René Lévesque disait que notre présent mode de scrutin est « démocratiquement infect ». Alain Dubuc, dans La Presse du 4 avril 2007 ([« Un ‘timing’ assassin’->5824]), nous dit qu’il n’est pas le temps de le modifier ! Il n’y a pourtant rien dans l’élection du 26 mars 2007 pour changer le constat fait par René Lévesque.
Il est vrai qu’au plan national, les trois partis déjà représentés à l’Assemblée nationale ont profité de distorsions beaucoup moindres qu’à l’habitude. Il est vrai aussi qu’une distribution relativement équitable des sièges est possible dans le système actuel : la preuve, c’est que cela s’est déjà produit une autre fois…en 1960 ! En d’autres termes, l’accident est possible et il constitue une solution pour ceux qui sont prêts à attendre encore 47 ans !
Mais, après trente ans de débats, comment ne pas donner raison aux Claude Béland, Robert Burns, Jean Pierre Charbonneau, Jean Allaire, Marie Grégoire, Louise Beaudoin, Liza Frulla, Julius Grey, Vincent Lemieux et bien d’autres qui trouvent que le temps est plus que venu ? Après une tournée de consultation publique par une commission parlementaire, assistée d’un comité citoyen, tous les partis à l’Assemblée nationale font consensus en faveur de réformer le présent mode de scrutin. Le présent gouvernement a produit un projet de loi. Le Directeur général des élections doit déposer sa recommandation en juin prochain. Et monsieur Dubuc juge que ce n’est toujours pas le temps d’agir !
Pourtant la vérité, c’est que les distorsions dues au scrutin majoritaire, le 26 mars dernier, sont aussi antidémocratiques que depuis toujours. 67% des votants ne se retrouvent pas dans le gouvernement élu. Plus de 75% des votants francophones ne se retrouvent pas dans leur gouvernement national. 76.8% des députés ont été élus alors qu’un plus grand nombre de leurs électeurs ont vote contre eux que pour eux. Près d’un tiers de million de votants qui avaient choisi d’appuyer le Parti Vert ou Québec solidaires demeurent sans aucune représentation directe. La représentation féminine à l’Assemblée nationale est à la baisse.
La vérité, c’est que les distorsions habituelles se sont répercutées plus que jamais dans la représentation régionale. Dans cinq régions du Québec, nous sommes rendus avec une représentation par un parti unique. Pourtant ce n’est qu’avec 39.0% du vote populaire que le PLQ a enlevé tous les sièges de l’île de Laval ; avec 45.5% seulement qu’il a raflé l’Outaouais et même avec 60% seulement qu’il s’est emparé des quatorze sièges de Montréal Ouest supposément monolithique. De son côté, le PQ est devenu le parti unique du Saguenay Lac Saint Jean avec un grand total de 41.% du vote, et de la Côte nord avec 48.1%.
Sans atteindre le statut douteux de parti unique, l’ADQ a pris 87.5% des sièges de la Mauricie et de Chaudière Appalaches avec respectivement 39.1% et 51.8% du vote populaire. Il lui a suffi de 40.3% du vote pour enlever six des huit sièges de Lanaudière, 36.1% pour prendre six des huit comtés des Laurentides, 41.8% pour rafler neuf des onze sièges de la Capitale nationale. Eh oui, même dans la capitale ! 60% des électeurs ont résisté à l’ADQ, ce qui n’empêchera pas les media de parler d’une ville monolithique, conservatrice.
Et ce n’est pas la seule illusion d’optique qu’entretiennent les média. Dans Montréal Est, l’ADQ obtient près de deux fois plus de votes que Québec solidaire et pourtant on continue de laisser entendre que le premier y est inexistant et que le second représente une force réelle. Tout aussi important pour le PQ de prendre conscience que, dans Montréal Est, son score n’arrive pas au tiers du vote (32.9%)
En un mot, le scrutin majoritaire n’a absolument rien de majoritaire. Il est une chasse aux sièges et non pas une tentative de rassembler le vote populaire. Si au niveau de l’Assemblée nationale, la distribution des sièges est en apparence près de l’expression du vote populaire, la vérité c’est que la composition de l’Assemblée nationale est faussée, distordue et laisse les régions avec une représentation de parti unique ou une représentation sans rapport avec la volonté des électeurs.
Avec un gouvernement délaissé par les deux tiers des votants et par les trois quarts des votants francophones, et une Assemblée nationale où plus du trois quarts des députés ont été élus sans avoir obtenu dans leur comté une majorité populaire et, enfin, où les régions sont réduites à une représentation complètement ou largement faussée, qui peut prétendre encore qu’il n’y a pas lieu de réformer au plus pressant notre mode de scrutin ? Seuls n’ont pas encore compris ceux qui ont oublié que le but d’une élection est d’entendre la volonté populaire et non pas de servir les partis politiques.
André Larocque
Professeur associé à l’École nationale d’administration publique
Réplique à Alain Dubuc
Toujours aussi «infect»…
Réforme électorale
André Larocque6 articles
Professeur associé, École nationale d'administration publique
Ex-sous ministre à la réforme des institutions démocratiques
Candidat du Parti vert dans Louis Hébert
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