On commence lentement à réaliser au Québec qu’une bonne partie du succès
immense que connaît Barack Obama repose sur son éloquence et sa maîtrise de
l’art de la parole. Le Tiger Woods de la politique américaine, en effet,
séduit les foules partout où il passe - ce qui manque cruellement à nos
politiciens canadiens et québécois -, et cela fait de lui un homme
politique extraordinaire, médiatisé, mais aussi un rénovateur inespéré de
la démocratie contemporaine. Je me proposerai ici de donner une explication
rapide de la fascination nouvelle signée Barack Obama.
La démocratie est et sera toujours une affaire de rhétorique
Aux Etats-Unis, depuis l’époque de la Révolution à tout le moins, l’étude
de la politique a toujours impliqué l’éloquence. Devenir politicien est un
rêve impossible au sud de la frontière pour celui qui ne sait pas parler
devant un public. De même, et ce sera le chemin d’Obama, l’apprentissage du
Droit repose sur la pratique de l’éloquence afin de savoir comment s’y
prendre pour convaincre, au moyen des mots et des gestes, un jury. Ce que
les Etats-Unis ont retenu de l’éducation de la république romaine, nous,
ici, nous l’avons évacué de notre cursus scolaire il y a très longtemps, à
savoir l’art et l’utilité d’apprendre à faire passer un discours. Voilà
peut-être pourquoi les Québécois se réveillent un matin épris d’Obama et
qu’ils ne trouvent pas les mots capables d’expliquer pourquoi.
Au Québec, dans l’expression éloquente de sa pauvreté politique, on a
cherché, depuis une semaine, à récupérer tous les succès d’Obama au lieu de
s’interroger sur les raisons véritables de son élection historique. Comme
des groupies, les Québécois se sont découverts membres du Fan club d’Obama.
Quand ce n’est Pauline Marois ou Françoise David qui patinent pour trouver
un slogan justifiant le changement, c’est Mario Dumont qui se prend pour le
nouveau président. Que c’est triste de voir, en une semaine seulement,
autant d’usages et d’emprunts colonisés de la pratique politique
états-unienne, politique qui, il faut le dire, a peu à voir avec la nôtre.
Faute de former des politiciens-orateurs, de valoriser la démocratie de
terrain ou de foule, on joue à imiter les autres, signe habituel de notre
repliement identitaire. Faute de réaliser qu’il y a seulement un Obama par
siècle et qu’il est logique qu’il provienne des Etats-Unis, pays des
preachers, des poursuites judiciaires médiatisées et des foules nombreuses,
on veut reprendre ici les thèmes de sa campagne...
Pour démystifier le mystère Obama, j’analyserai de manière sommaire, non
pas son discours de la victoire électorale, mais plutôt son discours
historique du 18 mars intitulé A more perfect Union. Mais juste avant, je
rappellerai à nos politiciens fades, à nos amateurs de téléromans et à nos
commentateurs politiques patentés ce qu’est la rhétorique, de même que le
grand débat auquel elle a donné lieu dans l'Antiquité, car nos programmes
produits par le ministère de l’Éducation ne peuvent plus nous l’apprendre.
Définition de la rhétorique classique
technique aussi bien que comme un domaine de réflexion. Cet art consiste à
convaincre un auditoire par l’usage de la parole. À la réflexion, on
remarque qu’il existe une technique et des moyens de mettre en valeur les
éléments convaincants en tout discours (Aristote, Rhétorique, livre I,
1-2).
Les critiques de Platon et sa réhabilitation par Aristote
À l’époque triomphante des sophistes – les professeurs privés qui se
vantaient d’enseigner la vertu et la vérité –, Platon se méfiait d’un tel
art, lui qui avait vu mourir son maître Socrate à la suite d’un procès
douteux. Il lui reprochait entre autres de préférer l’efficacité à la
vérité et de faire triompher des causes injustes. Confondant l’orateur et
la technique qu’il utilise, adepte d’une République dirigée par un
roi-philosophe, l’idéaliste Platon jugeait dans ses dialogues (Phèdre,
Gorgias) que la rhétorique, comme une recette de cuisine, se limite à la
vraisemblance et qu’elle trompe délibérément les auditeurs honnêtes. Dans
une compétition sans merci pour enrôler les étudiants prometteurs, Platon
critique l’école de rhétorique d’Isocrate qui formait de grands
politiciens.
Or, Aristote ne partage pas le jugement de son maître. Il pense que la
rhétorique est nécessaire dans la cité, car nous n’avons pas toujours le
temps de faire la preuve complète de ce que nous avançons, tout
spécialement lors de la présentation des projets à l’Assemblée et des
procès au tribunal. S’il faut gagner le débat en ces lieux la journée même,
cela rend non seulement nécessaire mais indispensable le recours constant à
des moyens techniques de persuasion. De nombreux intellectuels latins,
Cicéron et Quintilien par exemple, se rangeront du côté d’Aristote et
favoriseront le développement maximal de l’eloquentia à l’époque romaine.
Cela étant dit, proposons maintenant une très brève analyse des qualités
rhétoriques que met à profit Obama dans son discours célèbre sur la race en
Amérique.
La rhétorique chez Obama
Le 18 mars 2008, à Philadelphie, Barack Obama a prononcé un discours
intitulé A more perfect Union. Ce discours, dans lequel il fait de la
question raciale un problème politique majeur, est important historiquement
parce qu’il lui a permis de gagner l’investiture, de soulever un débat,
mais aussi de se donner une direction claire pour les élections
présidentielles.
Dès le début, le sénateur ose s’inscrire à même l’histoire américaine afin
de gagner en actualité, en tradition et en légitimité. Il se réfère
d’entrée de jeu à un passage de la Constitution (« Nous le peuple, en vue
de former une union plus parfaite ») et note que l’histoire s’est jouée à
Philadelphie, en 1787, à quelques pas de l’endroit où il se trouve. Comme
dit Aristote dans sa Rhétorique, l’habile orateur sait se montrer sous un
jour favorable. Afin de faciliter l’adhésion de son auditoire en ce jour
important, il se prendra lui-même en exemple tout au long du discours pour
témoigner de la pertinence de la question raciale et de son rôle unique
pour la solutionner.
