Quelle urgence?

Euthanasie


N'y a-t-il pas matière à s'étonner devant cette nouvelle commission sur le droit de mourir dans la dignité? Qu'est-ce donc que cette urgence, créée en partie par la Fédération des médecins spécialistes du Québec, dont la majorité des membres (20 % des adhérents seulement se sont exprimés) seraient pour l'euthanasie? Pourquoi cette commission québécoise qui peut-être proposera de légiférer en faveur de l'euthanasie ou du suicide assisté, alors que la compétence en ces matières relève du gouvernement fédéral, qui n'a pas l'intention de modifier la loi?
Pourquoi débattre de la mort, des moyens de mettre un terme à la vie à ce moment-ci, dans un Québec dont on ne peut pas affirmer qu'il transpire d'enthousiasme, de dynamisme et de vitalité? Que recouvre cette urgence d'un débat national sur la mort, alors que l'on sent intuitivement un affaissement du moral des citoyens, qu'on serait tenté de qualifier de dépression collective? Et quand on apprend que le suicide chez nous est en baisse, sauf dans la catégorie des baby-boomers, ceux-là mêmes qui ont défini puis servi l'État, mais qui se sont aussi servis à même la structure étatique, on a des raisons supplémentaires d'être troublé.
Entre les débats sur la détérioration de Montréal, grand corps malade anémique, la corruption réelle ou virtuelle de syndicats de la construction, d'entrepreneurs véreux ou mafieux, de fonctionnaires cupides et d'édiles angéliques ou machiavéliques, l'espace pour discuter de la vie, de l'espoir, du dépassement est réduit à une peau de chagrin. C'est peu dire qu'il est difficile d'avoir le moral, lorsqu'on voit que la morale est mise à rude épreuve par ceux qui nous gouvernent, voire ceux qui pourraient nous gouverner et par tous ceux qui savent contourner la légalité. À quand les débats publics sur la vie, sur le sens de la vie en société, sur les moyens de retrouver la combativité nécessaire au progrès social? Qui s'inquiète de la régression sociale des jeunes par rapport à leurs parents baby-boomers, l'incarnation même de l'ascension sociale? Qui s'inquiète de la posture négative qui prend systématiquement le dessus dès qu'il s'agit de mettre de l'avant des projets tendus vers l'avenir? Ce défaitisme ne serait-il pas aussi l'expression d'une altération du goût de vivre collectif, compensée par l'obsession de rire à tout prix?
L'acharnement thérapeutique est-il la norme chez nous? On en doute. Le scandale réside plutôt dans le sous-financement d'unités de soins palliatifs dont on ne dira jamais assez qu'ils assurent la dignité du passage de vie à trépas. Y avait-il urgence de mettre sur pied une commission financée encore une fois à hauteur de millions pour découvrir cette évidence?
Depuis les années soixante, période faste en rêves, en révoltes vivantes, toniques, le Québec est passé sans transition à des crises existentielles dont les référendums demeurent des marqueurs indélébiles. Les conséquences se font sentir avec une lourdeur et une opacité de ce qu'on pourrait appeler le caractère québécois. Nous ne sommes ni joyeux, ni légers malgré ce que l'on affiche et ce que l'on crie bien haut. La noirceur dont on affublait la société passée est réapparue amplifiée par les tourments réels de l'Occident en crise. Notre cinéma, notre théâtre, nos feuilletons télévisés véhiculent cette démoralisation, non sans talent d'ailleurs. Mais lorsqu'on établit des comparaisons avec d'autres sociétés développées, le Canada anglais avant tout, l'on constate des variantes distinctives, dont l'adhésion à l'euthanasie et le suicide assisté en sont des preuves évidentes. En effet, à travers le Canada, c'est au Québec que ces mesures sont les plus populaires.
Devant le sentiment d'urgence qui préside à ce nouveau débat, l'on n'ose imaginer certaines arrière-pensées de lobbys divers. Les médecins spécialistes veulent bien sûr se protéger de poursuites judiciaires, ce qui est compréhensible, mais à voir le nombre de médecins réticents ou opposés à ces actes extrêmes, l'on peut douter que la protection juridique du médecin ne passerait que par la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. Plus dérangeants sont les tenants de la diminution des coûts dans les soins de santé au nom de l'efficacité et de la rationalisation. Le dérapage s'installe là où ces deux concepts s'imposent en lieu et place d'une vision morale de l'être humain. Cette semaine, devant la commission, une députée a cru bon de préciser que «l'euthanasie n'était pas un prétexte pour libérer des lits.» Nous voilà rassurés. Décidément, le Québec aurait pu faire l'économie d'un débat où, chaque soir durant un an, les médias diffuseront des témoignages de personnes qui souhaitent mourir ou aider des proches à mettre fin à leur vie. Non pas que ce sujet devrait être tabou ou qu'on doive l'écarter. La mort est au coeur de l'obsession de la vie. Mais, dans le contexte actuel fait de désillusion politique, d'engourdissement intellectuel, de fatalité planétaire et de frustration sociale, cette commission assombrit de son contenu les possibles éclaircies.
Autre chose gêne dans ce débat. C'est le ton de plusieurs qui se portent à la défense de l'euthanasie comme s'il s'agissait d'espaces verts ou de pistes cyclables. On pourrait parler d'une insoutenable légèreté ou d'une assurance autoritaire, alors qu'il faudrait user d'un vocabulaire de toutes les nuances d'une compassion marquée au sceau de l'empathie. Commentant les débats cette semaine, l'ex-ministre Jean-Pierre Charbonneau, à qui l'on faisait remarquer que le Québec est la seule province à discuter de la mort, s'est exclamé: «C'est la preuve que le Québec est distinct.» Qui eût pensé que la mort servirait d'argument final pour accéder à l'indépendance?
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denbombardier@videotron.ca


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