"Pauvre Québec,
Terre de toutes les dissensions,
creuset de toutes les contradictions !"
De tout temps, lorsque nous vivons trop dans une époque, nous oublions de
nous arrêter ne serait-ce qu’un moment pour observer tout bonnement ce qui
se passe politiquement autour de nous.
Nous négligeons de mettre de côté nos lunettes et de déposer nos armures
idéologiques pour un temps.
Au Québec, en cette fin d’année 2007, nous aurions tous un grand besoin de
faire cela.
Nous taire un peu, et réfléchir à l’ensemble de ce qui se passe au sein de
notre Nation.
Car il se passe quelque chose de très important.
Quelque chose de diamétralement différent de tout ce que nous avons connu
par le passé.
Quelque chose de si différent, que nous refusons de le voir ou que nous
continuons à réagir et à agir comme si nos solutions et nos approches
d’avant pouvaient encore être d’une quelconque utilité.
Mais soyons plus précis et examinons la situation ensemble, tout de suite,
à travers ce petit texte bien modeste, à travers ces mots si dérisoires que
je tenterai d’aligner pour nous tous, juste pour voir plus clair et retirer
un peu le voile, juste pour sortir un peu de cet épais brouillard dans
lequel nous sommes tous plongés, que nous soyons québécois souverainistes,
autonomistes ou fédéralistes.
Notre point de départ est une simple question :
Si l’on s’arrête, et que l’on regarde l’ensemble de tout ce qui se dit,
s’écrit et se dessine présentement au Québec sur les enjeux politiques et
sociaux, que voit-on ?
Question innocente, me direz-vous…
Et pourtant, question primordiale qu’on ne se pose plus parce que trop
pris dans le tourbillon du particulier, trop coincés dans l’ouragan des
idées à l’emporte-pièce qui nous envahissent sans cesse.
Si ce texte ne m’avait servi qu’à vous dire cela, ce serait déjà beaucoup.
Nous n’avons plus de distance, nous ne sommes plus capables, semble-t-il,
de nous dégager de ces tempêtes d’idées émotivement saturées qui nous
bombardent chaque jour.
Donc, pardonnez la répétition, mais répétons notre question.
Si l’on s’arrête, et que l’on regarde l’ensemble de tout ce qui se dit,
s’écrit et se dessine présentement au Québec sur les enjeux politiques et
sociaux, que voit-on ?
Cette question possède, j’en suis persuadé, le potentiel de nous sortir de
notre impuissance, de notre actuelle incapacité à dégager pour nous-mêmes
une voie d’espoir pour le Québec, une voie de fraternité qui surmonterait
les morcellements fragmentaires qui se multiplient entre nous de façon
exponentielle.
Alors regardons-la, cette fameuse « big picture »!
Que voit-on ?
Premièrement, avec l’éclatement des modes communautaires de communication,
on voit une avalanche d’opinions, de perceptions, de modes d’emplois, de
dénonciations, de recettes miracle et de procès collectifs.
On voit des idées de plus en plus catégoriques et de plus en plus
spécifiques, grâce aux instruments puissants que sont internet,
l’information continue, les multiples lignes ouvertes, la multiplication
des micros-partis politiques, ajoutés à l’omnipotence des empires
médiatiques qui étendent les tentacules du momentané et du
sensationnalisme.
Présentement, au Québec, nous tentons tous de poser des diagnostics et de
proposer des remèdes, et il reste bien peu de gens pour mettre un peu de
côté les discours univoques et émotifs, bien peu de gens pour se contenter
d’aligner les faits et les symptômes, au lieu de proposer avec une
précipitation de désespérés tous les nouveaux remèdes de cheval dans leurs
moindres détails !
C’est donc là une première constatation : tout le monde propose des
solutions variées et étrangement hermétiques, qui semblent toutes avoir
très peu de perspectives d’ensemble, très peu de cohérence globale.
Le manifeste des lucides a certes été, je le pense, le début de ce genre
de phénomène. Ce manifeste, mélange de récriminations et de solutions à la
pièce, a pavé la voie à ce mode de réflexion qui est devenu désormais la
norme.
