Le devant de la scène politique est largement occupé par les allégations de corruption qui font tomber dans l'ombre des enjeux fondamentaux auxquels fait face l'État québécois, pourvoyeur de tout en tout, qui tient encore en 2010 à son sacerdoce de régence de notre vie en société. Ce «Tout-État» est le résultat d'une culture bureaucratique qui nous est propre et qui a une histoire marquée par les grands affrontements syndicats-gouvernement.
Ceux-ci ont nourri un discours et une manière de faire: décidons à quelques-uns (l'intérêt particulier) de ce qui est bon pour la société (l'intérêt public). Voyons globalement les données (ratios, moyennes, indices, etc.) dans la mise en place des composantes de gestion surtout en santé et en éducation, établissons un contrôle maximum de ces données pour s'assurer de ne pas sortir des paramètres établis; puis, mettons à la tâche des gestionnaires de systèmes.
Conséquences
Cette façon de faire entraîne trois conséquences. Un: nous sommes fortement suradministrés. C'est chiffré et connu. Deux: l'objet de la gestion n'est plus concrètement le personnel à la base des opérations ni même la clientèle à desservir, mais les systèmes eux-mêmes. Trois: le discours du «métier» est totalement ignoré, c'est-à-dire le discours de ceux et celles qui, sur le terrain, à l'école, à l'hôpital, savent ce qu'il faudrait penser, faire et comment organiser le travail pour que les compétences reliées à leur métier puissent prévaloir en matière d'efficacité et d'efficience dans les services rendus.
C'est ainsi qu'à la longue, les normes et les règles de gestion émanant de l'État et des conventions collectives «nationales» deviennent le cahier des charges des gestionnaires locaux sans égard à la clientèle à desservir et à la qualité de la vie professionnelle en milieu de travail. Pire, les directions des établissements sont évaluées sur l'application des règles et normes étatiques.
Prise en charge
Le danger nous guette de voir de plus en plus de Québécois se sentir de moins en moins solidaires de ce que l'État décide en leur nom. Car depuis l'établissement d'une fonction publique moderne à l'époque de la Révolution tranquille, l'État pense et propose des solutions à nos problèmes dans tant de domaines et de matières qu'il a pris progressivement en charge la responsabilité de notre propre vie. Pour ainsi dire, il y a chez nous un label Québec: un vivre-ensemble fabriqué par l'État et utilisable selon les règles fixées par lui. Alors pourquoi devrions-nous réfléchir aux conséquences de nos actes quand il suffit de suivre le mode d'emploi?
Personne, ou presque, ne conteste le rôle joué par l'État québécois dans la modernisation du réseau d'éducation et du système de santé, et dans la naissance du Québec inc., il y a 50 ans. Les citoyens sont généralement d'accord avec l'adoption des grandes politiques (santé, éducation, assurance parentale, assurance médicaments, etc.), mais c'est le mode de livraison des services qui en découlent qu'il faut remettre en question, surtout en santé et en éducation.
Une fois passées les grandes réformes pilotées par les commis de l'État, il aurait fallu et depuis fort longtemps déjà relever le vrai défi de toute grande administration, celui de décentraliser les pouvoirs et les responsabilités réels en faveur des institutions et établissements qui sont les plus proches des citoyens qu'ils doivent servir. Si l'État veut que le peuple ait du pain, il n'est pas obligé pour autant de se faire lui-même boulanger.
Décentralisation
Pour décentraliser, il faut oser avoir foi en la capacité des membres des conseils d'administration et du personnel des institutions et établissements locaux de déterminer entre eux l'organisation du travail la plus susceptible de produire efficacement des services de haute qualité dans le respect de leur mission et pour répondre aux besoins des citoyens et citoyennes qu'ils desservent. Et si cela dérange certains articles de conventions collectives, c'est localement qu'il faut régler cela.
Hélas, il y a des «acquis» et de «petits pouvoirs de contrôle» auxquels on ne saurait toucher. Le statu quo est tellement confortable, même s'il est improductif et financièrement insoutenable. Ce n'est rien de moins qu'un changement de culture qui est devenu nécessaire. Cette grande révolution sera le fait de leaders politiques et syndicaux visionnaires, allergiques à la pusillanimité et qui oseront prendre le beau risque de laisser poindre des modèles variés d'organisation du travail et de fonctionnement des institutions et établissements. Ils laisseront au personnel qui y oeuvre les marges de manoeuvre requises pour convenir des conditions à réunir pour mener à bien leur mission spécifique. Nous verrions resurgir le goût du «métier» et renaître le sentiment d'appartenance à l'institution qui se sera alors dotée d'un caractère distinctif, d'une identité propre.
Accordons suffisamment d'autonomie aux établissements du secteur parapublic pour qu'ils puissent se singulariser. Ils feront la démonstration que l'émulation entre eux est tout aussi possible que dans le secteur privé et surtout souhaitable pour le plus grand bénéfice des citoyens qu'ils servent.
***
Jean-Noël Tremblay, Denys Larose, Michel Héroux et Normand Chatigny
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé