Sale histoire

Salaire des élus

Depuis dix ans, Jean Charest a tout mis en oeuvre pour faire taire ceux qui s'interrogeaient sur l'inadéquation entre ses revenus officiels et son train de vie, n'hésitant pas à menacer les esprits trop curieux de poursuites judiciaires qui n'ont jamais eu de suite, sauf la mise à pied d'un journaliste que ses patrons ont honteusement laissé tomber.
Jamais il n'a voulu discuter des avantages qui ont pu lui être consentis quand il a accepté de quitter Ottawa pour empêcher Lucien Bouchard, à qui la crise du verglas avait rendu son aura, de déclencher un nouveau référendum.
Prétendre aujourd'hui qu'il n'y a jamais eu le moindre secret est une insulte à l'intelligence. Au départ, il avait indiqué que le PLQ lui versait un salaire en attendant son entrée à l'Assemblée nationale, ce qui pouvait laisser croire qu'il y renoncerait une fois élu député.
Par la suite, il avait reconnu du bout des lèvres que le PLQ remboursait certaines de ses dépenses, sans toutefois préciser lesquelles ni mentionner le moindre chiffre. Il reconnaît aujourd'hui avoir reçu 75 000 $ par année depuis dix ans, mais comment être certain qu'il ne s'agit pas de 100 000 $ ou de 200 000 $ s'il refuse de rendre public l'«arrangement financier» évoqué dans un communiqué de presse émis en catastrophe au petit matin par le nouveau président du PLQ, Jean D'Amours?
Il est évident que M. Charest n'en aurait jamais parlé si un collègue de TVA n'avait pas découvert le pot aux roses. D'ailleurs, rien n'assure que cette entente a été consignée par écrit. On n'en trouve pas la moindre trace dans les états financiers du PLQ.
Cela autorise toutes les hypothèses, y compris les plus imaginatives. Dans une entrevue avec le Globe and Mail, le whip du PQ, Stéphane Bédard, faisait même un rapprochement avec l'affaire Cadman, qui a plongé le gouvernement Harper dans l'embarras.
Tout dépendrait de la date à laquelle l'entente entre M. Charest et le PLQ aurait été conclue. S'il était toujours membre de la Chambre des communes à ce moment-là, il a pu y avoir irrégularité, puisqu'on lui aurait offert un avantage financier afin qu'il abandonne son siège. Mais comment le savoir si on n'a pas accès à l'entente?
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Il est vrai qu'il y a déjà eu des cas de double rémunération du premier ministre dans d'autres provinces canadiennes. Si on le sait, c'est précisément qu'on n'en a pas fait un secret. Il aurait été normal que M. Charest fasse savoir qu'il lançait une pratique inédite dans l'histoire moderne du Québec.
M. Charest plaide que cela relève du «domaine privé». Ce n'est pas la première fois qu'il adopte ce comportement un peu schizophrène qui lui fait dissocier le «citoyen Charest» du premier ministre du Québec, mais l'argument est irrecevable.
Quand le chef du gouvernement reçoit une somme d'argent en sus de son salaire officiel, il est clair qu'il ne peut pas s'agir d'une affaire privée, à moins qu'il vende ses biens personnels ou qu'il reçoive un héritage.
Paradoxalement, c'est le président sortant du PLQ, Marc-André Blanchard, qui a fait la remarque la plus troublante en déclarant que le supplément de 75 000 $ consenti à M. Charest, qui porterait sa rémunération globale à plus de 250 000 $, visait à le mettre à l'abri des tentatives de corruption.
Le salaire officiel du premier ministre du Québec (182 717 $) est plus élevé que celui de tous ses homologues provinciaux, bien que très inférieur à celui du premier ministre du Canada (301 000 $). Il est clair que les exigences de la fonction commanderaient un meilleur traitement, mais il est franchement injurieux pour tous ceux qui font métier de politique d'introduire la question de l'intégrité dans le débat.
À partir de quel revenu un homme est-il à l'abri de la tentation? D'ailleurs, pourquoi le premier ministre serait-il le seul à voir sa conscience fortifiée de la sorte? Prenons l'exemple du ministre de la Santé. L'industrie pharmaceutique constitue sans doute un des lobbys les plus puissants. Ne conviendrait-il pas d'ajouter au salaire de 158 000 $ que Philippe Couillard touche à l'heure actuelle? On peut également penser que le ministre du Développement économique est un homme très sollicité, sans parler de la ministre des Transports, de son collègue des Ressources naturelles...
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À l'extérieur de l'Assemblée nationale, la mise en demeure est un moyen auquel le premier ministre recourt volontiers pour intimider ses adversaires. À l'Assemblée nationale, les députés bénéficient de l'immunité, de sorte qu'il faut utiliser d'autres méthodes.
Il est vrai qu'en 2003, Claude Blanchet a quitté la Société générale de financement dans des conditions qui semblaient bien généreuses pour le p.-d.g. d'une société qui venait de subir des pertes aussi substantielles. Le leader parlementaire du gouvernement, Jean-Marc Fournier, a cependant été particulièrement odieux hier après-midi en présentant Pauline Marois comme le «conjoint survivant» qui bénéficiera de la pension de 80 000 $ accordée à son mari par le gouvernement dont elle faisait partie.
Peu importe ses qualités, il était certainement discutable de confier à M. Blanchet la direction de la SGF alors que Mme Marois était membre du gouvernement. La turpitude des uns ne justifie cependant pas celle des autres.
Au moins, dans le cas de M. Blanchet, il n'y a eu aucune cachotterie. La preuve en est que les libéraux prennent régulièrement plaisir à étaler sur la place publique les conditions dont il a bénéficié, des conditions si scandaleuses qu'après avoir mis M. Blanchet à la porte, le gouvernement Charest a offert les mêmes à son successeur, Pierre Shedleur.
On ne connaît rien de l'arrangement entre M. Charest et son parti, mais on ne réagit pas aussi brutalement sans raison. Cela risque de devenir une bien sale histoire.
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mdavid@ledevoir.com


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