Personnification du discours par les lieux et le travail du corps
Obama commence son discours calmement. Tel un métronome, sa tête oscille
de droite à gauche, ce qui lui permet de rejoindre tout le public et de
terminer ses phrases dans les deux micros. Avec assurance, il augmentera le
rythme et modulera le ton de sa voix au fur et à mesure afin d'augmenter
l'effet de sa présence physique. Il bougera davantage (la tête, les épaules
et les mains) lorsqu’il est personnellement impliqué et incarnera toujours
davantage son message. Le corps servira donc à faire entendre toute la
force du propos.
On notera ensuite qu’Obama mobilisera des lieux classiques (topoï) de
persuasion, c’est-à-dire des prémisses ou des propositions prêtes à
convaincre. Par exemple, il fera appel à l’unité (Union) contre la
division, il notera son parcours exceptionnel dans le général, il
valorisera les possibilités pour dépasser une réalité difficile, il
défendra les pauvres contre les riches, la justice contre l’injustice, etc.
Ces lieux communs de la persuasion sont utilisés par Obama dans un contexte
américain de crise, donc sujet à l'émotion : rappel de l’esclavage, des
guerres civiles et mondiales, d’une économie en déclin, des changements
climatiques, et plus concrètement du procès d’O.J. Simpson, de l’ouragan
Katrina, etc. Les lieux permettront à l'orateur de positionner précisément
le sujet de son discours et de bien préparer la possibilité victorieuse de
sa cause.
La rhétorique est discours, caractère et passions
La force d’Obama est de savoir personnifier son propos. Son discours
(logos) repose sur son caractère (ethos) et ses passions (pathos), comme le
recommande Aristote. Le recours au témoignage se fait progressivement afin
qu’on identifie l’homme à la cause, mais aussi la sincérité à la vérité de
son propos. Les émotions sont mesurées et parfaitement adaptées à la
situation.
À remarquer ici qu’Obama ne lit pas, il parle par cœur et dit un texte
qu’il connaît par cœur, d’où l’effet d’honnêteté. Il ne s’engagerait pas
dans une course à l’investiture à ce moment-ci s’il ne croyait pas de tout
son cœur (« believe with all my heart »), dira-t-il, à la possibilité
d’unir son pays. Il ira même jusqu’à pardonner, tel un prêtre, à ceux qui
l’ont stigmatisé. Quand il cite un extrait, c’est pour prouver et renforcer
sa sincérité. La justesse de ton sur un propos sensible, le contrôle de soi
(l’exemplarité de la personne) et l’expression calibrée des émotions,
traduisent les qualités de celui qui connaît son sujet et qui est enfin
prêt à relever de grands défis.
Quand il revient longuement sur sa divergence d’opinion avec le révérend
Wright par exemple, il s’explique sur sa propre foi et assume sa position.
Il se prend à témoin des luttes stériles et explique ses propres choix
personnels, tout en nuances. Wright, qu’il n’entend pas juger, est à la
fois un père et un ami, un grand Américain et un inspirateur de sa foi,
bien qu’il serve, au niveau rhétorique, de repoussoir. On sent alors de
plus en plus sa sincérité, son appel à l’unité ; la foule l’applaudira en
conséquence. Obama la laissera l'encourager. Et s’il profite du moment
propice pour rappeler le sujet de son premier livre et qu’il se réfère
explicitement aux images de la Bible, c’est pour se réclamer des idéaux de
liberté, de justice et de paix. L'impression qu'il fait est nette : l’homme
est croyant, courageux, crédible et se trouve du côté du juste.
Au milieu du discours, Obama en appelle à la fierté des noirs et des
blancs, car les sentiments, entourant le discours, doivent être habilement
appelés en renfort. S’il prend la défense du pays, c’est pour démontrer que
l’unité doit se faire par le travail de tous. C’est par l’éducation que
l’on y parviendra. « Beaucoup de blancs de la classe ouvrière et de la
classe moyenne ne ressentent pas, dit-il, qu’ils ont été particulièrement
privilégiés par leur race. Leur expérience est celle d’immigrants - en ce
qui les concerne, personne ne leur a rien donné. Ils ont construit de leurs
propres mains. Ils ont travaillé dur toute leur vie, et souvent pour voir
leur emploi partir au-delà des mers ou leur retraite disparaître après une
vie entière de travail. Ils sont anxieux de l’avenir et voient leurs rêves
s’évanouir ». On le sent bien : l’appel à la fierté du peuple qui doit
s’unir enfin pour se libérer de ses fantômes et construire un avenir
meilleur pour ses enfants.
Psychologie de l’auditoire et formules courtes remplies d’espérance
Relevons encore deux points sur la rhétorique de celui qui a étudié le
Droit et qui sait incarner la nécessité du changement dans un pays en proie
au doute. Obama connaît la psychologie de son auditoire, c'est ce qui lui
permet de jouer sur l'image de l’avenir, et s'il se présente lui-même comme
une étape dans une noble cause qui le dépasse, cela lui assurera un maximum
de capital de sympathie.
En effet, s’il utilise les formules courtes remplies d’espoir (le « Yes we
can » désormais célèbre ou le « We can do that »), il insiste en même temps
sur le passé imparfait de son pays pour justifier sa confiance en l’avenir.
