Les États-Unis sont actuellement le théâtre des présidentielles 2012. Depuis l’été, nous avons pu suivre les primaires, une compétition politique visant à déterminer le candidat qui affrontera le président sortant de la Maison-Blanche et dont la signification complexe échappe souvent en dehors des États-Unis. Nous avons assisté au couronnement de Mitt Romney, l’ancien gouverneur du Massachusetts, et, en octobre, à des débats fort médiatisés entre ce candidat républicain et le président démocrate Barack Obama. Les sondages, qui donnaient Obama gagnant en début d’été, indiquent à présent une lutte de tous les instants entre ces candidats au poste de pouvoir le plus prestigieux du monde. Dans le cadre de cette campagne, qui pourrait se solder par une victoire historique d’Obama et d’un second mandat, Obamanomics de Niels Planel arrive à point nommé. Car le temps n’a jamais été aussi propice à l’étude des réalisations d’Obama, celui dont l’élection remplie de promesses en 2008 a fait rêver les États-Unis et la planète au complet. S’il a dû reconnaître entre-temps qu’un seul mandat n’allait pas suffire pour changer son pays, quel chemin a-t-il parcouru depuis son élection? Que ferait-il s’il gagnait au scrutin du 6 novembre? Afin de mesurer les défis à venir aux États-Unis, sans doute encore le pays le plus influent du monde, il convient de voir comment Obama a tenté de réformer, non pas tant l’Amérique, selon le sous-titre du livre, mais the United States of America, c’est-à-dire les États-Unis d’Amérique, afin de porter un jugement éclairé sur cette campagne 2012.
Ce petit livre de poche paru en début d’année se veut une présentation synthétique de la philosophie économicopolitique de Barack Obama – on dira désormais l’Obamanomics – à partir des années 2000, c’est-à-dire de la restructuration du parti démocrate jusqu’à l’élection d’Obama comme président en 2008 et sa gouvernance jusqu’en 2011. L’objectif de l’auteur est de présenter le plus lisiblement possible tout le travail de rénovation politique entrepris par Obama, engagé dans la réforme d’un pays en crise qui, après s’être payé des guerres en simultané et une chasse mondiale aux terroristes, a été abandonné à lui-même lors de la crise financière de 2008 par les républicains de George W. Bush, lesquels contrôlaient à la fois, entre 2001 et 2006, la Maison-Blanche et le Congrès. Avant de discuter plus en détail les réussites ou les échecs du premier mandat du président sortant, présentons en quelques mots l’auteur afin d’aborder ensuite le portrait qu’il dresse des politiques démocrates d’Obama.
Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, Niels Planel a vécu de l’intérieur la politique en agissant, de 2005 à 2007, comme assistant d’un proche conseiller du premier ministre nippon Koizumi. Cette expérience lui a permis de se découvrir des talents d’analyste politique. Il est entre autres l’auteur de Sur les pas d’Obama (Hachette, 2009) portant sur la campagne historique d’Obama. Consultant à Washington, correspondant aux États-Unis pour la revue Sens public et traducteur, il se spécialise depuis dans l’analyse des mouvements de gauche aux États-Unis, ce qui teintera inévitablement la présentation qu’il nous offre ici. Voyons maintenant comment.
Obamanomics s’ouvre sur l’analyse de la genèse de l’élection d’Obama, de 2000 à 2008. En étudiant, dans le premier chapitre, le déclin annoncé du parti républicain, le Projet Hamilton et l’importance de Nudge, l’ouvrage influent de R. Thaler et C. Sunstein, dans la contre-révolution d’Obama, l’auteur veut expliquer le contexte et les moyens mis en œuvre par Obama dans sa profonde rénovation du parti démocrate après le départ de Bill Clinton (7-60). On y apprendra comment « le charismatique outsider » a manœuvré entre les Howard Dean, John Kerry et Hilary Clinton pour se faire une place à la tête du parti démocrate. Sensible aux analyses de Teixeira et autres experts de la politique américaine, tenant à voir Obama dans le sillage de Roosewelt et du New Deal, l’auteur voit en l’activiste communautaire le plus célèbre de Chicago un démocrate de centre-gauche qui croit aux vertus du marché. Cette position fait d’Obama le seul capable d’affronter, après la « révolution » conservatrice, l’avènement Reagan et l’épisode du Tea Party, une mondialisation qui déroute les États-Unis. Les républicains sont ici des conservateurs en panne, des politiciens aux doubles discours incapables de comprendre le monde rond. L’auteur montre avec brio comment le Hamilton Project, un think tank fondé en 2006 théorisant les liens entre le libre marché et l’État, a permis à Obama de redéfinir la politique américaine en lui offrant une troisième voie. Celle-ci s’exprime entre autres dans la mise en œuvre des idées défendues dans l’ouvrage Nudge. Le terme « Nudge », que l’on pourrait traduire par « coup de pouce », est l’élément central d’une théorie du comportement économique qui vise à fournir, à moindre coût, de petites recettes permettant aux individus, sans que leur liberté en soit affectée, de corriger leurs faiblesses naturelles. On inscrira, par exemple, les individus à un programme d’épargne qui génère des bienfaits et ceux qui désirent absolument en sortir devront, contre la paresse naturelle, déployer des efforts supplémentaires pour y parvenir. Ce petit détour par les influences intellectuelles qui ont marqué Obama permet de montrer combien celui-ci s’inscrit dans la lignée des hommes politiques sensibles à leur temps et capables d’innover, c’est-à-dire de trouver des moyens de réduire les inégalités sociales.
