Le désengagement social systématisé

Le «modèle québécois»


Le maire Jean Tremblay, de Saguenay, a donné littéralement l'impression d'avoir sauté une coche ou pété les plombs cette semaine. Il est assez difficile d'imaginer qu'un maire puisse faire une sortie aussi virulente contre une société industrielle qui constitue l'épine dorsale de l'économie de sa ville et de sa région.



Et pourtant, Jean Tremblay l'a fait contre Alcan, qui exploite dans sa ville trois alumineries, dans les secteurs de La Baie, Laterrière et Jonquière, un parc portuaire et des centrales hydroélectriques, qui vient de mettre en construction une nouvelle usine de 2,1 milliards $ et qui procure, au niveau régional, 4000 emplois directs.
Jean Tremblay n'a jamais eu la réputation d'un tiède ni de garder la langue dans sa poche. Mais là, il est allé beaucoup plus loin en dénonçant Alcan du pire mercantilisme, l'accusant de n'aimer personne, sauf l'argent et de tenir le milieu au silence par ses dons stratégiques.
Selon lui, tout le monde se tait, mais on est au bord de l'explosion contre Alcan qu'il n'hésite pas à décrire comme une profiteuse de fonds publics, habile au chantage pour faire financer ses projets, demandant toujours plus qu'elle ne donne.
C'est la décision d'Alcan de contester sa dernière hausse d'évaluation municipale qui a mis le maire de Saguenay hors de lui. Alcan veut faire réviser son évaluation pour abaisser son compte de taxes, qui a grimpé de 5 millions $, une goutte d'eau en réalité par rapport à ses revenus.
Alcan a tout à fait le droit de contester son compte de taxes. Mais est-ce qu'elle est légitimée de le faire? Ça, c'est une autre affaire. On peut d'ores et déjà annoncer au maire Tremblay qu'il va perdre.
Les municipalités qui ont fait face à des contestations d'évaluation foncière de la part de grandes entreprises ont toujours perdu. Les compagnies n'obtiennent pas toujours ce qu'elles veulent, mais elles y gagnent à chaque coup.
Voilà une dizaine d'années que les grandes sociétés industrielles au Québec, souvent des multinationales sans état d'âme, ont entrepris de faire baisser leurs évaluations foncières pour payer moins de taxes.
Ces compagnies sont représentées par des équipes d'experts, souvent des bureaux d'avocats mercenaires qui se paient à même les gains obtenus, et il devient extrêmement difficile pour les villes de résister à ces assauts ciblés.
Pour affronter une telle charge de la part d'A.B.I., en 2001, il en avait coûté 800 000 $ en honoraires à la Ville de Bécancour. Ce qui n'avait pas empêché A.B.I. d'obtenir une révision à la baisse de son évaluation foncière. De 323 millions $, l'évaluation était tombée à 215 millions $, privant la municipalité de 2 millions $ de revenus qu'il a bien fallu aller chercher dans d'autres poches. Aujourd'hui, elle est de 231 millions $, mais A.B.I. veut à nouveau la faire diminuer à 160 millions $. Shawinigan fait face à une pareille demande pour la Belgo et la Laurentide.
Dès qu'un précédent est obtenu dans un dossier de révision, on s'empresse de le répercuter dans une nouvelle contestation, pour une autre usine. Ce sont des vases communicants.
Le maire Maurice Richard, qui n'a pas oublié sa lutte dans le dossier d'A.B.I., constate que tout est devenu tordu dans le cas des évaluations foncières industrielles et davantage encore s'il s'agit de production unique. A.B.I. a nécessité un investissement d'un milliard, mais elle est évaluée à peine au cinquième de ce montant.
C'est que tout ce qui est affecté à la production n'est pas soumis à la taxation. On en arrive presque à ainsi prétendre que les lampadaires, nécessaires pour éclairer le stationnement des employés essentiels à la production, ne sont pas imposables. On ne caricature même pas.
Il n'y a pas dix ans, l'évaluation foncière du secteur industriel à Trois-Rivières représentait 10 p.c. du rôle global d'évaluation de la ville. Aujourd'hui, c'est 1,2 p.c. et c'est loin d'être la désindustrialisation qui explique tout.
La vérité, c'est qu'on fait face à un violent désengagement social de la part des grandes industries. On a bien compris que ce qu'elles ne paient pas, ce sont les citoyens qui doivent le payer. Après le cri du Saguenay, à quand le hurlement généralisé?


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