Savoir raison garder

Présidentielle étatsunienne



Bien sûr, l'élection de Barack Obama est historique. Ce serait gâcher notre plaisir que de se priver de ce mot. Comme le disait un jeune militant socialiste français cette semaine, «On prend tous un sérieux coup de vieux!» À côté du nouveau locataire de la Maison-Blanche, les Sarkozy, Harper, Merkel, Brown et Charest ont tout à coup l'air un peu ternes.
Mais encore faut-il savoir raison garder. Si l'enthousiasme est justifié, reconnaissons qu'il y avait une certaine indécence dans le racolage politique auquel nous avons assisté cette semaine. J'avoue avoir eu une sorte de haut le coeur à entendre, depuis trois jours, certains représentants politiques rivaliser de superlatifs à l'endroit de Barack Obama. C'est à qui pourrait s'exhiber le premier à ses côtés. Passe encore pour les partis qui sont de la même famille politique que les démocrates. Mais on n'en croit pas nos oreilles quand on entend Nicolas Sarkozy, David Cameron et même Mario Dumont se féliciter du retour de la gauche aux États-Unis. Tout se passe comme si plus on était éloigné de la famille politique d'Obama, plus on avait besoin d'en beurrer épais. À ce compte, la sobriété de Stephen Harper et de Silvio Berlusconi avait le mérite de la franchise.
Et je ne parle pas des comparaisons historiques. De Gaulle, Roosevelt, Churchill, Luther King, que n'a-t-on pas entendu depuis 72 heures! Pourquoi pas Jeanne d'Arc pendant qu'on y est? J'ai même entendu quelqu'un comparer l'élection d'Obama à la chute du mur de Berlin, qui mit fin à un siècle dominé par les deux totalitarismes les plus meurtriers de l'histoire. Un peu de retenue et d'humilité. Avant Obama, les États-Unis ont eu deux secrétaires d'État noirs: Colin Powell et Condoleezza Rice. Pour ceux à qui la chose avait échappé, ils étaient descendants d'esclaves, républicains et membre du gouvernement de George W. Bush.
Si l'élection de mardi doit nous rappeler un événement historique, c'est la signature par le président Lyndon B. Johnson du Civil Rights Act. Le 2 juillet 1964, le successeur de Kennedy interdisait toute forme de discrimination fondée sur la couleur, la race, le sexe et l'origine. Du coup, il rendait illégale la ségrégation que toléraient les États du Sud, à l'école, dans les commerces ou les transports en commun. La loi a ouvert la porte aux célèbres programmes d'affirmative action.
Barack Obama est évidemment un enfant du Civil Right Act. S'il a pu accéder à Harvard et aux plus hautes fonctions, c'est grâce à ses talents, mais aussi à l'immense mouvement social déclenché par Johnson. Il faut se souvenir des mots que prononça alors le président. Johnson était conscient du prix élevé qu'allait payer son parti pour ce geste courageux. Le parti de Jefferson était à cette époque celui des grands syndicats industriels du Nord, mais aussi de ceux qu'on appelait les «petits Blancs du Sud». Ceux-là mêmes qui, moins d'un siècle plus tôt, avaient payé les pots cassés de la guerre de Sécession. Contre le parti de Lincoln, ils revendiquaient leur autonomie pour préserver une culture riche et distincte, mais aussi pour pratiquer une discrimination sauvage. Johnson savait qu'en apposant sa signature au bas du Civil Right Act, il condamnait les démocrates à l'opposition.
Et pour cause, le parti perdit sept des dix scrutins qui suivirent. Sans en diminuer la portée, on se rappellera que les deux victoires de Bill Clinton (1992 et 1996) furent facilitées par la division des votes de droite due à un certain Ross Perrot. Plusieurs analystes ont montré comment, durant ces années, le Parti démocrate a aussi perdu sa base industrielle au Nord pour lentement devenir le parti des minorités. Une sorte de confédération d'intérêts hétéroclites (gais, femmes, immigrants, tiers-mondistes, etc.), incapable d'un discours national véritablement rassembleur.
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Mardi soir, lorsque les États de la Virginie et de la Floride se sont mis à clignoter en bleu, c'est cette époque qui s'est achevée. Quatre ans plus tôt, John Kerry avait bien tenté de reconnecter le Parti démocrate aux valeurs profondes de l'Amérique. Mais son image de libéral bon teint de Boston lui collait à la peau. Mardi, Obama y est parvenu. Ce fils d'immigrant a su parler de réforme sociale tout en redonnant aux démocrates un discours rassembleur. Les observateurs auront noté que le candidat démocrate invoquait plus souvent Dieu que son adversaire républicain. Ils auront remarqué sa fermeté dans la défense des intérêts américains dans le monde. Voilà qui rappelle étrangement Truman et Kennedy, deux démocrates d'avant 1964. Contrairement à ses prédécesseurs, Obama a d'ailleurs tenu à faire campagne dans des États traditionnellement républicains, comme la Caroline du Nord. Exactement comme l'avait fait, à son époque, le républicain Ronald Reagan dans les États démocrates.
Comme Reagan, Obama a su prononcer des discours d'un patriotisme qui n'était pas feint. Relisez ses textes. Il y a là un nationalisme parfaitement assumé qui ferait pâlir plusieurs leaders souverainistes québécois. «Nous n'avons jamais été un simple rassemblement d'individus [...] nous sommes et nous serons les États-Unis d'Amérique», a déclaré Obama au soir de sa victoire. Comme chez Roosevelt, l'esprit de réforme s'abreuve ici à un nationalisme fervent, respectueux des origines diverses mais qui ne se cache pas derrière de fausses pudeurs. Contrairement à certains Européens et à l'idéologie canadienne officielle, les Américains n'ont jamais renié l'importance d'une identité nationale forte. Obama en est la preuve vivante.
Du coup, cette élection est un démenti des thèses qui soutenaient que les Américains étaient irrémédiablement de droite. Ces idées ont été défendues aussi bien par Carl Rove, l'organisateur de George
W. Bush, que de nombreux journalistes de gauche. Au fond, certains avaient presque conclu qu'il n'y avait plus qu'à changer... de peuple. Mardi, les Américains ont prouvé qu'ils avaient une personnalité autrement plus complexe qui échappait, fort heureusement, à ce genre de simplification.
Quant à savoir si cette élection annonce une nouvelle ère démocrate, on le saura dans quelques années. Pas avant.


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