraine et libre». Ce qui ne veut rien dire. Bref, en France, Mme Royal est dans l'embarras.
Mais au Québec, est-ce que cela pourra servir M. Boisclair? Cela risque plutôt d'être le contraire. D'abord parce que l'histoire, après les revirements de Ségolène Royal, se termine en queue de poisson.
Ensuite parce que cela peut donner l'impression que M. Boisclair, même s'il est issu d'une autre génération, davantage tourné vers l'Amérique que ses prédécesseurs, n'a pas rompu avec cette tradition de mendicité politique. Cependant, à la décharge du chef péquiste, il faut souligner que ce n'est pas lui qui a manoeuvré pour arracher cet appui confus qu'il a d'ailleurs accueilli avec retenue et sobriété.
Mais aussi parce que les appuis politiques d'un politicien français, ou d'une politicienne, ont surtout une résonance pour les nationalistes québécois francophiles, en général plus âgés. Les Québécois plus jeunes, que M. Boisclair veut conquérir, risquent plutôt d'en être agacés.
N'oublions pas que la quête d'appuis français s'inscrivait dans une stratégie diplomatique qui a beaucoup perdu de son sens. On se souvient que lorsque Jacques Parizeau dirigeait le PQ, ce «grand jeu» visait à s'assurer, au lendemain d'un OUI victorieux, d'un appui rapide de la France pour favoriser la reconnaissance internationale du nouveau pays.
Résumons. Cette alliance d'un jour nous rappelle que M. Boisclair, qui n'est pas du tout certain de remporter les prochaines élections, et encore moins certain de tenir un référendum s'il devient premier ministre, et encore moins certain de gagner cet éventuel référendum, a obtenu l'appui assez confus à sa très hypothétique victoire référendaire d'une politicienne française dont la victoire n'est pas non plus acquise. Et cela nous ramène à l'essentiel. L'issue d'un référendum, s'il y en a un, appartiendra aux Québécois.


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