Si le monde doit être sauvé par les pauvres...

Chronique de José Fontaine


Bernanos dans Les enfants humiliés a écrit ces mots extraordinaires: “Je dis que le monde sera sauvé par les pauvres, ceux que la société moderne élimine, parce qu’ils ne sont plus capables de s’y adapter et parce qu’elle n’est pas en mesure de les assimiler, jusqu’à ce que leur ingénieuse patience ait, tôt ou tard, raison de sa férocité. Je dis que les pauvres sauveront le monde : ils feront cette colossale affaire.”
L’escapade de Sarkozy à Malte sur un Yacht via un avion privé, voyage qui n’a pas coûté à l’Etat mais qui est un cadeau privé de dizaines de milliers d’EUROS, a amené des commentateurs français, vu le fait que cela n’ait pas fait scandale autant qu’on ne l’aurait pensé, à se demander si l’ancienne échelle des valeurs des Français n’était pas en train de s’américaniser.
Hier je discutais avec un député socialiste wallon, qui fut président du groupe socialiste européen, et il me rappelait que lors de sa retraite à Colombey-les-deux-églises en 1946, de Gaulle n’avait accepté aucune pension, se contentant de sa solde de général de brigade qui, certes, ne le réduisait pas à la misère, mais ne constituait pas non plus une fortune colossale. Lacouture explique que la femme de de Gaulle dut revendre une partie de l’argenterie et que des huissiers se présentèrent à la maison de Colombey.
Durant les campagnes électorales du RPF (en 1947 et 1951), le Rassemblement du Peuple Français (parti par lequel de Gaulle tenta de revenir au pouvoir), il logeait chez l’habitant, ce parti ayant toujours été désargenté.
De Gaulle devint cependant riche, sans l’avoir voulu, avec la vente de ses Mémoires de guerre, à partir de 1954 (Tome I), 1956 (Tome II) et 1959 (Tome III). De Gaulle était un proche de l’abbé Pierre et sa nièce, Geneviève de Gaulle fut une immense militante d’ATD, mouvement tendant à lutter en faveur des pauvres pour leur dignité.
J’ai cité Bernanos parce que sa proximité avec de Gaulle est évidente dès les premiers jours qui suivent l’armistice demandé par Pétain en juin 1940: les thèmes des articles de Bernanos publiés au Brésil font songer à ceux des discours de de Gaulle à la radio de Londres alors que, au départ, Bernanos ne le connaissait pas.
Alors que dans les années 60, bien des gens reprochaient au Général de Gaulle de n’avoir pas d’implantation suffisante dans la classe ouvrière, Le Monde, en 2005, lors du rejet du Traité Constitutionnel Européen par référendum, souligna avec amertume qu’une partie des élites avait voté NON, au grand dépit du journal. Je me souviens très bien des éditoriaux du même journal regrettant, déjà même avant les résultats, que ce ne soit pas les “experts” qui se prononcent et je me souviens aussi de la mine horrifiée de journalistes de la RTBF expliquant que les NON se recrutaient en plus grand nombre chez les gens pauvres et dépourvus d’instruction.
Pour revenir à Bernanos, ce qui fait la grande dignité du Pauvre, sa force, c’est qu’il entretient la flamme de l’Espérance. Je le cite: “L’espérance est une nourriture trop douce pour l’ambitieux, elle risquerait d’attendrir son coeur. Le monde moderne n’a pas le temps d’espérer, ni d’aimer, ni de rêver. Ce sont les pauvres gens qui espèrent à sa place, exactement comme les saints aiment et expient pour nous. La tradition de l’humble espérance est entre les mains des pauvres, ainsi que les vieilles ouvrières gardent le secret de certains points de dentelle que les mécaniques ne parviennent jamais à imiter.”
J’ai toujours été rempli de fierté parce que j’ai pu faire vivre depuis vingt ans une revue sans aucun autre appui que ses quelques centaines d’abonnés et ce qui me motiva même c’est cette pauvreté qui m’a toujours semblé conditionner l’indépendance et la liberté et même une certaine valeur intellectuelle. Régis Debray a même écrit à propos de la revue en général qu’il était de son “essence d’être en déficit, mais qu’un “accident est toujours possible”.
Sarkozy a dit qu’il fallait rompre avec mai 68, mais il y avait aussi du gaullisme dans mai 68 et qui imaginerait-on aujourd’hui, alors qu’il est en voyage officiel, oser lancer à un peuple dominé qu’il faut que Vive le Québec libre? Je ne sais pas pourquoi, mais il me semble qu’un rapport existe entre cette folle audace et la Dame Pauvreté dont François d’Assises était amoureux. J’ai un peu peur que, vu les évolutions, si, vraiment, le monde doit être sauvé par les pauvres, nous ne soyons pas tous perdus.
José Fontaine
Le dernier sondage pré-électoral en Belgique met en tête un parti de centre-droite en Wallonie et fait rétrograder le parti socialiste à la deuxième place, lui qui a toujours été le premier parti dans une Wallonie marquée par sa classe ouvrière.
Pour reparler de ma revue, c’est en me méfiant du pouvoir du PS que j’ai toujours cherché à demeurer indépendant, je ne pleurerais pas trop le recul de ce parti qui n’est peut-être plus de gauche, dont je me suis toujours méfié comme de la peste, mais sa perte possible me fait quand même quelque chose.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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