Il sait bien qu’il incarne, comme il le dit dès le début, une étape « de la
marche pour une Amérique plus juste, plus libre, plus solidaire, et plus
prospère ». Jeune sénateur de 47 ans, il dit croire (I believe) en les
Etats-Unis capables de dépasser les conflits et redevenir un modèle pour le
monde entier. « Cette croyance, explique-t-il, vient de ma foi inébranlable
dans l’intégrité et la générosité du peuple américain. Mais elle vient
aussi de ma propre histoire américaine (But it also comes from my own
American story) ». Il dit appartenir à ce pays (référence aux origines et à
l’histoire de sa famille), mais aussi participer lui-même (these people are
a part of me) à son avenir. Par sa proximité avec le style gospel des
preachers, il sait récupérer l’idéal du rêve américain (nous pensons au
célèbre « I have a Dream » prononcé par le leader noir Martin Luther King)
en rappelant la situation difficile de nombreux Noirs priant le dimanche
dans les églises. Sensible à l’histoire vécue, Obama promet que toutes les
minorités sont capables, avec une bonne politique, de réussir. Il reviendra
pas moins de cinq fois, notez l’insistance et la gradation, sur le temps («
This time we want… ») du changement.
L’étape qu’il symbolise dans une cause qui le dépasse
À la fin du discours, le pathos est à son meilleur. Obama prend un moment
pour raconter une histoire – l’allégorie est un moyen de persuasion qui
dépasse la raison. L’histoire d’Ashley Baia est la motivation ultime de sa
campagne. Par le rappel de cette histoire, il veut montrer qu’il n’est pas
égoïste, mais que comme Ashley, il est au service d’une cause qui le
dépasse. Il utilise alors l'image d'Ashley que l’on doit rapporter à Obama
lui-même : Ashley aurait pu faire différemment, mais elle a fait ce qu’elle
croyait bien pour sa mère. Elle a cherché des amis pour combattre
l’injustice. L’image signifie qu’il est possible de s’unir, comme le font
Ashley et Obama, contre les infortunes et le racisme. Obama, donc, parle
pour Ashley, c'est-à-dire pour le peuple tout entier. C’est d’ailleurs à ce
moment précis, sur un ton plus triste, que le sénateur avoue que l’on
pourrait ne pas le choisir comme candidat, voulant suggérer par là que,
inversement, ne pas le choisir constituerait un retour en arrière,
c’est-à-dire le retour à une Amérique dépassée et refusant le changement.
L’histoire d’Ahsley s'impose comme le point de départ de la campagne du
sénateur. « L’Amérique, dit-il, doit réaliser son union. Et comme tant de
générations l’ont compris durant deux cent vingt-et-un ans, depuis qu’un
groupe de patriotes a signé ce document à Philadelphie, c’est ici que la
perfection commence ». Sur ces mots, en bouclant la boucle, il remercie pas
moins de quatre fois la foule.
Qui oserait, à la fin de ce discours patriotique, inspiré de la souffrance
des gens ordinaires comme Ashley, choisir le statu quo, c’est-à-dire en
rester à une Amérique blanche, raciste, guerrière et injuste ? La
rhétorique a bien fait son travail parce que personne, dans la foule,
n’entend revenir en arrière. Par la clarté de son discours, l'image de sa
personne et sa capacité à bien dire aux auditeurs dans la salle ce qu’il
ressent, Barack Obama a réussi à faire passer son message électoral.
Celui-ci, parfaitement adapté au peuple américain en crise, dit en
substance ceci : nous pouvons tous ensemble aujourd'hui travailler au rêve
américain qui demeure un idéal de liberté, de justice et d'harmonie entre
les hommes.
Par sa capacité à dépasser la petite politique en endossant une cause
juste et universelle, Obama a montré qu'il est encore possible de sortir du
court terme et d'utiliser la démocratie positivement. Il n'en tient qu'à
nos politiciens professionnels de comprendre que la démocratie, depuis
l'Antiquité, veille à la victoire du grand sur le petit et qu'elle continue
de reposer sur le pouvoir de celui qui parle pour demain.
Dominic DESROCHES
Département de philosophie
Collège Ahuntsic
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
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En riposte aux attaques de ses adversaires et concurrents, le candidat démocrate à la Maison-Blanche a prononcé un discours le 18 mars 2008 à Philadelphie.
Nous présentons sa version ci-après en intégralité.
Le texte commence par une citation de la Constitution adoptée en 1787 : « Nous le peuple, en vue de former une union plus parfaite ». Il y a deux cent vingt et un ans dans une salle qui se trouve toujours de l’autre côté de la rue, un groupe d’homme s’est réuni et avec ces mots simples, a inauguré l’improbable expérience de la démocratie en Amérique. Fermiers, savants, hommes d’Etat et patriotes ayant traversé un océan pour échapper à la tyrannie et aux persécutions, ils ont finalement concrétisé leur déclaration d’indépendance à la Convention de Philadelphie qui a duré tout le printemps de 1787. Le document qu’il rédigèrent fut alors signé mais finalement inachevé .Il portait la tache du péché originel de cette nation ; une question qui divisait les colonies et a mené la Convention dans l’impasse jusqu’à ce que les pères fondateurs permettent au commerce des esclaves de se poursuivre pendant au moins vingt ans, et laissent la décision finale aux futures générations.
Bien sûr la réponse à la question de l’esclavage était déjà inscrite dans la Constitution, une Constitution qui avait en son cœur l’idéal de l’égalité des citoyens devant la loi., une Constitution qui promettait au peuple liberté et justice et une union qui pourrait être et devrait être perfectionnée sans cesse.
Et cependant les mots sur le parchemin ne seront pas suffisants pour délivrer les esclaves de leurs chaînes, ni assurer aux hommes et aux femmes de toute couleur et de toute confession tous leurs droits et leurs devoirs de citoyen des Etats-Unis. Il faudra un long temps de générations successives d’Américains qui désiraient jouer leur rôle – par les protestions et les luttes, dans les rues et devant les tribunaux, au travers d’une guerre civile et par la désobéissance civile, et toujours au prix de grands risques, comblent le fossé entre les promesses de nos idéaux et la réalité de leurs temps.
