Pierre-Paul Gagné - Les plus âgés se souviennent encore de la journée qu'on a appelée le «samedi de la matraque», le 10 octobre 1964, alors que la police de Québec avait dispersé avec violence des centaines de manifestants indépendantistes venus protester contre la visite de la reine Élizabeth II dans la Vieille Capitale.
À l'époque, ces événements avaient fait grand bruit et le mouvement indépendantiste, particulièrement le Rassemblement pour l'indépendance nationale, de Pierre Bourgault, n'avait pas manqué de qualifier la visite royale de provocation de la part d'un chef d'État colonial.
Quarante-trois ans plus tard, la situation a-t-elle évolué? Les Québécois dans leur ensemble se sentent-ils encore aujourd'hui aussi «colonisés» qu'au début des années 60? Voir Élizabeth II nous visiter, en 2008, à l'occasion des festivités du 400e aniversaire de fondation de Québec peut-il encore être interprété comme un geste de provocation?
Oui, ont spontanément répondu Gilles Duceppe, chef du Bloc québécois, et Gérald Larose, président du Conseil de la souveraineté, lorsqu'ils ont appris que les administrateurs de la Société du 400e de Québec songeaient à inviter aux festivités de l'an prochain la souveraine britannique, en même temps que d'autres personnalités politiques internationales comme le président de la France.
«Je pense que c'est faire un affront aux Québécois» a lancé M. Duceppe pendant que M. Larose renchérissait en déclarant qu'il trouvait indigeste que la reine se présente à Québec «alors qu'elle représente le symbole le plus colonial de la monarchie anglaise».
Et nos lecteurs dans tout cela? Le moins qu'on puisse dire, c'est que la nouvelle n'est pas passée inaperçue et qu'elle a divisé les gens en deux camps bien distincts, comme c'est toujours le cas dans de tels débats:
>«Je suis outré d'apprendre que le comité des fêtes du 400e anniversaire de Québec a l'intention d'inviter la reine d'Angleterre à se joindre aux célébrations. Bien sûr l'Angleterre fait partie de notre histoire depuis la conquête de 1759. Mais la période du régime anglais n'est pas une période particulièrement heureuse qui mérite d'être soulignée. Cette période évoque la domination, l'exploitation et l'aliénation.» (Martin Boucher, Québec)
>«Pour une fois, je suis entièrement d'accord avec Gérald Larose. Qu'est-ce que la reine d'un pays étranger viendra foutre à Québec?» (Réal Gagnon, Palmarolle)
>«Les administrateurs de la Société du 400e de Québec devraient démissionner à la suite de l'inadmissible erreur de jugement qu'ils ont commise en voulant inviter la reine d'Angleterre. Ne représente-t-elle pas le symbole de la sujétion de la nation québécoise? Il y a là une bourde honteuse provenant de parfaits colonisés. La présence de "sa majesté" provoquera sûrement des manifestations disgracieuses.» (Alain Raby, Saint-Jean-Port-Joli)
Et, à l'opposé:
>«Les propos de Gérald Larose me font peur. Ils sont de même nature et de même style que ceux des ayatollahs d'Iran. Si vous ne pensez pas comme eux, si vous ne dites pas comme eux, vous êtes automatiquement des traîtres et des enfants du diable.» (D. Corriveau)
>«Et pourquoi Elizabeth II ne devrait-elle pas figurer sur la liste d'invités? Bien voyons! Parce qu'elle représente la période du colonialisme anglais dans notre histoire. En voilà une mentalité de "colonisé" s'il en est une. En 1759, nous sommes passés du colonialisme français au colonialisme anglais. Tant mieux ou tant pis. Il s'agit d'un simple fait historique.» (Michel Cléroux, Gatineau)
>«M. Larose, si vous avez une hargne à déployer, faites-la porter sur les injustices présentes et non pas sur celles du passé. À ce que je sache, l'Angleterre, la reine et tous les pays du Commonwealth qu'elle représente n'empêchent pas aujourd'hui le Québec d'être ce qu'il veut bien être.» (Pascal Barrette, Ottawa)
>«Je souhaite que la Reine décline sagement cette invitation à cause des soubresauts que cela peut soulever. Il y a encore trop de frileux chez nous qui s'agitent au moindre rappel du passé.» (Jeanne-Mance St-Louis, Gatineau)
De l'agitation possible? Si la reine Élizabeth vient effectivement au Québec, l'an prochain, existe-t-il un risque réel de débordements, comme en 1964? Un nouveau «samedi de la matraque» est-il encore envisageable en 2008? Est-il encore possible de mobiliser des foules importantes pour manifester contre la représentante bien inoffensive d'un ancien pouvoir colonial?
Il faut dire que les temps ont bien changé. Il s'agit de se promener dans les rues de Montréal pour constater comment on est loin, aujourd'hui, de l'époque où les Québécois se sentaient colonisés. Le Québec de 2007 ne ressemble plus beaucoup à celui du début des années 60, alors que sévissait encore «la-grosse-anglaise-de-chez-Eaton».
Mais, sait-on jamais Il s'agit parfois de bien peu de choses pour mettre le feu aux poudres, exciter les reporters et faire la manchette des nouvelles télévisées aux quatre coins du monde
pgagne@lapresse.ca
Toujours colonisés?
Voir Élizabeth II nous visiter, en 2008, à l'occasion des festivités du 400e aniversaire de fondation de Québec peut-il encore être interprété comme un geste de provocation?
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