Parallèlement à cela, certains systèmes d’idées mieux organisés et plus
cohérents continuent de se faire entendre à travers la cacophonie
ambiante. Québec Solidaire en est un exemple, la social-démocratie
souverainiste et le fédéralisme ordinaire en sont d’autres.
Mais ces édifices ne sont clairement pas des voies de ralliement. Il n’y a
plus de mobilisation autour de ces systèmes, et il est présentement
difficile de croire qu’il puisse jamais plus y en avoir.
Pourquoi ?
Parce que quelque chose a changé.
Les gens semblent ne plus vouloir s’attacher à des idéologies d’ensemble,
auxquelles on s’attache et l’on se rallie. Il y a encore des irréductibles
solidaires, des irréductibles fédéralistes, des irréductibles péquistes ou
bloquistes, mais aucun de ces mouvements ne prend de l’expansion. Un peu
comme l’Église catholique, ils semblent tous tentés par différents moyens,
parfois extrêmes, de renverser les tendances et de recréer un engouement.
Pourtant, que l’on soit Cardinal ou que l’on s’appelle Françoise David,
force est de constater que les foules ne sont pas au rendez-vous.
Les québécois ne semblent plus croire que l’avenir appartienne à une
idéologie quelconque.
D’un autre côté, les opinions parcellaires deviennent l’alternative, de
même que les discours négatifs.
L’ADQ est manifestement une représentation de ce phénomène,
particulièrement depuis le manifeste des lucides.
En effet, depuis ce temps, le mode solution à la pièce et critiques
intempestives règne en maître, par la bouche de Mario Dumont, comme par
celles de milliers d’internautes et de commentateurs-citoyens qui suivent
le même modèle. Je parle non pas ici d’idées nécessairement de droite ou
adéquistes. Je parle d’une certaine façon d’aborder la politique. Une façon
de faire qui a comme constante d’être en dehors de toute vision d’ensemble,
de tout projet global commun. Or ce phénomène sévit autant à droite qu’à
gauche. Les dissidents sont légion et de toutes allégeances.
Pourtant, même si ce phénomène est devenu dominant, et représente
manifestement la nouvelle tendance, il semble clair que sa nature même
porte en elle ses propres limites.
En effet, comment rassembler toutes ces opinions disparates et divergentes en une vision du Québec qui puisse dégager une certaine adhésion ?
L’ADQ pourrait paraître le parti le mieux positionné pour relever ce défi,
mais sous ses airs adaptables et derrière son approche non-conventionnelle,
il demeure un parti enfermé dans une idéologie néolibérale, donc
anti-souverainiste et anti-social-démocrate. C’est d’ailleurs ce
dogmatisme, bien camouflé sous son vernis populiste, qui empêche l’ADQ de
conquérir de nouvelles clientèles, ou de dégager une vision globale
réellement libérée des ornières idéologiques.
***
Je me dois immédiatement de clarifier ma position, car l’analyse que je
viens de faire me permet de dégager une certaine conclusion générale de ce
qui se passe dans notre Québec présentement.
Je suis souverainiste, mais pas pressé, je suis à la fois de gauche et de
droite, dépendant des sujets. Par attachement je demeure péquiste, et
jamais je ne passerai à l’ADQ, car je ne crois pas que ce parti puisse
s’élever au-dessus de son dogmatisme fédéraliste et néolibéral.
Ceci étant dit, le portrait de la situation me semble celui-ci : le temps
des retours de balancier est révolu au Québec.
Ce que je veux dire, c’est que j’ai l’intuition que le Québec a besoin
d’un nouvel élan, mais que les pôles du balancier politique nous enfoncent
dans notre paralysie alors qu’auparavant ils avaient toujours été les
tremplins pour nous relancer.
En effet, nous sommes toujours passés d’engouements nationalistes en
périodes de fédéralisme tranquille, de vagues progressistes en retours de
conservatisme, et nos impulsions d’aller-retour dans cette mécanique
pendulaire ne fonctionnent tout simplement plus. Le bon vieux réflexe est
encore actif mais son mouvement ne déclenche plus rien, car personne ne
s’entend plus sur aucun des pôles traditionnels du balancier.