Ceci est une des tâches que nous avons mis en avant au début de cette campagne : poursuivre la longue marche de ceux qui nous ont précédés, une marche pour une Amérique plus juste, plus libre, plus solidaire, et plus prospère. J’ai choisi de me présenter à la présidence à ce moment de l’histoire parce que je crois profondément que nous ne pourrons faire face aux défis de notre temps sans que nous ne les résolvions tous ensemble – sans que nous ne perfectionnions notre union en comprenant que nous pouvons avoir des histoires différentes mais que nous avons des espoirs communs ; que nous pouvons ne pas nous ressembler et que nous pouvons ne pas venir du même endroit, mais que nous voulons tous aller dans la même direction- vers un avenir meilleur pour nos enfants et nos petits enfants. Cette croyance vient de ma foi inébranlable dans l’intégrité et la générosité du peuple américain. Mais elle vient aussi de ma propre histoire américaine.
Je suis le fils d’un homme noir du Kenya et d’une femme blanche du Kansas. J’ai été élevé avec l’aide d’un grand père blanc qui a survécu à la Dépression en servant dans l’armée (du général) Patton pendant la seconde guerre mondiale et d’une grand-mère blanche qui travaillait sur une chaîne d’assemblage de bombardiers à Fort Lavenworth tandis qu’il était outre mer. Je suis allé dans quelques unes des meilleures écoles en Amérique et j’ai vécu dans l’un des plus pauvres pays du monde. Je suis marié à une femme noire qui a en elle du sang d’esclaves et de propriétaires d’esclaves- un héritage que nous transmettons à nos deux filles chéries. J’ai des frères, des sœurs, des neveux, des oncles et des cousins, de toutes races et de toutes couleurs dispersés sur trois continents, et aussi longtemps que je vivrai, je n’oublierai jamais qu’il n’y a aucun autre pays sur la terre où mon histoire soit possible.
C’est une histoire qui ne fait pas de moi le plus conventionnel des candidats. Mais c’est une histoire qui a imprimé dans mes gènes l’idée que cette nation est plus qu’une somme de ses composantes- à partir de cet multiplicité nous sommes véritablement un. Durant la première année de campagne, contrairement à toutes les prédictions, nous avons vu combien le peuple américain avait soif de ce message d’unité. En dépit de la tentation de voir ma candidature à travers le prisme purement racial, nous avons remporté des victoires décisives dans des Etats avec quelques une des plus importantes populations blanches du pays. Dans la Caroline du Sud, où le drapeau confédéré flotte encore, nous avons construit une puissante coalition d’Africain Américains et d’Américains blancs.
Cela ne veut pas dire que la race n’a pas été un problème de la campagne. A plusieurs étapes de la campagne, certains commentateurs m’ont trouvé « trop noir » ou « pas assez noir ».Nous avons vu la bulle de la tension raciale faire surface durant la semaine qui a précédé les élections primaires en Caroline du Sud. La presse a scruté chaque sortie de bureau de vote pour trouver la moindre preuve de tendance raciale, pas seulement simplement en entre Blancs et Noirs , mais aussi entre Noirs et Bruns.
Et cependant ce n’est qu’au cours des deux dernières semaines que le débat sur la race a pris une tournure particulièrement décisive.. A l’une des extrémités du spectre, nous avons entendu que ma candidature ne serait qu’un exercice de discrimination positive (affirmative action) ;qu’elle serait basée sur le désir de libéraux idéalistes d’obtenir une réconciliation à bon marché. A l’opposé, nous avons entendu mon ancien pasteur, le révérend Jérémiah Wright, utiliser un langage incendiaire pour exprimer des vues qui peuvent approfondir la fracture raciale mais qui dénigre la grandeur et la bonté de notre nation. ; cela offense véritablement autant les Noirs que les Blancs.
J’ai déjà condamné, en termes sans équivoque les déclarations du Révérend Wright qui ont causé cette controverse. Toutefois des questions irritantes demeurent. Est-ce que je savais qu’il critiquait parfois violemment la politique intérieure et extérieure américaine ? Bien sûr. Est-ce que je ne l’ai jamais entendu faire des interventions sujettes à controverse alors que j’étais dans l’Eglise .Oui. Est ce que j’ai fortement réagi à nombre de ces prises de positions ? Absolument- comme je suis sûr que certains d’entre vous ont entendu des interventions de leurs pasteurs, de leurs prêtres ou de leurs rabbins avec lesquels ils étaient fortement en désaccord. Mais les interventions qui ont été la cause de ce récent incendie n’étaient pas seulement un sujet de controverse. Elle n’étaient pas seulement la volonté d’un dirigeant religieux de s’élever contre une injustice vécue. Au contraire, elles expriment une vue déformée de ce pays, une vue selon laquelle le racisme blanc est endémique : et qui met tout ce qui est mal en Amérique au dessus de ce que savons bien comme juste en Amérique ; une opinion qui voit les conflits du Moyen Orient enracinés d’abord dans les actions de solides alliés comme Israël, au lieu de les voir dans l’idéologie perverse et haineuse de l’Islam radical.
Ainsi,les propos du Révérend Wright n’étaient pas seulement faux mais diviseurs, diviseurs à un moment où nous avons besoin d’unité ; ils étaient racialement chargés à un moment où nous avons besoin de résoudre ensemble des problèmes énormes : deux guerres ,une menace terroriste, une économie en déclin, une crise chronique du système de santé, et un changement climatique potentiellement dévastateur ; des problèmes qui ne sont ni noirs ni blanc , ni latino ni asiatique, mais des problèmes auxquels nous sommes tous confrontés. Etant donné mon passé, ma politique, les valeurs que je professe et mon idéal, il n’y a pas de doute que mes condamnations ne sont pas suffisantes. Pourquoi suis-je si proche du Révérend Wright, peut-on se demander ?
Pourquoi ne suis-je pas aller dans une autre Eglise ? Et je confesse que si tout ce que je savais du Révérend Wright n’était que les extraits de ce qui a tourné en boucle sur les télévision et You Tube, ou si l’Eglise de la Sainte Trinité du Christ avait été conforme à la caricature dépeinte par certains commentateurs, il ne fait aucun doute que j’aurais réagis de cette façon.
