Pour une fois, je suis d'accord avec l'éditorialiste en chef de La Presse André Pratte. Il faut absolument sauver de la démolition la maison du premier ministre canadien Louis-Hypolite Lafontaine. Elle rappelle l'un des épisodes les plus noirs de l'histoire du Québec et le racisme haineux et méprisant qui a caractérisé la minorité anglo-montréalaise de la conquête au mouvement partitionniste et défusionniste actuel. La maison, à l'abandon depuis 20 ans, a été au cœur d'événements sanglants que ceux que René Lévesque appelait les « Rhodésiens blancs » du Québec aimeraient mieux oublier.
En avril 1849, le parlement du Canada-Uni siège à Montréal à l'endroit où se situe actuellement l'édifice des Postes rue McGill. Les réformistes dirigés par Lafontaine sont au pouvoir. Le parti Tory, dont les membres les plus fanatiques sont des Anglais de Montréal, forme l'opposition.
La première loi adoptée par le ministère Lafontaine-Baldwin est le Bill des indemnités. Il s'agit de dédommager les fermiers de la Rive-sud de Montréal qui ont été victimes des représailles brutales de la soldatesque britannique et des milices anglo-montréalaises sous les ordres de Colborne lors des troubles de 1837-1838. Une pareille mesure avait déjà été adoptée, alors que les Tories étaient au pouvoir, pour indemniser les victimes de saccage en Ontario sans que cela provoque la moindre controverse. Quand le gouverneur Lord Elgin donne la sanction royale à la loi le 25 avril 1849, les Anglais de Montréal pètent un fusible. The Gazette, toujours à l'avant-garde quand il s'agit d'attiser la haine anticanadienne française, lance, selon l'historien américain Mason Wade, un appel au « soulèvement racial » :
« Anglo-Saxons, vous devez vivre pour l'avenir ; votre sang et votre race seront désormais votre loi suprême, si vous êtes vrais à vous-mêmes. Vous serez Anglais, dussiez-vous n'être plus Britanniques [...].La foule doit s'assembler sur la Place d'armes ce soir à huit heures. AU COMBAT, C'EST LE MOMENT. »
L'appel à la violence raciale de The Gazette est entendu. Le soir même, ils sont de douze cents à cinq mille, suivant les comptes-rendus, à répondre aux exhortations du journal haineux. Les Anglais en colère s'enivrent tout en écoutant d'odieux orateurs dont le rédacteur en chef de The Gazette, James Moir Ferres, hurler leur mépris et cracher des injures contre les Canadiens français.
Soudain, le chef d'une des brigades des pompiers de Montréal, Alfred Perry, proclame que le temps du verbiage est terminé et entraîne la meute de soudards anglais vers le Parlement qui est en session. La brigade de pompiers de Perry est là au grand complet pour le soutenir dans son rôle d'incendiaire. Elle défonce la porte de l'édifice en se servant de la grande échelle comme bélier. Alors que les parlementaires fuient, Perry pénètre dans l'enceinte et lance une brique sur un lustre, dont plusieurs brûleurs se cassent. Le feu se répand. Il connaît son affaire, le pompier pyromane. Bientôt, un gigantesque brasier illumine la nuit montréalaise.
Sous les acclamations des Anglais ivres d'alcool et d'autosatisfaction, le feu s'étend à la bibliothèque du Parlement. À l'instigation de la Montreal Gazette, les barbares anglo-montréalais détruisent, cette nuit-là, la plus importante bibliothèque du Canada. François-Xavier Garneau parlera de « notre désastre d'Alexandrie ».
La bibliothèque du Parlement du Canada-Uni avait été créée à partir de la bibliothèque législative du Bas-Canada qui datait de 1802, une des toutes premières d'Occident, avec celles du Congrès américain, à Washington, et de la Chambre des députés, à Paris. Elle précédait de seize ans celle de la Chambre des communes de Grande-Bretagne. Les Canadiens français, ce peuple d'illettrés, d'ignorants et d'incultes, avaient réussi à se constituer une des premières bibliothèques parlementaires du monde. La haine raciste de The Gazette et des Anglo-montréalais l'a, en une nuit, réduite en fumée. Bravo The Gazette. (N'oubliez pas de renouveler votre abonnement.)
Cet autodafé n'apaisera pas la rage destructrice des Anglais. Dès le lendemain, 26 avril, après avoir tenté de tuer le premier ministre Lafontaine qui est sous la protection de l'armée, les vandales se dirigent vers sa demeure, rue de l'Aqueduc (actuellement rue Lucien L'Allier) et la saccagent en s'acharnant sur sa bibliothèque.
