Tout, sauf une affaire privée

Salaire des élus


Pour le premier ministre, une rémunération supplémentaire de 75 000 $ par
an. Pour le chef de l'opposition, c'est 50 000 $. Et les deux essaient de
dire qu'ils n'en ont pas parlé parce qu'il s'agit d'une affaire
essentiellement privée entre eux et leur parti politique respectif.

La réalité, c'est que le salaire – le salaire réel – des élus est tout ce
qu'on voudra sauf une affaire privée. De plus, les explications fournies
par messieurs Jean Charest et Mario Dumont sont encore loin d'avoir répondu
aux questions légitimes que soulève ce dossier.

La transparence des élus

Il y a deux problèmes dans ce dossier: l'un touche la nécessaire
transparence que doivent pratiquer les élus, l'autre touche l'intégrité des
institutions.

La transparence, en politique, ce n'est pas de dire « tout le monde le
savait » ou « on l'a dit dès qu'on nous l'a demandé ». La transparence
exige que les élus aillent au-devant des questions légitimes des citoyens
et communiquent l'ensemble du dossier et pas seulement des informations
partielles.

Dans le cas qui nous occupe, on note qu'autant M. Charest que M. Dumont
ont tenté de garder confidentielle leur rémunération supplémentaire. Ils
n'ont répondu aux questions que lorsqu'il était devenu impossible de le
cacher plus longtemps.

Dans les deux cas, on notera aussi qu'aucun document n'a été déposé. Dans
le cas du premier ministre, on dit que le communiqué de presse publié par
son bureau est suffisant dans les circonstances. Or, quiconque a eu affaire
avec Revenu Québec sait bien qu'un simple communiqué publié par l'une des
parties en cause ne saurait être considéré comme une pièce justificative
suffisante.

L'attitude très agressive du ministre Jean-Marc Fournier, qui défend le
premier ministre à l'Assemblée nationale, laisse même entendre que son
parti a encore quelque chose à cacher dans ce dossier.

Chose certaine, attaquer les chefs des autres partis ne dédouane pas le
Parti libéral et son chef de rendre publics tous les documents entourant
toute rémunération ou tout avantage supplémentaire qu'aurait pu recevoir M.
Charest.

L'intégrité des institutions

Cela est important parce que cette rémunération supplémentaire est
contraire à toute la logique de notre système politique.

D'abord parce qu'il s'agit de fonds publics. L'État finance les partis
politiques directement par des subventions de fonctionnement – qui sont
plutôt modestes – et indirectement par des crédits d'impôt accordés aux
donateurs – ce qui constitue l'essentiel des revenus des partis.

Mais que ce soit directement ou indirectement, on parle ici quand même de
fonds publics. Et l'usage des fonds publics ne peut pas être une affaire
privée.

Ensuite, il y a l'esprit de la loi sur l'exécutif et celle sur l'Assemblée
nationale. Il est clair que les rémunérations supplémentaires y sont
interdites pour les ministres. On utilise le terme toute personne morale
qui « peut être appelée à verser des impôts en vertu de la Loi sur les
impôts ». On peut certainement penser que le législateur a utilisé cette
formulation pour inclure tout le monde, même si les partis politiques ne
sont pas spécifiquement exclus.

En plus, le gouvernement exige de tous les ministres qu'ils publient une
déclaration d'intérêts, spécifiant les propriétés, actions et autres avoirs
qu'ils pourraient détenir. Le tout parce que la transparence est le
meilleur moyen de prévenir les conflits d'intérêts.

Alors, s'il est d'intérêt public pour un ministre de dévoiler qu'il a 50
actions de la Banque Nationale, il doit bien l'être aussi de déclarer qu'il
reçoit une rémunération supplémentaire de 75 000 $ par année.

L'aspect politique

Enfin, il y a l'aspect politique. Comment tenir un débat sérieux et serein
sur la rémunération des élus, si certains d'entre eux avaient un revenu
supplémentaire qu'ils ont essayé de cacher? Quelle crédibilité auraient
maintenant messieurs Charest ou Dumont pour lancer un tel débat?

Aux États-Unis, il est dans les moeurs politiques de rendre publique sa
déclaration de revenus quand on est candidat à une fonction importante.
Juste ces jours-ci, Mme Clinton est l'objet d'attaques de Barack Obama
parce qu'elle tarde à rendre public le sien.

Nous n'en sommes pas là au Canada, mais il faut se demander si on ne
devrait pas réclamer à nos politiciens de le faire. Parce que la
rémunération des élus est tout sauf une affaire privée.


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