Mais la vérité est que ce n’est pas la seule chose que je connaisse de cet homme. L’homme que j’ai rencontré il y a vingt ans, est l’homme qui m’a fait connaître la foi chrétienne, un homme qui m’a parlé du devoir de nous aimer les uns les autres, de prendre soin du malade et de secourir le pauvre. C’est un homme qui a servi son pays comme Marine , qui a étudié et enseigné dans plusieurs des plus prestigieuses universités des Etats-Unis, et qui pendant trente ans a dirigé une église qui sert la communauté en accomplissant sur terre l’œuvre de Dieu, en logeant les sans abri, en secourant les pauvres, en apportant une aide quotidienne et son enseignement dans les paroisses et les prisons et en soulageant ceux qui souffrent du sida.
Dans mon premier livre, « Les rêves de mon père » (1), j’ai décrit l’expérience de mes premiers pas à la Trinité : « Les gens commençaient à crier, à se lever de leur siège,à frapper des mains et à pleurer, un souffle puissant portait la voix du Révérend sous la voûte…et dans ce simple mot : espoir, j’ai entendu quelque chose d’autre ; au pied la croix, dans les milliers d’Eglises de la ville, j’imaginais l’histoire du peuple noir se mêlant aux histoires de David et Goliath, de Moïse et de Pharaon,des chrétiens dans la fosse aux lions, la vallée des ossements desséchés d’Ezekiel. Ces histoires de survie et de liberté ; et d’espoir, devenaient notre histoire, mon histoire ; le sang répandu était notre sang, les larmes étaient nos larmes ; jusqu’à cette église qui semblait dans la lumière de ce jour, comme un vaisseau portant l’histoire d’un peuple aux futures générations et à un monde plus vaste .Nos épreuves et nos triomphes devenaient uniques et universels, noirs et plus que noirs ; la chronique de notre voyage, l’histoire et les chants nous donnaient les moyens de reconstituer les souvenirs dont nous devions pas avoir honte …des souvenirs que chaque peuple peut étudier et chérir- et avec lesquelles nous pouvions commencer à reconstruire… »
Telle fut mon expérience de la Trinité. Comme d’autres églises à prédominance noire dans le pays, Trinité rassemble la communauté noire dans son ensemble- le docteur et la maman assistée, l’étudiant modèle et l’ancien membre de gang. Comme d’autres églises noires, les activités de Trinité sont pleines de rires éraillés et quelquefois de propos orduriers ? Elles sont pleines de danses, d’applaudissements, de cris et de hurlements qui peuvent sembler choquant à des oreilles peu habituées. L’église contient toute la gentillesse et la cruauté, l’intelligence subtile et l’ignorance choquante, les luttes et les succès, l’amour et oui, l’amertume et les préjugés qui forment l’expérience des noirs en Amérique.
Et cela permet d’expliquer, peut être, ma relation avec le Révérend Wright. Aussi imparfait qu’il puisse être, il a été comme une famille pour moi. Il a raffermi ma foi, célébré mon mariage et baptisé mes enfants. Pas une fois dans mes conversations avec lui je n’ai entendu des propos portant atteinte à un groupe ethnique, ou traitant les blancs avec lesquels il était en contact autrement qu’avec courtoisie et respect. Il contient en lui les contradictions- les bonnes et les mauvaises- de la communauté qu’il sert avec dévouement depuis tant d’années. Je ne peux pas plus le désavouer que je ne peux désavouer la communauté noire. Je ne peux pas plus le désavouer que je ne peux désavouer ma grand-mère blanche- une femme qui m’a élevé, une femme qui s’est sacrifié encore et encore pour moi, une femme qui m’aime plus que tout au monde, mais une femme qui une fois m’a avoué sa peur de rencontre un homme noir dans la rue et qui à plus d’une occasion à proféré des stéréotypes raciaux ou ethniques qui m’ont humilié.
Ces gens sont une part de moi-même. Et ils sont une part de l’Amérique, ce pays que j’aime. Certains verront là une tentative de justifier ou d’excuser des commentaires qui sont simplement inexcusables. Je peux vous assurer que ce n’est pas le cas. Je suppose que l’attitude politique prudente serait de laisser passer cet épisode et espérer qu’il va s’effacer avec le temps. On peut écarter le Révérend Wright comme un déséquilibré ou un démagogue, juste comme on a écarté Géraldine Ferraro (2) à la suite de ses récents propos , contenant de profondes allusions raciales. Mais je crois que la race est une question que notre pays ne peut se permettre d’ignorer en ce moment. Nous ferions la même faute que le Révérend Wright a commise avec ces sermons offensants pour l’Amérique, faits de simplismes et de stéréotypes amplifiant l’aspect négatif au point de déformer la réalité. Le fait est que les commentaires qui ont été faits et les questions venues à la surfaces ces dernières semaines reflètent les complexités raciales dans ce pays sur lesquelles nous n’avons jamais travaillé- une part de notre union, que nous devons perfectionner maintenant. Et si nous fuyons maintenant, si nous restons simplement sur nos positions , nous ne serons jamais capables de nous unir et de résoudre les défis comme le système de santé, ou d’éducation, ou la nécessité de trouver de bons emplois pour chaque Américain. Comprendre la réalité exige de se rappeler comment nous en sommes arrivé là. Comme William Faulkner l’a écrit une fois : « Le passé n’est pas mort et enterré. En fait, il n’est même pas passé ». Nous n’avons pas besoin de raconter ici l’histoire de l’injustice raciale dans ce pays. Mais nous avons réellement besoin de nous rappeler que beaucoup de disparités qui existent aujourd’hui dans la communauté africaine Américaine proviennent directement des inégalités passées depuis les premières générations qui ont souffert du brutal héritage de l’esclavage et de Jim Crow.(3)
Les écoles de la ségrégation étaient et sont toujours des écoles inférieures ; nous n’y avons toujours pas remédié cinquante ans après Brown contre le Ministère de l’Education (4) et l’éducation inférieure qu’elles prodiguaient, alors et maintenant, permet d’ expliquer l’écart qui existe actuellement entre les étudiants noirs et blancs. La discrimination légale - qui empêchait les noirs ,souvent par la violence , de posséder des propriétés ou d’obtenir pour les entrepreneurs Africains Américains ou pour des propriétaires qui ne pouvaient accéder aux prêts hypothécaires de (l’organisme gouvernemental) FHA, ou les noirs étaient exclus des syndicats, ou des forces de police , ou des pompiers - signifiait que les familles noires ne pouvaient accumuler suffisamment de richesses à léguer aux générations suivantes. Cette histoire permet d’expliquer l’existence du fossé de la richesse et des revenus entre les noirs et les blancs, et la concentration des poches de pauvreté qui persistent aujourd’hui dans tant de communautés urbaine et rurales. Le manque de possibilités pour les hommes noirs, la honte et la frustration née de l’incapacité à subvenir à sa propre famille,ont contribué à l’érosion des familles noires, un problème que les politiques d’action sociale ont aggravé depuis de nombreuses années. Et que les manques de politique d’aide sociale ont aggravé depuis de nombreuses années – des parcs pour les enfants pour y jouer, des patrouilles de policiers, un ramassage régulier des ordures et un renforcement du code de la construction- tout cela a créé un cycle de violence, de gâchis et d’abandon qui continue de nous hanter.
