Au Canada de la burqa

Burqa interdite


L'intérêt fondamental du débat sur la burqa ou autre voile intégral réside dans le fait qu'il nous oblige à livrer l'essence même de ce qui nous anime, personnellement et collectivement. C'est aussi un miroir que certains s'appliquent à déformer par conviction, par peur, par lâcheté ou par aveuglement. Qui eût cru qu'un jour, au nom de la liberté de religion, l'on accepterait que des personnes complètement recouvertes de tissu circulent dans l'espace public?
C'est sans doute grâce à la démocratie ouverte que proclame cette semaine le chef du Parti libéral du Canada, Michael Ignatieff, grand défenseur de la burqa. Quel paradoxe pour ce démocrate ouvert que de justifier l'enfermement physique de femmes, aussi minoritaires soient-elles. Tout système social et culturel qui, au nom d'une morale prétendument religieuse, impose aux femmes, et aux femmes seulement, faut-il le souligner, de disparaître du paysage se condamne lui-même. L'arriération culturelle existe, et la burqa, le nijab et les autres déguisements pour cacher la femme totalement ou en partie en sont l'expression.
Nos sociétés occidentales revendiquent la liberté personnelle. Mais celle-ci n'est pas à l'abri d'être détournée, voire pervertie, par des gens dont le système de pensée exclut cette liberté individuelle. Les intégristes religieux de tous bords n'ont d'existence qu'à travers le dieu qu'ils idolâtrent et craignent à la fois. Le libre arbitre leur est inconnu ou intolérable. Et seule existe, à leurs yeux, la volonté de Dieu. Leur monde réel ou fantasmé est antérieur à la modernité. Ainsi s'explique le fait que c'est dans des pays où règne un système théocratique, donc une forme plus ou moins extrême d'autoritarisme politique, que l'on retrouve le plus de femmes voilées.
Une question alors se pose: pourquoi donc ces «born again» de l'islam choisissent-ils des pays d'adoption aux valeurs absolument opposées aux leurs? Que recherchent-ils chez nous s'ils veulent vivre comme au Yémen, en Arabie saoudite ou dans les pays du Golfe, ces hauts lieux du salafisme? Car le voile intégral est un pur produit de ce courant le plus extrémiste de l'islam, celui-là même qui contient les djihadistes qui, à l'image d'al-Qaïda, prônent la violence contre les mécréants que nous sommes tous à leurs yeux, nous les Occidentaux.
Les âmes sensibles de la démocratie molle, qui, par aveuglement ou inconscience, ne voient que l'expression de la liberté personnelle dans le phénomène nouveau de ces ombres noires dans les lieux publics, savent-elles qu'elles sont des otages instrumentalisés par des groupes qui haïssent ces libertés qu'elles vénèrent? Savez-vous, monsieur Ignatieff, que votre appui au voile intégral fait de vous, non pas un défenseur de la liberté, mais un allié objectif d'un combat avant tout politique qui menace nos acquis les plus chèrement obtenus? Savez-vous, monsieur le premier ministre Jean Charest, qu'il vous faudra bien aussi, au nom du peuple que vous représentez, dire haut et fort que la présence de ces fantômes n'est pas requise dans nos établissements publics, écoles, ministères, hôpitaux?
Comme le déclarait cette semaine le courageux Abdelwahab Meddeb, cet intellectuel savant et poète français d'origine algérienne: «Il faut rendre la vie juridiquement impossible aux porteurs de burqa.» Il s'exprimait sur le débat qui sévit en France, mais jamais les Québécois n'auraient pu imaginer voir de leurs yeux ces femmes fantômes, peu nombreuses encore, mais qu'on croise chez Costco ou dans les parcs de l'île des Soeurs à Montréal.
Il ne faut pas rejeter ces femmes, entend-on dans la bouche de personnes qui semblent oublier que la burqa ou le nijab sont des exclusions vestimentaires en eux-mêmes. Que révèlent-ils sinon le refus du contact avec l'autre? Se soustraire aux regards des autres de façon aussi dramatique remet également en question la sécurité publique. L'Égypte a voulu interdire le voile intégral dans les hôpitaux pour des «raisons d'hygiène» et dans les cités universitaires et les salles d'examens pour des «raisons de sécurité». Rappelons aussi que le grand imam de la mosquée d'al-Azhar, Mohammed Tantaoui, a tenté de bannir le nijab de la mosquée-université, une «tradition contraire à l'esprit de l'islam», a-t-il déclaré. Hélas, cette semaine un tribunal du Caire a annulé le décret sous la pression islamiste.
Celui qui se rêve premier ministre du Canada en s'opposant à l'interdiction de la burqa chez nous tente sans doute de se faire du capital électoral, ce qui serait honteux. Mais s'il croit vraiment que cet accoutrement est un signe religieux plutôt que belliqueux, on doit s'interroger sur son jugement et sur sa clairvoyance. En fait, il n'est pas seul. A-t-on oublié le mouvement qui a failli imposer la charia en Ontario?
Tant que les fondamentalistes religieux débarqués chez nous, attirés par la Charte élastique des droits de la personne, la jurisprudence de nos tribunaux et un multiculturalisme créé d'abord pour briser le concept des deux nations fondatrices du Canada, trouveront une démocratie ouverte, ils n'auront de cesse de mener leur combat pour imposer leurs pratiques. Les sanglots de l'homme blanc sont à ce point intarissables qu'ils l'étouffent de culpabilité. «Si on tolère les tatouages dans la figure, c'est quoi le problème avec la burqa?», disait jeudi dans une tribune téléphonique une bonne personne satisfaite de sa comparaison.


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