Voilà où en est le Québec en cette fin d’année 2007.
Je ne sais quel messie ou parti pourra venir briser cette embâcle, mais
selon moi seule une vision de remaillage pourra nous donner un véritable
regain de vie nationale. Ce remaillage ne pourra rallier une majorité que
s’il s’inscrit dans une vision non-partisane en regard des anciens systèmes
idéologiques, soit en proposant un ensemble de solutions politiques
mitoyennes et mesurées, où les absolutismes de gauche comme de droite
seront brisés, et remplacés par des approches où on mariera ensemble
lucidité et solidarité, gestes souverainistes mais sans rupture totale et
subite d’avec le Canada.
Quelle différence avec l’autonomisme adéquiste?, me diront certains.
La grande différence, c’est que l’ADQ est devenu un parti qui a refusé la
souveraineté. La solution politique réelle est d’éviter un tel
positionnement restrictif. Mission impossible ? Tout le monde n’y
perdrait-il pas son âme ?
Je ne crois pas que nous ayons le luxe d’y croire ou de ne pas y croire.
Je suis persuadé que nous n’avons pas le choix.
Des visionnaires devront faire le pont et recoudre ce Québec brisé.
Sinon, nous nous morcellerons davantage, et nos gouvernements demeureront
minoritaires.
Peut-être est-ce tout ce que nous désirons collectivement pour le moment.
Mais il n’est pas inutile de savoir que lorsque nous serons prêts pour
autre chose, la décision de délaisser nos oppositions idéologiques
traditionnelles sera la seule façon pour notre peuple de retrouver un élan
national.
Lorsque ce choix sera vraiment fait, les solutions découleront de source à
travers un nouveau creuset vraiment novateur.
Voici quelques exemples de scénarios qui pourront alors être enfin
examinés dans un semblable nouveau contexte :
1- Dans les grands projets, surmonter le « pas dans ma cour » en mettant
cartes sur table, en donnant le choix des scénarios et tous les paramètres
aux communautés visées par les projets, plutôt que de décider en vase clos.
2- au niveau immigration, continuer d’accueillir, mais réduire le nombre
annuel d’immigrants afin de prévenir de graves problèmes sociaux
d’intégration.
3- au niveau de la souveraineté, se retirer de tout ce qui bloque le Québec
dans le fédéralisme, en ignorant les jugements et obligations
constitutionnelles, juridiques et légales canadiennes, sans toutefois
rompre avec le Canada d’un seul coup.
4- En santé, préserver le système public sans dogmatisme anti-privé.
5- En éducation, retourner aux connaissances de base sans rejeter en bloc
les nouvelles approches pédagogiques.
6- En environnement, mettre d’abord tout les efforts pour créer de
nouvelles opportunités économiques régionales de développement durable, au
lieu de s’attaquer aveuglément à toute source d’industries polluantes.
7- Au niveau religieux, sauvegarder l’héritage catholique mais imposer la
laïcité pour le reste.
8- Mettre un terme à cette culture d’opposition entre villes et régions.
Ce ne sont que quelques énoncés très généraux, mais qui permettent de
percevoir plus concrètement à quoi ressemblerait vraiment un début de
déblocage.
Je vois cependant mal comment un parti existant pourrait mener un tel
changement. Quant à un nouveau parti, c’est toujours difficile d’empêcher
un certain noyautage idéologique. À moins que des personnalités fortes et
d’horizons idéologiques complètement différents s’impliqueraient de façon
égalitaire.
Ou encore que soit créée une coalition de partis. Chacun pourrait
conserver son système idéologique de base mais aurait une obligation de se
fondre dans la coalition au niveau national.
Reste à voir quels mécanismes pourraient engendrer un tel miracle !
Chose certaine, l’avenir politique du Québec passe selon moi par un projet
qui rassemblerait, comme au club des ex à radio-Canada, toutes les Liza
Frulla, Marie Grégoire, et Jean-Pierre Charbonneau du Québec.
Et pourquoi pas aussi les Françoise David, les Philippe Couillard, les
Jacques Parizeau et les Lucien Bouchard ?