Telle est la réalité dans laquelle ont grandi le Révérend Wright et d’autres Africain Américains. Ils viennent des années cinquante et soixante, au temps où la ségrégation était encore la loi du pays et où les possibilités étaient extrêmement réduites. Ce qui est remarquable, ce n’est pas combien ont échoué devant la discrimination, mais plutôt combien d’hommes et de femmes ont surmonté les obstacles ; combien ont été capables d’ouvrir un chemin à travers ces obstacles pour ceux qui comme moi sont venus après eux. Mais pour tous ceux qui creusé leur chemin bec et ongles pour obtenir une part du rêve américain, il y en a beaucoup qui n’y sont pas arrivé - ceux qui ont été vaincus d’une manière ou d’une autre par la discrimination. Cet héritage de la défaite a été transmis aux nouvelles générations, ces hommes et ces femmes de plus en plus jeunes que nous voyons debout au coin des rues ou s’étiolant dans nos prisons, sans espoir, sans projets pour l’avenir. Même pour les noirs qui ont réussi, la question de la race et le racisme continuent de définir leur vision du monde. Pour les hommes et les femmes de la génération du Révérend Wright, les souvenirs de l’humiliation, les doutes et la peur n’ont pas disparu, ni la colère et l’amertume de ces années-là. Cette colère ne s’exprime peut être pas en public, devant les travailleurs ou les amis blancs. Mais elle s’entend chez le coiffeur ou autour de la table. Parfois, cette colère est exploitée par des politiciens qui cherchent à capter des voix par les divisions raciales ou pour faire oublier leurs propres échecs.
Et à l’occasion, elle se fait entendre dans une église un dimanche matin en chaire et sur les bancs. Le fait que tant de personnes soient surprises d’entendre cette colère dans des sermons du Révérend Wright nous rappelle simplement le vieux truisme selon lequel l’heure de la plus grande ségrégation de la vie américaine est le dimanche matin. Cette colère n’est pas toujours productive ; en vérité, elle détourne trop souvent l’attention de la solution des vrais problèmes ; elle nous empêche de faire face à notre propre complicité avec notre condition et écarte la communauté Africaine Américaine des alliances nécessaires à un changement réel. Mais la colère est réelle ; elle est puissante et la repousser, la condamner sans en comprendre les racines, sert seulement à creuser le fossé d’incompréhension qui existe entre les races.
En fait une colère similaire existe dans certains secteurs de la communauté blanche. Beaucoup de blancs de la classe ouvrière et de la classe moyenne ne ressentent pas qu’ils ont été particulièrement privilégiés par leur race. Leur expérience est celle d’immigrants- en ce qui les concerne personne ne leur a rien donné. Ils ont construit de leurs propres mains. Ils ont travaillé dur toute leur vie, et souvent pour voir leur emploi partir au delà des mers ou leur retraite disparaître après une vie entière de travail. Ils sont anxieux de l’avenir et voient leurs rêves s’évanouir ; dans une époque de salaires bloqués et de compétition globale, les opportunités apparaissent comme un jeu de sommes nulles, dans lequel vos rêves se forment à mes dépens. Ainsi quand on leur dit d’envoyer leurs enfants à l’école à l’autre bout de la ville, quand ils entendent qu’un Africain Americain a obtenu un bon emploi ou une place dans un bon collège en raison d’une injustice qu’ils n’ont pas commise ( la discrimination positive,NDLR), quand on leur dit que leurs peurs à propos de la criminalité dans les quartiers urbains relèvent de préjugés, leur ressentiment s’accroît. De même que parfois dans la communauté noire, ce ressentiment n’est pas toujours exprimé de manière policée. Mais il a façonné le paysage politique depuis au moins une génération. La colère envers l’aide sociale et la discrimination positive a aidé à forger la coalition de Reagan. Les politiciens exploitent constamment la peur de la criminalité à leurs propres fins électorales. Les hôtes des débats télévisés et les commentateurs conservateurs ont construit leur carrière entière en mettant en avant des faits de racisme tandis qu’ils récusaient les discussions légitimes sur l’injustice raciale et l’inégalité, comme du simple politiquement correct ou du racisme inversé. De la même façon que la colère noire souvent s’est montrée contreproductive, ces ressentiments des blancs ont détourné l’attention des réels coupables de la pression sur les classes moyennes.- une culture d’entreprise sévit avec ses pratiques comptables douteuses , et son avidité à courte vue ; et Washington dominé par les lobbyistes et les intérêts particuliers. Et pourtant, repousser les ressentiments des Américains blancs,les stigmatiser comme mal orienté et même racistes,sans reconnaître qu’ils sont enracinés dans des soucis légitimes - cela aussi approfondit la division raciale et bloque le chemin de la compréhension.
