Bien sûr, le projet de loi sur l'interdiction du voile intégral (la burqa et le niqab) dans les organismes gouvernementaux et paragouvernementaux est une vraie décision, confirmant que le Québec est une société distincte en Amérique du Nord. Bien sûr, cette interdiction répond aux attentes de la majorité des Québécois.
Bien évidemment, ce projet de loi exprime la volonté du gouvernement d'affirmer des valeurs québécoises modernes, celle de l'égalité entre les hommes et les femmes, au premier chef. Mais ce projet de loi ne s'attaque en quelque sorte qu'à la périphérie du problème des accommodements raisonnables. N'avions-nous pas prévu que l'interdiction de la burqa deviendrait l'instrument stratégique pour banaliser le hidjab, le rendre politiquement et socialement acceptable?
À vrai dire, le débat de fond qui se déroule chez nous est à peine amorcé et il présage des lendemains sans doute aussi déchirants que lors des affrontements au moment des deux référendums. Qu'est-ce donc que ce concept de laïcité ouverte si cher au Parti libéral et à des intellectuels dits cosmopolites, libérés des scories identitaires et allergiques au mot «nation» et parfois à celui de «peuple»?
Les mots n'étant jamais innocents, les tenants de la laïcité ouverte n'ignorent pas qu'elle renvoie inévitablement à son contraire, c'est-à-dire une laïcité fermée. De plus, les partisans de la laïcité ouverte ne se privent pas de présenter la laïcité telle qu'appliquée en France comme un repoussoir, taisant sciemment qu'elle fut le creuset grâce auquel elle accueillit dans le passé des immigrants de toutes cultures et religions qui voulaient y trouver une liberté perdue chez eux. La France, aujourd'hui, demeure une grande terre d'accueil, toute laïque qu'elle soit avec ses interdictions du voile à l'école.
Les Québécois souhaitent-ils restreindre l'interdiction du voile au seul voile intégral? Or le hidjab ne devient pas une banalité vestimentaire pour autant. Ce symbole de soumission de la femme, signe religieux ostentatoire, peut-il être porté par les employés de l'État dont on affirme par ailleurs la neutralité? Tous les signes religieux ostentatoires devraient être interdits dans les organismes étatiques. Un juge, un policier ne doivent porter que la toge ou l'uniforme qui les distinguent de tous et leur accordent les privilèges qui s'y rattachent: celui de détenir une arme à feu pour le policier, celui d'appliquer la justice pour le juge.
Il est inacceptable de prétendre que ceux qui souhaitent l'interdiction des signes religieux ostentatoires dans les organismes publics appartiennent au camp de la laïcité fermée. En fait, on laisse supposer que ces derniers manquent de grandeur d'âme, qu'ils ont une conception douteuse de la démocratie ou alors qu'ils sont de féroces antireligieux. Les deux camps ont leurs fanatiques, mais le spectre d'Hérouxville n'est jamais loin dans l'esprit de certains pour qui le débat actuel recouvre la peur de l'étranger, de l'autre, de l'immigrant. Comment pourra-t-on définir le Québec de demain dans un pareil climat?
Et si l'acceptation de tous les signes ostentatoires religieux par le gouvernement actuel exprimait au fond son impuissance à légiférer sur le sujet? Comment départager l'ostentation de la discrétion? Peut-on mettre sur le même pied un hidjab où seule la figure est exposée et une petite croix portée en bijou? Et que dire du crucifix à l'Assemblée nationale? Est-ce le signe de la culture qui a défini le peuple canadien-français ou l'affirmation d'une foi officielle? Et la kippa, signe religieux, vous renvoie-t-elle à une quelconque infériorité des sexes?
Qui sont ceux, parmi les catholiques et plus largement les chrétiens, qui portent des signes ostentatoires indiquant leur religion? Il y a belle lurette que les communautés religieuses ont jeté leurs habits d'un autre âge et que les prêtres, par discrétion, ont laissé tomber le col romain. Il y a donc danger de confusion entre les exigences de la laïcité dans les institutions publiques et le combat contre les signes, tous les signes extérieurs de l'inégalité des sexes.
Dans la chronique de la semaine dernière, nous rendions compte de l'état ingérable du ministère de la Santé. Il y a aussi des doutes sur la capacité des lois qui nous régissent de construire le Québec de demain selon les voeux de la majorité des citoyens. Même une loi qui interdirait la burqa pourrait être contestée en Cour suprême en vertu de la Charte canadienne.
Allons-nous vers la paralysie sociale à cause du carcan constitutionnel? Comment imposer une véritable laïcité, ni ouverte, ni fermée, où les représentants de l'État et les fonctionnaires ne se distingueraient que par leur compétence, leur courtoisie et leur efficacité sans signes ostentatoires de leur appartenance religieuse? À noter que l'ostentation est rarement vertueuse, quel que soit le domaine où elle se déploie.
La vigilance est à l'ordre du jour. Comment respecter les droits individuels sans compromettre les valeurs communes du Québec en devenir? Est-on en train de mettre en place des éléments subversifs qui entraîneront une désintégration sociale?
Pendant ce temps, cette semaine au Yémen, des centaines de femmes en niqab sont descendues dans la rue pour s'opposer au projet de loi qui va interdire le mariage des petites filles de 10 ans. Cherchez l'erreur!
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