Quelle mouche aurait piqué Nicolas Sarkozy?

France-Québec : fin du "ni-ni"?

Jean-Pierre Raffarin nous annonce que le président Nicolas Sarkozy profiterait de son passage à Québec en octobre prochain pour mettre à mal la politique de la France par rapport au Québec. Cette politique, dont un des principaux éléments, énoncé en 1977 par le ministre de la Justice de l'époque et grand ami du Québec, Alain Peyrefitte, s'énonce comme suit: «Non-ingérence et non-indifférence.»
Je ne suis pas étonnée que M. Sarkozy songe à la remplacer. Je l'ai rencontré à quelques reprises, dont une fois à la résidence du délégué général du Québec à Paris -- du temps de Clément Duhaime -- et une autre fois en compagnie de Bernard Landry, alors chef de l'opposition officielle. Il ne nous a pas caché, à chacune de ces occasions, son amitié pour la famille Desmarais et le fait qu'il partageait leur vision de l'histoire et de l'avenir du Québec.
J'ai bien senti qu'il serait difficile sinon impossible de le convaincre de la pertinence de toute autre version, notamment celle des souverainistes québécois. Il m'a tout de même semblé étonnant, au cours de ces conversations, que le futur président de la République ne se pose pas de questions et adopte sans discussion, en bloc, une thèse plutôt que l'autre.
Tous ses prédécesseurs, plus ou moins sympathiques à l'indépendance du Québec, avaient au moins la curiosité de s'informer, de débattre avec leurs interlocuteurs québécois. Ainsi, il est bien connu -- et je le sais pour en avoir souvent discuté avec lui -- que François Mitterrand n'était pas spontanément favorable à la souveraineté, mais, en revanche, il s'intéressait beaucoup à la culture québécoise en plus d'avoir assuré à Jacques Parizeau qu'il accompagnerait le Québec dans la voie qu'il choisirait.
La vraie surprise vient plutôt du messager de cette nouvelle, Jean-Pierre Raffarin, qui lui, au contraire, nous avait, à Bernard Landry et moi-même, tenu un discours différent, très différent dans la lignée de celui des Raymond Barre, Michel Rocard, Philippe Séguin et Jean-Pierre Chevènement, notamment. On a l'impression, en lisant la dépêche de La Presse canadienne de vendredi dernier, que l'ancien premier ministre et actuel commissaire français des fêtes du 400e accepte sans état d'âme cet éventuel changement, alors que l'on aurait pu penser qu'il défendrait auprès du président Sarkozy les raisons et les bénéfices pour la France et le Québec de l'actuelle politique.
Venons-en au fond de la question.
Cette politique non partisane, faut-il le souligner, a été acceptée et reprise comme telle autant par les libéraux du Québec, de Robert Bourassa à Jean Charest, que par la gauche en France, de François Mitterrand à Ségolène Royal. Jamais l'actuel premier ministre du Québec, qui se rend souvent en France et qui accueillera en 2008 son homologue François Fillon ainsi que Nicolas Sarkozy, n'a-t-il publiquement, et j'imagine privément, exigé quelque changement que ce soit à cette politique bien établie. Pas plus que le chef de l'ADQ Mario Dumont, reçu in extremis récemment par le premier ministre français.
Si tous les partis politiques au Québec et en France s'en accommodent, c'est qu'elle a des vertus et que, derrière les mots, il y a une réalité. Toutes les avancées du Québec sur la scène internationale sont dues à l'appui de la France. À commencer par notre présence en Francophonie. Si Georges Pompidou, dans un premier temps, et François Mitterrand, dans un second temps, n'avaient pas appuyé les demandes du Québec pour devenir gouvernement participant de l'Agence de coopération des pays francophones et ensuite membre de plein droit du Sommet de la Francophonie, jamais nous ne nous serions retrouvés dans cette enceinte où siègent avec nous 54 autres pays et territoires.
Si Lionel Jospin, en 1998, n'avait pas accepté de signer avec Lucien Bouchard un procès-verbal créant le groupe de travail France-Québec sur la diversité culturelle, le Québec n'aurait jamais, au grand jamais, pu jouer sur la scène internationale le rôle de leader qu'il a réussi à jouer dans un dossier de ce type, une question qui relève carrément de la politique étrangère et non pas de la paradiplomatie réservée aux États fédérés et aux nations sans État.
Enfin -- ironie de l'histoire --, cette politique a permis à M. Raffarin d'inviter le Québec, en 2004, malgré les protestations véhémentes de la Gazette, du National Post et du Globe and Mail, à se joindre à la France dans le cadre d'une mission conjointe au Mexique: pour la première fois, la France et le Québec se déplaçaient ensemble, au plus haut niveau, dans un pays tiers.
Que signifierait un changement de cette politique dans le sens procanadien annoncé? Messieurs Raffarin et Charest promettaient, par exemple, en 2004, d'autres missions en pays tiers. François Fillon pourra-t-il, dans une telle perspective, donner suite à cette promesse? Qu'un président de la République veuille imprimer «sa» marque en inventant, à la limite, sa propre petite phrase, soit; mais le premier ministre Charest a le devoir de lui rappeler pendant qu'il est encore temps que, comme le disent les anglophones, «if it ain't broke, don't fix it»! Pour paraphraser Sully Prudhomme, «elle n'est pas brisée, n'y touchez pas».
Pourquoi la France se mettrait-elle à dos une bonne partie de ceux qui, au Québec, de toutes les couleurs politiques, animent cette relation unique au monde, et ce, dans tous les secteurs, alors que personne, ni ici ni en France, ne demande de changement? La rupture pour la rupture? Alors que le Québec fête l'arrivée de Samuel de Champlain et la naissance de la Nouvelle-France, le moment de l'annonce de cette mise à sac serait bien mal choisi.
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Louise Beaudoin est membre associée au CERIUM, chargée des questions de Francophonie internationale et professeure invitée au Département des littératures de langue française de l'Université de Montréal.


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