Souveraineté: le cul-de-sac

En fait, les souverainistes ont fait de leur option un véritable cul-de-sac pour le Québec et il faut se demander si celle-ci ne constitue plus qu'une plate-forme pour les ambitions personnelles de ses promoteurs.

Chronique de Richard Le Hir

Opinions, mercredi 25 mars 1998, p. B3 - L'auteur est un ancien ministre du Parti québécois sous Jacques Parizeau. Il a décidé, récemment, de rejeter la souveraineté et d'appuyer désormais le fédéralisme «comme seule voie d'avenir pour les Québécois». Nous publions ici des extraits du discours qu'il a prononcé, le 12 mars, devant les amis de Cité-Libre.
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Ce sont les souverainistes eux-mêmes qui ont disqualifié leur option en se montrant incapables de définir leur projet national autrement qu'en termes ethniques, en subordonnant régulièrement l'intérêt supérieur du Québec à leurs objectifs politiques et en faisant preuve d'insouciance, voire même de mépris, pour les exigences de la démocratie. Ils en ont fait un miroir aux alouettes.
Encore tout récemment, Jacques Parizeau, «elder statesman» de la cause souverainiste, se réjouissait devant la perspective de voir la Cour suprême et le gouvernement fédéral ouvrir la porte à une élection référendaire, «plus facile à gagner», disait-il. C'est justement ce même Jacques Parizeau que Lucien Bouchard avait plutôt qualifié de «grand démocrate», en réponse à ma demande de le condamner pour les propos ethniques qu'il avait tenus dans l'Ouest, l'automne dernier.
Justement, quand on examine le dossier Bouchard au chapitre de la démocratie, on découvre qu'il a quitté les conservateurs à l'occasion d'un coup de force et fait son entrée au Parti québécois à la suite d'un putsch survenu pendant la campagne préréférendaire. S'étant fait offrir son titre de premier ministre sur un plateau d'argent, il n'a pas ressenti le besoin de le faire légitimer démocratiquement lors d'élections générales.
Encore tout récemment, il profitait de la tempête de verglas pour soustraire au débat public plusieurs décisions ministérielles importantes. Lorsqu'il répète à l'envie qu'il ne déclenchera pas de référendum à moins d'avoir l'assurance de le gagner, il démontre que la victoire est pour lui plus importante que son objet. On a d'ailleurs vu, avec son «virage du partenariat», qu'il était prêt à courir le risque de semer la confusion dans l'électorat pour éviter de voir son option risquer la défaite. En refusant de condamner les propos de Jacques Parizeau comme l'exigeait une résolution pourtant unanime de l'Assemblée nationale, il a démontré on ne peut plus clairement que les seules volontés démocratiques qu'il soit prêt à respecter sont celles qui font son affaire. Quant à sa façon de gouverner, elle s'apparente bien davantage au style de Jules César qu'à celui de Lester Pearson...
On ne peut donc pas dire qu'il ait témoigné jusqu'ici d'une fibre démocratique très solide et que sa présence offre à cet égard de bien grandes garanties aux Québécois.
Il est assez troublant de constater que le Parti québécois en soit là après trente ans d'histoire, trois mandats de gouvernement et une douzaine d'années à former l'opposition officielle.
En fait, les souverainistes ont fait de leur option un véritable cul-de-sac pour le Québec et il faut se demander si celle-ci ne constitue plus qu'une plate-forme pour les ambitions personnelles de ses promoteurs.
À moins d'être prêts à prendre le risque de s'enfermer dans un ghetto qui n'aurait qu'un lointain rapport avec le Québec qu'ils connaissent et qu'ils aiment, les Québécois doivent cesser d'engloutir leurs énergies et leurs espoirs dans un projet essentiellement ethnique aux assises démocratiques aussi chambranlantes pour travailler plutôt à la bonification du fédéralisme canadien. Sans être parfait, celui-ci a quand même démontré aux Québécois qu'il leur offrait un cadre où pouvaient s'épanouir en toute sécurité leurs aspirations démocratiques de même que des garanties fort enviables sur les plans économique et social.
C'est bien davantage que ce que sont en mesure de garantir les souverainistes.
Qu'il y ait des obstacles au renouvellement de la fédération canadienne m'apparaît une évidence. Mais l'examen attentif démontre qu'ils sont conjoncturels plutôt que systémiques.
Ils ne sont pas en effet, de l'essence même du fédéralisme mais sont plutôt attribuables à la résistance qu'oppose systématiquement la nature humaine devant la remise en cause de l'ordre établi lorsqu'elle en conçoit une menace. Il y a donc un effort important d'éducation à reprendre auprès de toute la population canadienne pour l'amener à réaliser que, comme tout système soucieux d'assurer sa survie et son essor, le fédéralisme canadien doit évoluer pour répondre à de nouvelles réalités et de nouveaux défis.
Les Canadiens doivent en effet comprendre que ce besoin d'évolution ne répond pas seulement à la nécessité d'accommoder les appréhensions que les Québécois et, de façon plus large, tous les Canadiens-français entretiennent à l'égard de leur sécurité culturelle, mais bien plus encore à la nécessité de redéfinir les responsabilités du gouvernement fédéral en matière de redistribution de la richesse entre les provinces, vu notre niveau d'endettement collectif et le fardeau injuste qui en découle pour les prochaines générations, et à la nécessité d'intégrer aux règles de fonctionnement de la fédération canadienne les conséquences qu'ont eues la mondialisation et la révolution technologique sur le fonctionnement de notre économie et de nos institutions.
En d'autres termes, les Canadiens doivent en venir à comprendre que l'avenir politique de leur pays dépend de la capacité du système fédéral à incarner un nouvel idéal, en faisant la preuve qu'il est non seulement en mesure d'accommoder la spécificité du Québec eu égard aux responsabilités particulières de son gouvernement à l'endroit de la langue et de la culture française, en plus d'évoluer dans le sens des besoins du Canada tout entier, mais encore qu'il constitue toujours, et qu'il devra toujours constituer, le meilleur instrument de progrès possible pour tous les Canadiens, y compris les Québécois.
Si les souverainistes sont venus si près d'atteindre leur but, lors du référendum de 95, ce n'était pas tant que les Québécois étaient convaincus des mérites de la souveraineté. C'est parce que les fédéralistes, de leur côté, n'avaient pas été à la hauteur des exigences de leur propre option en se montrant incapables de définir une vision forte et prometteuse de l'avenir pour tous les Canadiens, Québécois y compris.
Cette faille dans leur démarche les avait donc placés sur la défensive contre un adversaire pourtant mal préparé, brouillon, impulsif, déchiré par les rivalités et, par surcroît, peu soucieux des exigences de la démocratie; mais en revanche, maniant les concepts avec aisance, convaincu de sa supériorité intellectuelle et morale, en plus de disposer en réserve d'un leader charismatique.
Les souverainistes ont profité du vacuum laissé par les fédéralistes pour tenter de s'emparer des instruments de leur ambition en faisant preuve d'une insouciance coupable pour la qualité de leur démarche et l'éthique des moyens qu'ils prenaient pour arriver à leurs fins. Si le hasard des urnes avait voulu qu'ils l'emportent avec à peine plus de 50 % des voix, toutes les conditions avaient été réunies pour que Québec sombre dans l'anarchie et finisse par n'être plus que l'ombre de ce qu'il est. (...)


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