La police, dominée par des orangistes, laisse faire. Le gouvernement a tellement perdu le contrôle de la situation qu'il ne peut assurer la protection de Lord Elgin. Les Anglais veulent le tuer comme Lafontaine. Pendant des semaines, il ne reparaîtra plus au Château Ramezay, siège du gouvernement.
Quatre mois plus tard, les Anglais veulent toujours la peau de Lafontaine. Un groupe armé tente de nouveau d'envahir la maison, celle qui sera bientôt démolie :
« En arrivant vis-à-vis de la maison de M. Lafontaine, qui est isolée dans un verger (rue de l'Aqueduc, entre les rues Saint-Antoine et Dorchester), les émeutiers, au nombre d'environ 200, forcèrent la porte d'entrée de la cour qui s'ouvre sur la rue ; les plus effrontés entrèrent dans la propriété et commencèrent à lancer des pierres sur la maison.
« M. Lafontaine n'était pas chez lui, ce soir-là, et la garde de la maison avait été confiée à une poignée d'amis déterminés, armés de fusils et de pistolets. [...] Quelques coups de feu furent tirés par les assaillants qui retraitèrent à la première fusillade de la garnison. Les émeutiers amenaient avec eux le jeune Mason, atteint au côté d'une blessure mortelle, et six autres grièvement blessés. Mason était le fils d'un forgeron de la rue Craig, près de la rue Saint-Urbain. Il expira le lendemain matin.
« Avant de mourir, il avoua que l'intention des émeutiers était d'incendier la maison du Premier ministre et de le pendre lui-même à un arbre de son jardin, puis de traîner son cadavre dans les rues. La corde qui devait servir à l'exécution était portée par un des bandits qui faisaient partie de l'expédition*. »
* Hector BERTHELOT et Edouard-Zotique MASSICOTTE. Le bon vieux temps, Beauchemin, Montréal, 1916.
Les incendiaires, le journal The Gazette, instigateur de la violence raciste, de même que ceux qui participèrent aux ratonnades contre les Canadiens français qui suivirent, ne furent jamais punis. Au contraire, ce sont des héros pour les Anglais de Montréal. Un pavillon de l'hôpital Douglas de Verdun porte le nom Alfred Perry, l'incendiaire du Parlement canadien et de sa bibliothèque. Faut le faire !
Alors que dans plusieurs villes canadiennes des rues, des édifices ou des lieux publics rappellent Lord Elgin, il ne s'en trouve pas à Montréal. La ville rend pourtant hommage dans sa toponymie à des dizaines d'obscurs impérialistes qui ont pataugé dans toutes les sanglantes expéditions coloniales britanniques. Les Anglos de Montréal n'ont jamais pardonné à Elgin.
Nous devrions honorer sa mémoire. Une grande rue de Montréal, comme la rue Sherbrooke, devrait porter son nom. Mais pour cela il faudrait que nous perdions la mentalité de valet servile qui nous caractérise. Nous sommes beaucoup trop pusillanimes, beaucoup trop lâches, disons le mot, pour oser indisposer les Anglais de Montréal qui se comportent encore comme à l'époque coloniale. The Gazette prendrait mal cela. Westmount et Hamstead s'offusqueraient.
Notre capacité d'auto-humiliation est quelque chose d'unique au monde : Colonne Nelson, Square Victoria, Parc Colborne (sur la Rive-Sud), rue Moncton (à Québec), Cégep John Abbott (un orangiste anticatholique et antifrançais que le gouvernement du Québec honore en donnant son nom à une institution d'enseignement), etc. White Rhodesia lives on in Quebec. Si on avait la moindre dignité, il y a longtemps que tout le bataclan aurait été déboulonné et expédié, en Ontario ou à son avant-poste local, le ghetto défusionné de Westmount.
Admettons qu'en tant que peuple masochiste, nous avons un besoin viscéral de passer quotidiennement devant des monuments érigés à la gloire de nos conquérants. Au moins, choisissons-en un qui soit sympathique. Remplaçons la morgue suffisante de Nelson sur sa colonne par la bonne bouille rondouillarde de Lord Elgin. Bon, j'ai hâte de voir si la future sénatrice Lysiane Gagnon va me reprocher d'être un
« nationaleux » parce que je propose d'élever un monument à un lord anglais.
Poing à la ligne - Normand Lester
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