Travailler, c'est trop dur

Par Benoit Dostie

Le «modèle québécois»

Le Québec ne pourra jamais rattraper son retard face au reste du Canada, en matière de richesse par habitant, sans augmenter le nombre d'heures travaillées
Tel que souligné dans le rapport de la banque TD publié la semaine dernière, une grande partie de la différence de niveau de vie entre le Québec et ses voisins est due au fait que les travailleurs québécois sont au travail moins d'heures annuellement. Si on compare le Québec au reste du Canada, la différence dans les heures travaillées explique près de 40% de la différence de PIB par habitant en 2005. On peut aussi montrer que, sur la période 1997-2005, la différence moyenne dans les heures travaillées annuellement entre le Québec et l'Ontario équivaut à deux semaines de travail en défaveur du Québec. Ce texte explore quatre explications pour cette différence dans les heures travaillées.
Goût du loisir
Une première explication potentielle est que les Québécois préfèrent avoir plus de loisirs que les autres Canadiens et ajustent donc leur offre de travail en conséquence. En effet, il est possible de trouver des chiffres sur cette question dans les données de Statistique Canada, lorsqu'on demande aux travailleurs canadiens s'ils sont satisfaits de leur horaire de travail ou s'ils préféreraient travailler plus ou moins (pour un salaire plus ou moins élevé).
Une analyse des différences interprovinciales montre que les Québécois sont effectivement plus satisfaits de leur horaire de travail et sont moins nombreux à réclamer une baisse de leurs heures travaillées. Cependant, la différence dans les taux de satisfaction en 2003 (73,6% au Québec c. 70,4% au Canada) est trop faible pour expliquer les différences dans les heures travaillées. De plus, nul ne peut dire comment ces préférences évolueraient si les Québécois faisaient face à une fiscalité différente. ()
Féminisation de la main-d'oeuvre
Par ailleurs, il est reconnu que la participation des femmes au marché du travail a beaucoup augmenté ces dernières décennies. () Comme les femmes travaillent en moyenne moins d'heures que les hommes, et que le taux de participation des femmes au marché du travail augmente plus rapidement au Québec qu'en Ontario, la féminisation de la main-d'oeuvre pourrait contribuer à creuser le différentiel dans les heures travaillées entre les deux provinces.
Cependant, on peut calculer que si la proportion de femmes sur le marché du travail avait augmenté au même rythme qu'en Ontario depuis 1997, cela aurait réduit la différence dans les heures travaillées de moins de 1%. Ce n'est donc pas là non plus qu'il faut chercher une explication
Institutions et syndicalisation
Par contre, il existe des différences institutionnelles frappantes entre le Québec et l'Ontario en matière de syndicalisation et de taille de la fonction publique. Sans vouloir ressasser inutilement ces différences maintes fois examinées, rappelons tout de même que 34,1% des travailleurs québécois disaient être syndiqués en 2005 alors que c'était le cas de 25,3% en Ontario. Il en est de même pour la taille de la fonction publique, qui représente 23,1% des travailleurs au Québec contre 19,5% en Ontario.
Maintenant, notons que les travailleurs syndiqués québécois travaillent en moyenne 1554 heures par année contre 1745 heures pour les non-syndiqués et que la comparaison privé-public montre aussi une différence de près de 300 heures travaillées supplémentaires en faveur des travailleurs du secteur privé.
On peut utiliser ces chiffres pour calculer que si la proportion de travailleurs syndiqués québécois diminuait au même niveau qu'en Ontario et si on attribuait à ces derniers les même heures annuelles que leurs collègues non syndiqués, la différence dans les heures travaillées entre le Québec et l'Ontario diminuerait de 25%. Si on fait de même avec les travailleurs du secteur public, la différence diminue de 12,5%.
Évidemment, ces simples calculs ne tiennent pas compte de toutes les différences entre les types de travailleurs et ne permettent donc pas de conclusion définitive. Par contre, ils montrent quand même que les différences dans les heures travaillées entre les provinces ne sont pas immuables mais plutôt potentiellement influençables par la politique publique.
On peut conclure qu'il est impensable que le Québec puisse rattraper son retard face au reste du Canada en matière de richesse par habitant sans augmenter le nombre d'heures travaillées par personne sur le marché du travail. Sinon, il faudra s'avouer qu'il n'a pas les moyens de maintenir le même niveau de vie que ses voisins.
BENOIT DOSTIE
L'auteur est professeur adjoint à l'Institut d'économie appliquée, HEC Montréal et chercheur au Centre interuniver- sitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).


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