Bien sûr, un tel avenir paraît tout-à-fait utopique, et surtout non
souhaitable pour plusieurs.
Mais c’est pourtant par une forme ou une autre de coalition
multi-idéologique que le Québec sortira de l’impasse.
En attendant, il nous reste à continuer d’observer le sinistre spectacle
de l’apothéose finale de nos innombrables divisions…
Jean D'Arc
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1 commentaire
Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre
1 décembre 2007Monsieur Jean D’Arc, matériel à greffer à vos réflexions.
GUIDE D’ACCÈS À L’INDÉPENDANCE.
La langue française fait partie du patrimoine canadien des Québécois : elle nous lie au Canada d’hier, soit celui de nos ancêtres canadiens.
C’est après avoir répondu à la question suivante : en quoi la langue française nous lie-t-elle au Canada?, que nous comprendrons pourquoi une majorité de Québécois, même souverainistes, demeure attachée au Canada.
Sur le plan historique, l’indépendance du Québec n’est ni une coupure ni une rupture avec le Canada. Ce n’est qu’une suite logique, voire simple récupération de l’œuvre de nos ancêtres. En effet, le Canada qu’ils ont fondé n’était rien de moins qu’un « pays » unilingue français.
LE CANADA D’AUJOURD’HUI N’EST PAS ABSOLUMENT OU ENTIÈREMENT LE CANADA.
Lorsqu’on parle du patrimoine canadien que les Québécois ont droit de conserver, on fait allusion surtout et d’abord au patrimoine d’avant 1867. (détail :Fernand Couturier »Un peuple et sa langue, Fondation littéraire Fleur de Lys, 2004)
En retenir que le Canada n’a pas commencé avec la Constitution de 1867 ni même avec la fondation de la ville de Québec en 1608 mais dès le deuxième voyage de Jacques Cartier en 1535-1536. Ce Canada était unilingue français et l’identité canadienne était alors exclusivement française, comme en témoignent des textes historiques du gouverneur Murray (Jacque Lacoursière : Histoire populaire du Québec, 1996)
PUIS LES COLONS ANGLAIS REVENDIQUÈRENT POUR EUX-MÊMES NOTRE IDENTITÉ CANADIENNE EN LA DÉNATURANT. NOUS ONT PRIS NOTRE IDENTITÉ.
Mais qu’importe les événements et l’histoire, l’attachement à l’identité première demeure vive, aussi vive que celle des immigrants dans un nouveau pays. On peut donc comprendre aisément pourquoi une majorité de Québécois se reconnaissent comme Canadiens ou Canadiens français et souhaitent le demeurer même dans un Québec indépendant. C’est ce lien identitaire que près de 50% des Québécois ne voudront jamais couper avec le Canada.
UNE PARTIE DU PATRIMOINE CANADIEN APPARTIENT AUX QUÉBÉCOIS.
Dans les circonstances, il appert que le meilleur moyen pour les Québécois de promouvoir le maintien et la valorisation du Québec français (partie du patrimoine canadien, nord-américain et mondial) de même que leur partie du patrimoine canadien serait de faire du Québec un pays qui conserverait un lien identitaire, symbolique et économique avec le Canada.
Le lien le plus important est sans doute la citoyenneté canadienne et le droit d’aller au Canada et d’y revenir sans qu’il y ait de frontière.
Il faut donc assurer les Québécois que, même si le Québec devient un pays, ils ne perdront pas l’héritage canadien cédé par leurs ancêtre, dont leur identité de Canadiens-français, héritage auquel ils ont droit, peu importe ce qu’en pense le Canada anglais.
LE QUÉBEC EST AUX FRANÇAIS D’AMÉRIQUE CE QU’ISRAËL EST AUX JUIFS ET À LEUR HÉRITAGE ET CE QUE L’Irlande EST AUX IRLANDAIS.
D’où l’argumentaire d’un patrimoine à revendiquer auprès de l’UNESCO.
Ces extraits sont tirés de :POUR LA SURVIE DU QUÉBEC FRANÇAIS
Guide d’accès à l’indépendance, 2007 (Bertrand, G)