Voilà où nous en sommes aujourd’hui. C’est une impasse raciale dont nous sommes prisonniers depuis des années. Contrairement aux proclamations de certains de mes critiques, blancs et noirs, je n’ai jamais été assez naïf pour croire que nous pouvions surmonter cette division raciale en un seul cycle électoral, ou avec une simple candidature – particulièrement une candidature aussi imparfaite que la mienne. Mais j’ai voulu affirmer ma ferme conviction - une conviction enracinée en Dieu et dans ma foi dans le peuple américain - qu’en travaillant ensemble nous pouvons dépasser certaines de vieilles blessures raciales, et que en fait nous n’avons pas le choix si nous voulons continuer sur la voie d’une union plus parfaite. Pour la communauté africaine américaine, cette voie signifie assumer le fardeau de notre passé sans devenir les victimes de notre passé. Cela signifie continuer à insister pour une justice totale dans chaque aspect de la vie américaine. Mais cela signifie aussi lier nos revendications particulières – pour une meilleur assistance médicale et de meilleures écoles et de meilleurs emplois - aux plus larges aspirations de tous les Américains- la femme blanche qui lutte pour briser le plafond de verre , l’homme blanc qui a été licencié ;l’immigrant qui essaie de nourrir sa famille .Ce qui signifie prendre la pleine responsabilité de nos propres vies –en demandant plus à nos pères, en passant plus de temps avec nos enfants , en leur lisant , en leur enseignant que quels que soient les défis et les discriminations qu’ils rencontreront dans leur vie , ils ne doivent jamais succomber au désespoir ou au cynisme .Ils doivent toujours croire qu’ils peuvent écrire leur propre destin.
Ironiquement cette notion typiquement américaine - oui , conservatrice - la notion « aide-toi toi-même » , se trouve fréquemment exprimée dans les sermons du Révérend Wright. Mais ce que mon ancien pasteur a trop souvent échoué à comprendre c’est qu’adhérer au programme « aide-toi toi-même » implique aussi de croire que la société peut changer.
L’erreur profonde des sermons du Révérend Wright n’est pas ce qu’il a dit du racisme dans notre société. C’est qu’il a parlé comme si notre société était immobile ; comme si aucun progrès n’avait été accompli ; comme si ce pays- un pays qui a rendu possible pour l’un de ses membres de se présenter à la plus haute responsabilité du pays et de construire une coalition de blancs et de noirs, de Latinos et d’Asiatiques, riches et pauvres, jeunes et vieux – était encore lié irrévocablement à son passé tragique. Mais ce que nous savons - ce que nous avons vu- c’est que l’Amérique peut changer. C’est le véritable génie de cette nation .Ce que nous avons déjà accompli nous donne l’espoir- l’audace d’espérer - que nous pouvons et que nous devons accomplir demain Dans la communauté blanche, la voie vers une plus parfaite union signifie reconnaître que ce qui fait souffrir la communauté noire américaine n’existe pas seulement dans l’imagination du peuple noir, mais que l’héritage de la discrimination - et les habituels incidents de la discrimination quoique moins flagrants que dans le passé - sont réels et doivent être pris en compte. Non juste par des mots, mais par des actes - en investissant dans nos écoles et dans nos communautés ; en renforçant nos lois sur les droits civils et en assurant l’équité dans notre système de justice criminelle ; en donnant à cette génération les moyens de s’élever qui furent refusés aux précédentes générations. Cela exige de chaque Américains de e rendre compte que vos rêves ne se font pas aux dépens mes rêves ; qu’investir dans la santé,la sécurité sociale, et l’éducation des enfants noirs , bruns et blancs aidera à la prospérité de l’Amérique.
Et au fond, ce qui est demandé n’est ni plus ni moins ce que toutes les religions du monde demandent, que nous fassions pour les autres ce que nous voudrions qu’ils fassent pour nous. Veillons sur notre frère, nous dit l’Ecriture. Veillons sur notre sœur. Trouvons le lien commun que nous avons tous et que nos politiques reflètent également cet esprit. Car nous avons le choix dans ce pays. Nous pouvons accepter une politique qui nourrit la division, et le conflit, et le cynisme. Nous pouvons concevoir la race comme un spectacle- comme lors du procès de O.J.Simpson - ou un naufrage tragique comme pour les suites de Katrina, ou comme un faits divers pour les journaux télévisés de la nuit. Nous pouvons passer les sermons du Révérend Wright sur toutes les télévisions et en parler jusqu’à l’élection, et faire que la seule question de cette campagne soit de savoir si le peuple américain pense ou non que j’ai pu avoir de la sympathie pour ses discours les plus offensants. Nous pouvons nous précipiter sur une gaffe d’un partisan d’Hillary comme la preuve qu’elle joue la carte de la race, ou nous pouvons spéculer pour savoir si les blancs vont se regrouper autour de McCain aux élections générales sans tenir compte de sa politique. Nous pouvons faire cela.
Mais si nous le faisons, je peux vous dire que lors des prochaines élections, nous parleront d’autres sujets de diversion. Et puis encore d’un autre. Et encore d’un autre. Et rien ne changera. C’est un choix. Ou bien, maintenant, dans cette élection, nous pouvons nous rassembler et dire : « pas cette fois-ci ». Cette fois-ci nous voulons parler des écoles qui s’effondrent, qui volent l’avenir des enfants noirs, blancs, asiatiques, hispaniques et indigènes. Cette fois-ci nous voulons rejeter le cynisme qui prétend que ces enfants ne peuvent pas apprendre ; que ces enfants qui ne sont pas comme nous, sont le problème de quelqu’un d’autre. Les enfants de l’Amérique ne sont pas ces enfants, ce sont nos enfants, et nous ne voulons pas les laisser en arrière dans l’économie du 21ème siècle. Pas cette fois-ci. Cette fois-ci nous voulons parler des queues dans les salles d’urgence, pleines de blancs, de noirs et d’hispaniques qui n’ont pas de couverture médicale ;qui n’ont pas le pouvoir de l’emporter sur les intérêts particuliers à Washington, ce que nous pouvons faire si nous le faisons tous ensemble.
