Chronique d’humeur

Remords et regrets

Chronique de Louis Lapointe

Récemment, j’ai posé ma candidature à un poste dans une université pour lequel j’avais toutes les compétences. Le genre d’emploi que j’aurais pu faire une main dans le dos. L’année dernière, un vice-recteur m’avait incité à poser ma candidature au même genre de poste dans une autre université.
Je n’ai pas eu ces emplois. Je n’ai même pas été convoqué en entrevue. J’avoue ne pas savoir précisément pourquoi, mais au-delà de mes compétences qui n’ont jamais été contestées, je doute que le fait d’être indépendantiste et de l’afficher publiquement ne m’ait pas aidé. Ma franchise et mon honnêteté non plus.
Je me suis malheureusement fait une mauvaise réputation au fil des années, celle d’un homme honnête qui a des convictions éthiques. Des sujets que j’ai souvent abordés dans mes chroniques et qui n’ont certainement pas contribué à me rendre plus sympathique auprès d’éventuels employeurs.
Un président d'une organisation publique m’a déjà fait la remarque que certains avocats manquaient de souplesse lorsqu’il s’agissait d’interpréter la loi. Je puis convenir que lorsqu’on travaille dans un cabinet privé d’avocats on peut chercher les failles dans les lois dans l’intérêt de ses clients, je l’ai fait à maintes reprises avec succès.
Mais lorsqu’on travaille pour un établissement à vocation publique, qu’on gère des budgets publics, on doit plutôt tendre à respecter l’esprit des lois et à les appliquer dans l’intérêt du public, pas en fonction des lobbies. C’est ce que j’ai fait tout au long de ma carrière publique et cela ne m’a manifestement pas aidé. Cela m’a même rendu malade et j’ai mis plusieurs années avant de m’en remettre.
Donc, quand je vois toute cette corruption qui règne entre le secteur public et le secteur privé, j’ai une bonne idée des raisons pour lesquelles ce phénomène existe.
***
Je suis également de ceux qui comprennent pourquoi Serge Ménard n’a pas dénoncé Gilles Vaillancourt. Il a eu peur. Il a eu peur qu’on ne le croie pas. Il a eu peur de voir sa carrière brisée. Un sentiment que je connais bien.
En raison de son expérience d'avocat - il a représenté de nombreux policiers - il se doutait probablement qu’il existait au Québec une catégorie de personnes très puissante qu’on ne pouvait pas dénoncer parce que la police ne ferait rien, pas parce qu’elle ne voulait pas, mais bien parce qu’elle ne pouvait pas. Il a pu penser que des gens très hauts placés au Québec préféraient ne pas savoir ce genre de choses. Impression que son passage à la Sécurité publique ne semble pas avoir atténuée.
On se demande bien pourquoi des ministres - avocats par surcroît - titulaires de la Justice et de la Sécurité publique ont mis si peu de zèle à dénoncer des situations qu’ils savaient irrégulières, 7 ans dans un cas*, 17 ans dans l'autre**. Doutaient-ils de leur capacité à convaincre leur propre police ou refusaient-ils tout simplement de mettre leur gouvernement dans l’eau chaude parce que leurs carrières étaient en jeu?
***
Moi aussi il m’est arrivé d’avoir peur au cours de ma carrière. Souvent même. Par contre, j’ai rarement cédé à cette émotion. J’ai préféré confronter mes supérieurs lorsque j’étais convaincu d’avoir raison et j’ai toujours eu gain de cause lorsque c’était le cas, n’hésitant pas à faire naître ce même sentiment chez eux. Rien pour se faire de nouveaux amis en très hauts lieux. Une attitude qui contribue certainement à créer le vide autour de vous.
J’ai accepté le risque de perdre mon emploi, marchant constamment sur une corde raide, plutôt que de vivre avec les remords d’avoir laissé aller des situations. Une source incessante de stress qui finit par vous détruire parce que vous savez intimement que ce n’est pas ce qu’on attend de vous. Combien de fois m’a-t-on amicalement suggéré de rentrer dans le rang !
Voilà pourquoi je fais partie de ceux qui ne peuvent pas s’attendre à recevoir un appel téléphonique lorsque le vent politique tournera. La haute fonction publique ne changera pas de culture parce qu’il y aura un changement de régime.
Ceux qui ont suivi la commission Bastarache auront certainement remarqué, s’ils n’ont pas été étonnés, que, sauf exception, les plus hauts fonctionnaires disaient ne rien savoir. Des gens qui ne changeront pas non plus.
Je préfère vivre avec mes regrets qu’avec leurs remords.

*Marc Bellemarre
**Serge Ménard
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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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3 commentaires

  • Nicole Pedneault Répondre

    25 novembre 2010

    Merci de votre témoignage monsieur Lapointe! Quel plaisir de vous lire!
    Il est si rassurant de constater qu'il existe encore et toujours des gens d'honneur.
    Je lis toujours avec intérêt vos analyses.

  • Archives de Vigile Répondre

    25 novembre 2010

    Bonjour monsieur Lapointe,
    je n'ai pas travaillé dans la fonction publique mais dans un secteur qui lui est proche, soit le para-public. J'ai pris ma retraite en 1997 à l'occasion des coupures gouvernementales. Ce que vous décrivez dans votre texte, je l'ai constaté à maintes reprises dans les différents milieux dans lesquels j'ai oeuvré. J'étais également reconnu comme quelqu'un de droit, d'honnête et qui ne se laissait pas corrompre. Je puis vous confirmer que dans ce milieu, ce type de personne est rarement bienvenu. Comme vous, je suis fier de ne m'être jamais laissé corrompre et bien heureux de vivre ma retraite sans aucun remord. J'en ai connu beaucoup qui ne peuvent en faire autant et qui vont passer le reste de leur vie à essayer de justifier leurs gestes antérieurs.

  • Archives de Vigile Répondre

    25 novembre 2010

    À la lecture de votre article de ce matin, je constate que le monde du travail n'est pas devenu plus facile depuis que j'ai pris ma retraite en 1997.
    Je lis régulièrement, avec une attention sans cesse renouvelée, vos billets dans Vigile et j'admire votre sens de l'honneur qui donne à mes yeux d'autant plus de poids à vos perceptions concernant l'actualité.
    Merci.