Le deuxième chapitre porte sur les réformes. Il présente les réalisations et les échecs du président. On y traite de sa réforme en santé, de sa tentative de réglementer Wall Street, de sa difficulté à établir sa politique environnementale, des élections de mi-mandat et du défi posé par la réduction de la dette (63-153). On retiendra que l’auteur a conduit une recherche minutieuse, car sa chronique des événements permet de saisir les défis immenses d’Obama. Par le programme Race to the Top par exemple, il veut non seulement moderniser le pays, mais l’amener au niveau des meilleurs au monde, voilà pourquoi il s’attaque si tôt au lacunes d’un système de santé qui abandonne à leur sort les citoyens les plus pauvres. L’auteur présente ici le contexte de la réforme, les rôles décisifs de Ted Kennedy et de Max Baucus, la manière dont les républicains ont réagi, mais aussi la « réconciliation ». L’autre grand chantier du mandat est la réforme de Wall Street. On y apprend comment Obama a dû composer, dès son arrivée à Washington, avec « une économie en déliquescence » (99). Le président devait alors contrer la montée du discours populiste, mais aussi affronter les problèmes de l’institution la plus importante du monde, Goldman Sachs, qui tanguait. La chronique que nous propose Planel est brillante et claire : on comprend que chaque geste du président compte et que, au Canada, sur le continent et dans le monde, cette réforme de Wall Street est très attendue, décisive, car si elle est importante pour les citoyens progressistes, elle l’est encore plus pour la stabilité des marchés mondiaux. Quant à la réforme environnementale, elle ressemble à une « réforme ratée », écrira l’auteur, en raison du clivage entre la gauche et la droite, mais aussi en raison de l’immensité même de la tâche. Obama a beau tenir un discours exigeant sur les changements climatiques, d’agir en ce sens, les sondages montrent que la population du pays ne le suit pas. Est-ce un effet de l’administration précédente? Sans aucun doute. Le triste épisode de la fuite de pétrole dans le golfe du Mexique marque ensuite à lui seul, et en lettres capitales, l’incapacité de la gouvernance d’Obama à concilier le travail et l’environnement, le passé et l’avenir, dans un pays énergivore dont le modèle de transport est et demeurera la voiture. Si la « prime à la casse » a connu un succès retentissant, les citoyens ont remplacé les vieux tacots usés et polluants par de nouvelles… voitures! Comme on le voit, beaucoup reste à faire au sujet de l’environnement dans un pays qui, sur les côtes sait innover et composer carbone, mais vit encore en 1950 au centre et dans le sud. La chronique des réformes passe enfin par la réduction de la dette. L’auteur souligne qu’au pays de la liberté, on veut toujours moins d’impôts et que les républicains, qui se disent rigoureux dans la gestion des finances publiques, ont fait exploser le déficit américain. Chiffres à l’appui, on peut voir qu’Obama a fait de nombreux efforts, qu’il a multiplié les effets d’annonces, mais que la polarisation au Congrès ne lui a pas permis d’aller au bout de son agenda politique.
La conclusion entend dépasser les chiffres et les faits pour rappeler la signification de la contre-révolution progressiste déployée par Obama, tout en en montrant les limites (153-169). C’est à ce moment en effet que la synthèse doit rappeler à quel point, pour le président, le sort du citoyen, en démocratie américaine, dépend d’abord de lui-même avant de relever de l’État. Planel écrit ces lignes fort suggestives :
« Autant que possible, Obama a souhaité revitaliser ce qui a contribué à faire de l’Amérique (sic) une société jadis caractérisée par cette ‹ égalité de conditions › que Tocqueville n’avait de cesse d’admirer. […] Ainsi, lutter en faveur de l’engagement civique ou contre les fractures, c’est, chez lui, un même combat pour restaurer un certain idéal démocratique. Et si Obama a si souvent répété que l’État ne pouvait pas tout et que les individus devaient savoir se prendre en main, c’est parce que, fort de son expérience dans les quartiers déshérités de Chicago, il reste convaincu que le progrès surgit effectivement quand chacun s’approprie sa destinée et lutte pour défendre ses intérêts. » (156)
Pour lui, le pays reste confronté à la nécessité de se restructurer afin de combattre les inégalités générées par les gouvernements conservateurs. Si la réforme de l’éducation n’a pas donné les fruits souhaités et qu’il n’a pas encore réussi à faire de la politique autrement, il reste une dernière chance à Obama pour marquer les mémoires puisque la campagne de 2012 sera sa dernière.
Quand on arrive à la fin du livre, on a apprécié le style limpide de l’auteur et sa capacité peu commune à déchiffrer le travail d’Obama à partir de ses livres, mais aussi des articles et des entrevues conduites avec des experts de la politique américaine. Nul doute que Niels Planel, qui n’a pas beaucoup disserté ici sur le rapport problématique à Israël ou sur le rôle décisif de la rhétorique dans la réussite d’Obama, s’impose déjà comme l’un des commentateurs les plus avisés de la politique américaine en général et de la gouvernance démocrate en particulier. Si les critiques sont moins nombreuses que les éloges, si le mythe ne disparaît pas tout à fait, c’est que l’auteur a voulu, en se solidarisant avec Obama, expliquer finement son travail, montrer les étapes et les compromis qu’il a réalisés, afin de redonner à la gauche et à ses progressistes, d’ici et ailleurs, l’espoir nécessaire à toute rénovation politique. Le 6 novembre prochain, nous saurons enfin si Obama a réussi son test et s’il pourra achever ses réformes, c’est-à-dire tenir toutes ses promesses.
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