Cette fois-ci nous voulons parler des usines fermées qui autrefois permettaient une vie décente pour les hommes et les femmes de toutes les races, et des maisons à vendre qui autrefois appartenaient à des Américains de toute religion, de toute région, de tout choix de vie. Cette fois-ci, nous voulons parler du fait que le réel problème n’est pas que quelqu’un qui n’est pas comme vous, pourrait prendre votre emploi. Nous voulons parler de la compagnie pour laquelle vous travaillez et qui veut délocaliser au delà des mers pour faire plus de profit. Cette fois-ci, nous voulons parler des hommes , des femmes de toutes couleurs et de toutes croyances, qui servent ensemble, et combattent ensemble, et versent leur sang ensemble sous le même fier drapeau. Nous voulons parler de la façon de les ramener à la maison loin d’une guerre qui n’aurait jamais dû être autorisée et qui jamais n’aurait dû être financée, et nous voulons parler de la façon dont nous montrerons notre patriotisme en nous préoccupant d’eux et de leurs familles et en leur donnant les pensions qu’ils ont gagnées. Je ne me présenterais pas pour être Président si je ne croyais pas de tout mon cœur que c’est ce que veut la vaste majorité des Américains pour ce pays. Il se peut que cette union ne soit jamais parfaite, mais génération après génération elle a montré qu’elle peut toujours être perfectionnée. Et aujourd’hui, à chaque fois que je suis tenté par le doute ou par le cynisme à propos de cette possibilité, ce qui me donne le plus d’espoir c’est la nouvelle génération - les jeunes gens dont les attitudes , les convictions et l’ouverture au changement ont déjà fait l’histoire dans ces élections.. Il y a une histoire particulière que je voudrais vous conter aujourd’hui, une histoire que j’ai racontée quand j’ai eu le grand honneur de parler pour l’anniversaire du Docteur ( Martin Luther) King dans son église baptiste, d’Ebenezer, dans l’Atlanta. Il y avait une jeune femme blanche de trente trois ans nommée Ashley Baia qui participait à notre campagne à Florence, en Caroline du Sud. Elle avait travaillé à organiser une communauté plutôt Africaine Américaine depuis le début de la campagne et un jour elle se trouva à une table ronde où chacun voulait raconter son histoire et pourquoi il était là.
Et Ashley dit que lorsqu’elle avait neuf ans, sa mère avait eu un cancer. Et parce qu’elle avait manqué des jours de travail, elle avait perdu son assurance médicale . Elle a dû se mettre en faillite , et c’est alors qu’Ashley a décidé qu’elle devait faire quelque chose pour aidersa mère. Elle savait que la nourriture était très chère, aussi Ashley a convaincu sa mère qu’elle aimait et qu’elle ne voulait vraiment manger que des sandwiches à la moutarde. Parce que c’était le moyen le moins cher de manger.
Elle a fait cela durant un an jusqu’à ce que sa mère aille mieux et elle dit a tout le monde autour de la table que sa raison de se joindre à la campagne était d’aider ainsi les millions d’enfants de notre pays qui veulent et qui ont aussi besoin d’aider leur parents. Maintenant, Ashley aurait pu faire un choix différent . Peut-être quelqu’un lui a suggérer que les problèmes de sa mère venaient de ces noirs qui sont assistés et trop fainéants pour travailler, ou de ces hispaniques qui viennent illégalement dans notre pays. Mais elle ne l‘a pas écouté. Elle a cherché des alliés dans son propre combat contre l’injustice.
En tout cas, Ashley termine son histoire et demande à tous ceux qui sont autour de la table pourquoi ils soutiennent la campagne. Ils ont tous une histoire et des raisons différentes. Certains ont des problèmes particuliers. Et finalement ils se tournent vers un vieil homme noir qui était resté assis tranquille pendant tout ce temps . Ashley lui demande pourquoi il est là. Il ne parle pas d’un problème particulier. Il ne dit rien de l’assistance médicale ou de l’économie, ni de l’éducation ni de la guerre. Il ne dit pas qu’il était là pour Barack Obama. Il dit simplement à tous ceux qui sont autour de la table : « je suis ici à cause d’Ashley ».
« Je suis ici à cause d’Ashley ». En lui-même, ce simple moment de reconnaissance entre cette jeune fille blanche et ce vieil homme noir n’est pas suffisant. Il n’est pas suffisant pour donner une assurance médicale aux malades, ou un emploi aux chômeurs, ou l’éducation à nos enfants.
Mais c’est d’ici que nous partons. C’est ici que notre union devient plus forte. Et comme tant de générations l’ont compris durant deux cents vingt et un ans, depuis qu’un groupe de patriotes a signé ce document à Philadelphie, c’est ici que la perfection commence.
Traduction : Jacques Coubard pour www.humanite.fr
(1) Vient d’être réédité , avec une nouvelle préface de Barack Obama aux Presses de la Cité ; 454 pages, 21 euros. (2) Ancienne directrice de la campagne d’Hillary Clinton, qui avait mis en cause la couleur de Barack Obama et qui dû démissionner à la suite de ces propos. (3) Nom du personnage noir caricatural d’une chanson , qui devint le symbole des lois racistes instituant la ségrégation. (4) Arrêt de la cour suprême de 1954 interdisant la ségrégation scolaire.
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Dominic Desroches115 articles
Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Eti...
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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.
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