Règles religieuses et démocratie: le débat doit se faire maintenant

Débat sur la laïcisation

Les décisions récentes des tribunaux concernant les accommodements que les institutions publiques doivent faire envers certaines religions relancent le débat de la laïcité dans nos sociétés démocratiques. C'est à ce propos que Diane Guilbault nous fait parvenir ce texte, qu'il nous fait plaisir de diffuser ici en vous invitant, comme toujours, à nous faire parvenir vos textes pour publication à l'adresse: [webmestre@latribuduverbe.com->mailto:webmestre@latribuduverbe.com].
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Nous avons tendance à réduire la démocratie à la possibilité d'exercer notre droit de vote et de choisir celles et ceux qui dirigeront notre société (pays, province, municipalité, etc.) en notre nom. On oublie trop vite que la démocratie, c'est aussi la possibilité pour les citoyens de gérer leur vie en commun : on décide des lois, des interdits, on les applique et au besoin, on les remet en question. En démocratie, tout peut être discuté contrairement aux théocraties où la parole divine, le plus souvent prononcée il y a des siècles, ne peut être discutée puisque elle n'appartient qu'au dieu ou au prophète dont cette théocratie se réclame.
Or, les récents accommodements décidés par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) et par la Cour suprême, re-consacrent le caractère inaltérable des «ordres» divins. Dans son jugement autorisant le port du kirpan à l'école primaire, la juge qui rédige la décision va jusqu'à affirmer que le voile (hidjab) est une obligation religieuse!!! Non seulement cette interprétation est réfutée par bien des musulmans modérés, mais force est de constater que les règles dites de source divine sont d'emblée jugées plus importantes que les règles démocratiques. Pourtant, on se dit en démocratie.
Bien sûr, notre histoire, comme celle de bien des sociétés, a été marquée par la religion qui faisait plus ou moins office de cadre légal. Mais justement, la modernité nous a permis de transformer ces règles dont plusieurs avaient beaucoup de sens- tu ne tueras point, tu ne voleras pas, etc. - en code juridique civil non théocratique. On a aussi décidé, ce faisant, d'abandonner certaines règles jugées inacceptables à l'aune de nos valeurs démocratiques comme l'égalité. Les droits des femmes et la mixité des institutions publiques s'inscrivent dans cette modernité choisie. En outre, plusieurs fêtes religieuses ont été transformées, avec le temps, en jours chômés légaux accordés à tous les gens sur le marché du travail. S'il y a des personnes exclues de ces congés, cela n'a rien à voir avec leur religion mais davantage avec leur statut de salarié précaire!
Bien sûr, ce processus de démocratisation et par le fait même de laïcisation est récent et n'est pas totalement terminé. Ces changements prennent du temps quand on veut bien les faire. Cependant, cette volonté est réelle et indiscutable. La société québécoise, pour parler d'elle, a posé, depuis les années 60, plusieurs gestes concrets qui témoignent de sa volonté d'aller réellement dans cette direction. Pensons notamment au grand branle-bas qui a mené à la déconfessionnalisation des commissions scolaires et qui s'achèvera avec la déconfessionnalisation des écoles prévue d'ici peu. Tout cela s'est fait pacifiquement, dans le respect des règles que notre société s'est données.
Ce qui choque dans cette succession d'accommodements à la pièce qui remettent en question cette laïcisation en voie de se faire, c'est qu'on a l'impression que nos choix collectifs sont, peu à peu, «grignotés» pour répondre aux demandes d'individus qui refusent cette vision laïque des institutions civiles et qui cherchent à les transformer voire, à nous ramener contre notre gré à une situation que nous avions pourtant décidé, collectivement et démocratiquement, de changer.
Parfois, la majorité peut et doit l'emporter, c'est le propre de la démocratie. Et c'est ainsi que les catholiques et les protestants pratiquants, devenus minoritaires, ont dû accepter la déconfessionnalisation du système scolaire après de nombreuses années de lutte. Pourtant, malgré le fait que cette décision passait outre les droits historiques d'un groupe, elle fut saluée comme une victoire de la démocratie.
Au moment où les Chartes québécoise et canadienne ont été adoptées, fin des années 70 et début des années 1980, nul ne pouvait prévoir que notre élan vers l'affranchissement de la société civile vis-à-vis la religion allait être remis en question avec la montée des fondamentalismes religieux amorcée dans plusieurs parties du monde. Si ces chartes étaient écrites aujourd'hui, le libellé serait-il exactement le même? Comme elles sont des produits de la démocratie, on a le droit de se poser la question. (Un gros avantage sur tous les écrits bibliques, coraniques et autres.) Ne serait-il pas le temps de revoir ces instruments dans le contexte d'aujourd'hui et à la lumière des décisions rendues?
D'une part, on pourrait se demander dans quelle mesure cette reconnaissance quasi absolue des droits individuels est compatible avec le vivre ensemble qui repose sur des choix collectifs faits démocratiquement. D'autre part, on pourrait aussi s'interroger sur la place qu'on accepte de donner aux règles religieuses - par essence non démocratiques mais théocratiques - dans l'espace public moderne. La CDPDJ a reconnu elle-même l'urgence de faire le débat au moment où elle a rendu sa décision concernant les locaux de prière pour les musulmans à l'ETS.
Dommage qu'elle ne l'ait pas fait avant de rendre sa décision mais... mieux vaut tard que trop tard.
Diane Guilbault
_ Saint-Lambert


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